"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

vendredi 4 novembre 2011

Vain G20


Réunissez 20 personnes qui ont des intérêts divergents autour d’une table. Prévoyez des interprètes car ces 20 personnes ne parlent pas toutes la même langue. Placez dans les antichambres une escouade de ministres et conseillers zélés qui pouponnent et rassurent chacune des 20 personnes assises autour de la table. Complétez le tableau par 3000 journalistes badgés et maintenus à bonne distance. Ajoutez 12.000 policiers, gendarmes, militaires, flanqués de chiens démineurs. Bouclez le tout à l’intérieur d’un périmètre de barrières infranchissables au cœur d’une station balnéaire du sud de la France dont les habitants sont parqués et les commerces presque tous fermés. (lire ici le récit édifiant de Jean Quatremer du journal "Libération")

C’est ça, le G20 qui s'achève aujourd’hui à Cannes. Facture : 20 millions d’€ prélevés sur le budget du Quai d’Orsay.

Comment 20 dirigeants venus en coup de vent et qui ont tous d’autres chats à fouetter et l’obsession de leur opinion publique respective, comment peuvent-ils raisonnablement apporter des solutions à une situation mondiale complexe et périlleuse en moins de 48 heures ?

Disons-le tout net : ce G20 (comme les G5, G6, G7 et G8 qui l’ont précédé) est une mascarade, un défilé d’égos, une foire aux vanités politiques, un grand spectacle organisé pour les médias. Ces médias qui se sentent obligés de l’infliger à leurs auditeurs, téléspectateurs et lecteurs. Lesquels, globalement, s’en contrefichent. Pour faire passer cette pilule insipide et ne pas lasser leur auditoire, les médias mettent en exergue les anecdotes, comme la blague de l’Américain sur le bébé tout neuf du Français : «Heureusement que la petite fille a le physique de sa mère...»

Dans ces «sommets», rien ne se décide jamais. J’en ai suivi quelques-uns comme journaliste à Houston (1990), Londres (1991), Halifax (1995), Denver (1997) sans oublier la kermesse de l’OMC à Seattle (1999). Je serais incapable de vous dire ce qui s’est passé dans chacune de ces rencontres internationales auxquelles j’ai pourtant assisté en personne. La presse ne sait rien, ne voit rien, n’entend rien. On l’enferme dans une grande salle avec des téléphones et des ordinateurs. Seule distraction : quelques conférences de presse furtives où les protagonistes viennent aligner des banalités sculptées en langue de bois.

Dans toutes les réunions de ce genre, le communiqué final, un fatras mou et consensuel qui ne dérange personne, est rédigé avant le début des palabres.

La chorégraphie du G20 de Cannes, soigneusement préparée depuis plusieurs mois,  a été légèrement modifiée à la dernière minute pour faire valser un vilain petit canard : le canard grec, lointain cousin des oies du Capitole. «Ce pelé, ce galeux d’où venait tout leur mal», pour citer le bon Jean de La Fontaine. Ce fut donc : «haro sur le baudet d’Athènes». Certes, le Grec et son peuple avaient été plus cigales que fourmis. «Quand la bise fut venue», la fourmi allemande et le coq gaulois ont lancé avec mépris à l’Hellène désemparé : «Vous chantiez ? J’en suis fort aise. Eh bien, dansez maintenant.»

(dessin de Plantu ©Le Monde)
Sans cette petite séance d’humiliation (facile, sadique et hors programme), le G20 aurait plongé dans un ennui profond.

Mais à Cannes, ville qui affectionne les feux d’artifice autant que les tapis rouges, il y aura tout de même un bouquet final. Comme il l’avait déjà fait la semaine dernière (tiens, on avait déjà oublié !), le Français a réquisitionné ce soir les deux plus grosses télés de son pays.

Un créneau horaire de choix : la grand messe du 20 h. Pour officier, une vestale blonde (salariée du privé) et un enfant de chœur coiffé au bol (émargeant au service public). Ils sont convoqués dans le bureau du maire de Cannes où le décor de la cérémonie a été dressé. Ils auront face à eux un grand noir allongé (comme le café américain) et un petit blanc sec (façon «entre deux mers» ou plutôt entre deux eaux de sondages marécageux).

Les deux officiants de la grand messe auront le droit de poser poliment quelques questions à leurs grands prêtres, les deux Pythies, l’américaine et la française, qui rendront leurs oracles divinatoires : «Tout ira bien. Encore une fois, nous avons sauvé le monde».

Puis le grand noir allongé et le petit blanc sec grimperont dans leur gros avion respectif pour regagner leurs pénates.

C’est ainsi que s’achèvera le G20 de Cannes. 
Cela peut s’écrire aussi : G vain.

2 commentaires:

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