lundi 5 novembre 2007

Nouveau Roman


C'était il y a longtemps déjà. Au moins 15 ans. C'était au siège américain du Crédit Lyonnais, sur la 6ème Avenue à New York.

La banque française (pas encore empêtrée par son désastreux scandale) est alors présidée par un certain Jean-Yves Haberer. C'est un grand patron hautain et mégalomane qui toise avec dédain ses interlocuteurs. Il plonge très vite son entreprise dans une banqueroute qui sera épongée ensuite à grands frais, à coup de milliards, par le contribuable français.

C'est Haberer, entre autres folies, qui lance le Crédit Lyonnais dans l'aventure grotesque du rachat de la "Metro Goldwyn Mayer". Pas de "happy end" : c'est très vite "Sunset Boulevard".

Haberer sera condamné quelques années plus tard.

Mais quand je le croise à New York, il est au sommet de son pouvoir éphémère. L'homme est franchement antipathique. Mais Haberer a une face cachée. Le financier impécunieux est aussi romancier. C'est un petit maître ignoré du "Nouveau Roman". Rien à voir avec Guy des Cars ou Paul-Loup Sulitzer : Haberer a la plume exigeante, davantage que ses bilans bancaires.

Il est du genre à écrire des textes comme celui-ci :


Une simple conscience (à laquelle je me suis peu intéressé et que j’ai donc peu cernée) perçoit simultanément, non sans difficulté ni approximation, les événements.
Le présent est pauvre, plat, dépourvu de sens et d’imaginaire. Il se déroule dans des lieux médiocres et selon une logique vraisemblable.
Le passé est riche, coloré, peuplé de symboles et de légendes. Il se manifeste par intermittence, selon des moyens imprévus et menacés. Il brille, il troue le présent terne.



Haberer, comptable désordonné, se révèle rigoureux dans le choix du vocabulaire.

Je suis donc invité (pourquoi ? j'ai oublié, c'était il y a plus de 15 ans) à un cocktail mondain dans le vaste hall vitré du Crédit Lyonnais, sur la 6ème avenue de New York.

La foule est compacte. Chaque personne est badgée par une étiquette épinglée au revers de la veste, indiquant nom et fonction.

Dans le maelström de cette soirée, je me retrouve soudain nez à nez avec un petit barbichu. Sur son badge, je lis un nom : "Alain Robbe-Grillet".

C'est incongru. Dans le hall d'une banque, que fait donc l'homme des "Gommes" au milieu d'une telle assemblée ?

Je l'interroge avec étonnement : "vous êtes bien Alain Robbe-Grillet ?". Oui, il s'agit bien du pape du Nouveau Roman. Par quel "Labyrinthe" a-t-il débouché ce soir-là au rez-de-chaussée du siège new-yorkais du Crédit Lyonnais, sur la 6ème avenue, pour un pince-fesses géant ?

Robbe-Grillet est aimable et m'explique que l'un de ses amis est justement le patron de la banque, Jean-Yves Haberer. Ce dernier est encore en pleine gloire. Plus dure sera la chute. Haberer est effectivement un modeste co-disciple de Robbe-Grillet, dans l'école du "Nouveau Roman". Haberer a donc invité son ami Alain pour le cocktail à New York.

Je repense aujourd'hui à cette rencontre furtive et improbable en entendant que l'on fait grand bruit à présent de la publication chez Fayard du dernier opus de Robbe-Grillet : "Roman Sentimental".

Il paraît que ce dernier livre est ultra-coquin, et même franchement cochon. On sait donc ce qui occupe désormais Alain Robbe-Grillet. Mais que devient son ami Jean-Yves Haberer ?

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