"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 15 avril 2008

Lettre peu recommandable


Tiens, il y a longtemps que je ne vous avais pas parlé de mon bureau de poste, celui de la rue René Boulanger, Paris (10ème), l'un des pires de l'hémisphère nord.

J'ai une lettre recommandée à y retirer. Je me présente vers 17 heures. Dès l'entrée, je suis accueilli par une affiche grossièrement griffonnée au feutre : "service limité, seulement les retraits d'instance". C'est terriblement administratif ("retraits d'instance") et ce n'est pas encourageant.

Ce bureau de la rue René Boulanger est d'ordinaire spécialement désorganisé. Alors "service limité", ce n'est vraiment pas bon signe.

A l'intérieur, il n'y a que deux guichets ouverts. Les deux employés, cloîtrés derrière leur vitre, je les repère comme de vieilles connaissances. J'ai tellement eu, par le passé, l'occasion de les observer en faisant la queue.

Il y a d'abord le jeune homme obèse : il est généralement efficace. A l'autre guichet, la mémère revêche dans son gilet de laine que je connais personnellement pour m'être déjà alpagué avec elle l'automne dernier.

Deux guichets ouverts, un mardi en fin d'après-midi, en plein centre de Paris, dans un bureau du service public de la Poste.

Dans la file d'attente déjà très longue (une vingtaine de personnes), chacun est placide.

Les usagers de la Poste ne sont généralement pas "bling-bling". Ce sont des braves gens qui, à la fin d'une journée de travail souvent pénible, patientent sans soupirer pour récupérer ou envoyer un petit mandat. C'est le paysage de la Poste, en tout cas de la mienne.

La file s'allonge car les deux seuls guichets sont obstrués par deux clients qui n'arrivent pas à remplir correctement les paperasses. Les deux employés postaux se sont guère empressés à les aider. Nous sommes bientôt une trentaine à piétiner. La tension monte, l'énervement devient palpable.

L'employée revêche au gilet de laine sent la menace gronder. Elle quitte brusquement son guichet, sort par une porte dérobée et surgit dans le hall d'accueil, au milieu du groupe d'usagers en attente prolongée.

Et elle vocifère : "C'est un service réduit, c'est écrit à l'entrée qu'on ne fait que les retraits d'instance." Dans l'assistance, rares sont qui comprennent ce jargon postal.

Moi, forcément je ramène ma fraise et j'interpelle l'employée : "Service réduit, pourquoi ?" Interloquée par mon audace, elle répond nerveusement : "Parce que nous ne sommes que deux."

Je ne me satisfais pas cette excuse discutable : "Pourquoi n'êtes-vous que deux ?"

La dame au gilet de laine de la Poste me rétorque : "Parce qu'il y a des malades." La Poste rend donc malade, même ses employés.

Moi, toujours aussi hardi, je lance : "Et vous ne pouvez pas demander des remplaçants ?" Mon outrecuidance dépasse sans doute les bornes. La dame postière en gilet de laine me fusille du regard.

J'ajoute à son courroux en déclarant de ma voix de stentor : "je constate que le service public n'est pas assuré ici." Elle me répond : "Mais le service public n'existe plus à la poste." Ah bon ?

Nous en sommes là de notre vif échange quand j'invite cette employée des postes à regagner dare-dare son guichet car la file d'attente a encore grossi. Mon injonction finit par la pousser à bout.

Elle me dit : "Vous, je ne vous servirai pas !" Je lui réponds haut et fort que la Poste n'est pas un club privé et que si elle refuse de me fournir ma lettre recommandée quand ce sera mon tour, elle aurait de mes nouvelles. Et pas seulement par la Poste.

Elle soupire, elle regagne son guichet. Par les hasards de la file d'attente, je n'ai pas à traiter avec la dame au gilet de laine. Je tombe (une chance sur deux) sur le jeune homme obèse qui me donne ma lettre recommandée.

Je sors sans jeter un regard sur la postière en gilet de laine.

Je vous ai résumé en quelques lignes 50 minutes de ma vie. Et la lettre recommandée péniblement extirpée de griffes de cette administration kafkaïenne n'avait, dois-je vous l'avouer, pas grand intérêt. Elle aurait pu attendre, encore plus que moi.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai du mal a comprendre pourquoi n'avoir que deux employes empechent de fournir la totalite des services, meme si ca prend plus de temps.
Dans le cinema ou je travaille, il m'est arrive une fois que deux employes se soient portes pales un jour de grande affluence. Nous n'etions que deux et avons servi plus de 200 personnes en 30 a 40 minutes. Nous avons du essuyer bien des plaintes de gens mecontents d'avoir a faire la file, mais au final, tout le monde a ete servi et ce sans que nous ayons a dire "service reduit, petits popcorn uniquement".
!!!!!!!!

Anonyme a dit…

Merci cher Anyhow pour ce post hilarant!
J'en ris encore et puis allez, je vais le relire!
Marie-Josée

Anonyme a dit…

Merci pour ce poste, qui est plus désespérant qu'hilarant. Car faire au moins 30 minutes d'attente pour une lettre, ce n'est pas normal, et ça m'est arrivé le même jour que vous !
Cependant dans sa grande bonté, (je ne sais si c'est le cas dans le 10ème), la poste a placée la télé dans ses bureaux, suite à un étude (scientifique surement et sponsorisé par un fabricant peut être) on s'est aperçu en effet que le temps passait plus vite quand on avait un écran sous les yeux. Conclusion, moins de personnel, plus de temps de cerveaux disponible et plus d'attente !
MERCI la poste !
Ps : le cinéma et la poste ce n'est pas le même boulot quand même...quoiqu'avec les écrans...

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Unknown a dit…

Coïncidence incroyable : ma mère travaille justement dans ce bureau de poste !
Peut-être la connaissez-vous ; elle porte souvent le gilet que je lui ai offert pour son anniversaire...

Unknown a dit…

Votre bureau de poste ne peut être pire que le mien, que je dénonce ici haut et fort : rue Colbert, Marseille. Une horreur avec que des fous qui nous détestent à l'intérieur... En effet, il y a pire que le fonctionnaire tel que décrit dans son sketch par Coluche : c'est le fonctionnaire municipal marseillais ; mais il y a pire que le fonctionnaire municipal marseillais : l'employé du bureau de la poste de la rue Colbert, à Marseille. (Non je n'exagère pas, même si le temps me manque pour vous conter les absurdes et détestables aventures que j'y vis régulièrement depuis environ 7 ans.) A bientôt Anyhow

Derrick a dit…

J'ai moi aussi quelques combats personnels avec ma poste....Une fois, passant en début d'après-midi pour éviter la foule et donc l'attente, j'arrive seul devant deux guichets, dont un seul occupé par une employée de la poste...Elle m'indique que pour poster une lettre, c'est le guichet vide...Pas encore tout à fait passé en mode "poste", je ne remarque pas, et je m'exécute...Au bout de 2 minutes d'attente devant un guichet vide, la personne assis à l'autre guichet, en mal de client (personne n'étant rentré depuis mon arrivée), me lance avec un air de 'vous voyez la faveur que je vous fais',"bon, je vais quand même vous servir, vous voulez envoyer votre courrier en recommandé??"....

E.