Il y a, en France, cette idéologie rampante qui consiste à défendre, coûte que coûte, le SDF, le Tibétain, le "sans-papier". Cette idéologie confuse, bobo-guauchardisante, a des relais dans les médias grand public.
Il faudrait, à entendre les représentants infiltrés de cette cohorte relativement influente, consacrer un temps infini à pleurnicher sur le Bulgare égaré au bord du Canal Saint-Martin, sur le Moldave en situation irrégulière (mais tellement émouvant : il lit Victor Hugo dans le texte !).
Sans-papier, rappelons-le au passage, ça ne veut rien dire. Dire "sans-papier", c'est déjà faire un commentaire. Tout le monde a des papiers, même au fin fond du Burkina-Fasso. On a des papiers, on les perd, on se les fait voler, le chien du voisin les dévore. Mais on a des papiers, on en a eu. On peut en avoir à nouveau.
"Sans papier", c'est une façon politiquement correcte de dire : "étranger en situation irrégulière". Et c'est là que Brice Hortefeux surgit avec son gourdin et ses charters, retour case départ. Il a raison. Il applique la loi : étranger en situation irrégulière. Ne pas sévir, ne serait-ce pas faire injure à tous les étrangers en situation régulière, présents sur le sol français ?
Venons-en maintenant aux Tibétains et à leur chef en promenade dans nos contrées. Je lis dans "Rue89" (site généralement captif de la gauche bien-pensante mais qui s'en écarte parfois avec justesse) cet article que je me fais un plaisir de reproduire.
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Pékin et le dalaï lama ne peuvent se passer l'un de l'autre
Par PATRICK HUTIN
Aux yeux de l’opinion en général, la Chine est l’Empire du mal, le Tibet un paradis perdu, et le dalaï lama un vieux jedi merveilleux, plein de bonté et d’une sagesse infinie, descendu du Toit du monde avec le secret du bonheur et du sens de la vie. Le champion des libertés qui plus est, et de la paix dans le monde. Rien de moins à en croire le chœur des babas boudd et autres bobos d’Occident.
Il s’ensuit qu’il ne saurait être question de critiquer « Sa Sainteté ». Elle est, si ce n’est vénérée, intouchable, taboue, d’Hollywood à Saint-Germain-des-Prés. Il est d’ailleurs sidérant de voir, à de rares exceptions près, nos beaux esprits français, d’ordinaire si sourcilleux sur le respect de la laïcité, si prompts à la défendre même quand elle n’est pas menacée, tomber en pamoison devant le chef d’une des « Eglises » les plus obscurantistes sur terre. Paresse ou aveuglement ?
Il y aurait pourtant beaucoup à redire sur le chef pas seulement « spirituel » des Tibétains. En effet, si son pays est dans la situation que l’on sait, il en est pour beaucoup responsable. Bel exemple du danger pour un peuple de s’abandonner à la religion et aux religieux pour la conduite de son destin.
Car, au-delà des apparences et des affichages (le résistant à l’oppression), le dalaï lama aura essentiellement œuvré à la défense de sa religion et d’une théocratie archaïque au prix de l’indépendance de son pays, sans parler du bonheur et de la souveraineté de « son » peuple. Ce n’est bien sûr pas l’individu qui est en cause, mais ce qu’il incarne, si l’on ose dire.
Des sincérités successives et du renoncement
Les Chinois refusent mordicus de croire le dalaï lama quand il assure avoir renoncé à l’indépendance du Tibet. Sans trop avoir mauvais esprit, et si l’on ne tient pas la réincarnation pour une faribole (l’actuel dalaï lama, quatorzième en titre, et le premier, intronisé comme tel à la fin du XVIIe siècle, seraient le même…), ils ont des excuses.
Car enfin quand « le » dalaï lama est-il sincère ? Quand il reconnaît la suzeraineté de la Chine au début du XVIIIe siècle ou quand, profitant de l’effondrement de l’empire des Qing, il proclame l’indépendance du Tibet au début du XXe ? Quand, au début des années 30, il reconnaît la vassalité du Tibet envers la Chine ou quand, en 1950, après l’entrée de l’Armée populaire de libération au Pays des Neiges, « Sa Sainteté », telle que nous la connaissons maintenant, soutient la lutte pour l’indépendance ?
Quand, en 1955, elle remercie le gouvernement chinois des « avantages qu’il a procurés au Tibet » ou quand, aujourd’hui, elle dénonce un « génocide culturel » ? Ou quand, enfin, au terme des années 80, elle déclare renoncer à l’indépendance et envisage de se contenter d’une large autonomie dans un Grand Tibet reconstitué ? Si l’on n’ose mettre en doute la sincérité « du » dalaï lama, difficile d’y voir autre chose qu’une navigation à vue sur la question fondamentale de l’indépendance du Tibet.
Les Tibétains pourraient bien finir par se poser la question de la fidélité du « chef spirituel » à la cause nationale. Les patriotes en tout cas, les plus jeunes d’entre eux notamment et les plus radicaux du Congrès de la jeunesse tibétaine. Eux réclament toujours l’indépendance. De quel droit le dalaï lama, lui, y renonce-t-il ? Quelle est sa légitimité ? Est-ce là la volonté du peuple ? « Sa Sainteté » se bat, en vérité, d’abord et avant tout pour le maintien et la prééminence de sa religion au Tibet. C’est, là, sa certaine idée de son pays.
Est-ce entièrement de sa faute ? De l’obscurantisme et de Sharon Stone
Pour sa défense, le dalaï lama est le produit de sa religion, la créature d’un clergé qui l’a formé -formaté- dès sa petite enfance (il avait 2 ans quand les religieux l’ont pris en main !). Sans en avoir lui-même conscience, il est la première victime du bouddhisme tibétain. Il n’est que la figure de proue d’une lignée bouddhiste qui a inventé la théorie de la réincarnation en chaîne du dalaï lama, divine trouvaille qui lui a permis de conserver, pour ne pas dire confisquer, le pouvoir au Tibet.
Il faudrait que les Chinois s’en aillent, certes… Mais il fallait sans doute qu’ils viennent. Sinon, les Tibétains seraient encore des serfs -ce qu’ils étaient, que cela plaise ou non. Le régime communiste est détestable à beaucoup de points de vue, à commencer par celui des droits de l’homme. Mais le régime qu’il a blackboulé au Tibet était bien pire encore, spécialement de ce point de vue, en raison du degré d’ »assujettissement du Tibet à la classe des prêtres » pour reprendre l’expression de Giuseppe Tucci.
Jusqu’à 1950, le Tibet était une théocratie obscurantiste maintenant le peuple dans un état d’ignorance et d’aliénation invraisemblables. Il faut être bigrement aveugle pour ne pas reconnaître l’oppression du système mis en place par les religieux au Pays des Neiges, et sa perversité, tenant entre autres à ceci : si l’on est mal en point dans cette vie, c’est qu’on a fait quelque chose de mal dans une existence précédente ; pour améliorer son sort dans une incarnation future, il faut accumuler des bienfaits ; or, le meilleur des bienfaits, celui qui rapporte le plus de « points », consiste à nourrir les moines. Malin.
Les Tibétains ont toujours été pris entre le sabre et le goupillon.
On a été bien injuste avec Sharon Stone quand elle a attribué le récent tremblement de terre au Sichuan et ses 80000 morts au mauvais karma des Chinois du fait de leur comportement au Tibet. Après tout, le dalaï lama n’avait rien dit d’autre à propos du séisme en Inde en janvier 2001 et du tsunami dans l’océan indien de noël 2004 : « C’est certainement le résultat d’un mauvais karma. Il n’y a pas de souffrances injustes. » Qu’il se trouve en Occident, en France en particulier, des gens pour s’agenouiller devant cette pensée de progrès, si pleine de sagesse et de tolérance, est proprement confondant.
Savent-ils tous ces gens que le dalaï lama condamne l’homosexualité (une « mauvaise conduite ») et l’avortement ? Savent-ils que dans l’idyllique société tibétaine sur laquelle il régnait avant l’arrivée des Chinois, on traitait (et on traite encore) les aveugles et autres handicapés en parias pour la raison que leur état est le signe qu’ils sont possédés par des démons ou qu’ils ont commis des péchés dans une autre vie ? Savent-ils que la merveilleuse justice tibétaine coupait les mains ou les pieds des voleurs récidivistes, par compassion et pour leur éviter de commettre de plus grands péchés ?
Savent-ils aussi que dans cette société si évoluée, le dernier homme politique (laïc) à avoir tenté à la fin des années 30 de démocratiser le pays et de développer l’armée, menaçant de ce fait le pouvoir temporel du dalaï lama ainsi que les revenus et privilèges des religieux, fut accusé de complot contre l’Etat et condamné à avoir les yeux arrachés, châtiment sinon courant du moins en usage, à telle enseigne qu’on remettait au supplicié un médicament pour atténuer la douleur et dont le malheureux, avant de mourir, confia à ses fils qu’il était peu efficace ?
Savent-ils enfin, c’est moins anecdotique qu’il y paraît, que le football durant l’enfance de « l’océan de sagesse » (traduction du mongol dalaï et du tibétain lama ; titre honorifique décerné pour la première fois au XVIe siècle par Altan Khan, quand le Tibet était sous la domination mongole) fut interdit par les autorités religieuses tibétaines, craignant que l’engouement suscité par ce sport n’affaiblisse leur emprise sur les esprits… ?
De la naïveté
Un être éveillé peut-être, mais éclairé ? Après soixante ans de « règne » de l’actuel dalaï lama, au vu des résultats — la Chine est plus que jamais chez elle au Tibet —, on est en droit de se poser la question. Gyalpo Rinpoché, « Souverain très précieux » (dénomination employée par les Tibétains), a échoué. Comment ? En prônant, en imposant même la non-violence, seule voie possible. Tout en soulignant que la lutte armée serait suicidaire parce qu’inégale. Les Israéliens, les Palestiniens, les Irlandais, pour ne citer que ceux-là, s’en voudront d’avoir agi différemment.
Tout le monde peut se tromper, même l’ »océan de sagesse ». La non-violence est sa plus grande erreur. N’est pas Gandhi qui veut. Mais surtout, la situation en Inde était rigoureusement inverse, et la non-violence rendue efficace par la résistance passive : rien ne pouvait fonctionner sans les Indiens. Qu’un Tibétain se croise les bras et il se trouvera mille Chinois pour le remplacer ! La non-violence, c’est bien quand ça marche, disait en substance Simone Weil, et que l’ennemi est d’accord.
Au train où vont les choses, si rien ne contrarie le mouvement, le Tibet sera bientôt submergé par les millions de colons han. Les Tibétains disparaîtront sans bruit dans l’océan du sang chinois. L’ »océan de sagesse » ne pourra rien contre cet océan-là. Il est peut-être déjà trop tard. En Mongolie, le processus est presque fini, dit-on, au Xinjiang, il suit son cours. La submersion ethnique. Pékin use d’une autre expression : chan shazi, « ajouter du sable ».
Mao, en son temps, avait justifié cette politique ainsi : « La Chine est grande : nombreuse, vaste et riche en ressources naturelles. Mais ce sont les Han qui ont le nombre, et les minorités qui ont l’espace et les ressources. » De fait, l’ethnie Han constitue 92 % de la population chinoise, le reste regroupant 55 minorités ethniques ou nationales, dont les Tibétains.
L’erreur de la non-violence n’est pas seulement due à une défaillance du jugement. Elle tient aussi à une certaine hypocrisie du bouddhisme tibétain qui, sur ce point, ne se distingue guère des autres religions. Il réprouve la violence, mais comment s’est-il imposé contre le bön, la religion qui prédominait au Tibet au XIe siècle, sinon par la force et l’assassinat ? Et comment la lignée des gelugpa, les Vertueux (dite aussi des bonnets jaunes) à laquelle appartient le dalaï lama, a-t-elle pris l’avantage sur les autres au XVIIe siècle (notamment celle des nyingmapa, les Anciens, dont le chef est le panchen-lama, deuxième autorité religieuse du Tibet) si ce n’est par le fer et par le sang… et avec l’aide des Chinois ? Et une fois sur le trône, histoire de ne pas se faire déloger, on trompète que la non-violence est sacrée. Malin, là encore.
Les meilleurs ennemis du monde
Le dalaï lama finira-t-il un jour par gagner la partie contre les Chinois ? Sa vision d’un grand Tibet reconstitué, commandée par le renoncement — définitif ? — à l’indépendance, semble relever d’un pari sur l’avenir et sur l’effondrement du régime communiste.
Or, c’est une vue de l’esprit de penser que, à l’instar de l’Empire soviétique, la fin du communisme à Pékin, qui arrivera bien un jour, permettrait ipso facto au Tibet de recouvrer la liberté. Comme si son « annexion » par Mao en 1950 était un accident de l’Histoire, et non le résultat d’une politique d’extension conduite résolument par l’empire du Milieu pendant trente siècles. Politique qui a abouti également à l’absorption de la Mandchourie, de la Mongolie, du Turkestan oriental et des régions méridionales. Il ne faut pas tout confondre, ni prendre ses désirs pour des réalités. Le Tibet n’est pas l’Allemagne de l’Est ni la Pologne. La muraille de Chine, c’est autre chose que le Mur de Berlin.
Mais, pour certains, tout serait en bonne voie : la pression de l’opinion publique internationale, les manifestations contre la flamme olympique, ont payé ; le dialogue a été rétabli entre Pékin et le dalaï lama. A-t-il abouti à une impasse ? Qu’à cela ne tienne, il reprendra, les babas boudd donneront de la voix ainsi que tous nos beaux esprits et grands intellectuels qui se battent contre la tyrannie à des milliers de kilomètres de distance.
Il faut être bien optimiste, naïf ou ignorant pour croire que la solution passe par là. Les discussions, c’est une constante des relations tibéto-chinoises depuis que le bouddhisme s’est installé au Tibet : les deux parties parlent et négocient depuis mille ans ! Dans le dessein, pour les religieux tibétains, de rester maîtres chez eux, pour les Chinois de rester maîtres du Tibet. Et en mille ans, pour conserver leur position au Pays des Neiges, les religieux tibétains ont fait toutes les concessions, abandonné des pans de souveraineté et des territoires entiers à la Chine.
En réalité, et c’est là le cœur de la tragédie tibétaine : Pékin et le dalaï lama ne peuvent se passer l’un de l’autre. Objectivement.
Les Chinois ne pouvaient rêver de meilleur ennemi que le dalaï lama. De moins dangereux, de plus inefficace. Ils ont tout intérêt à le conserver. En s’en prenant à lui, ils confortent son autorité et son empire sur les esprits, à l’intérieur comme à l’extérieur du Tibet. Ils empêchent l’émergence d’une révolte armée qui couve dans les rangs de la jeunesse tibétaine. Le dalaï lama, quant à lui, a intérêt à ce que Pékin s’en prenne à lui. C’est la seule façon qu’il a de pérenniser son pouvoir, le sien, mais aussi celui des gelugpa et plus généralement celui des hiérarques de la théocratie tibétaine, et de demeurer le « pape » du bouddhisme, qu’il n’est pas, sauf en Occident.
Un « jeu » qui, depuis des siècles, a toujours le même perdant : le peuple tibétain.
► A lire : « La Prisonnière du Tibet », de Patrick Hutin (éditions Robert Laffont)
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ciao - à la prochaine fois - ANYHOW
La question du Tibet n'est pas seulement un "jeu" qui arrange que la Chine et le Dalai-lama, mais aussi toute la sphère médiatico-politique francaise. Les journaux (cela fait vendre, un vrai marronnier), la gauche (un bon sujet pour s'indigner), la droite (un bon sujet pour montrer qu'elle a du "coeur", comme la gauche), le gouvernement (qu'il a son mot à dire dans le concert des nations, qu'il pèse sur les affaires du monde, et qu'il est à l'écoute de ce qui "préoccupe" les francais), les francais (qui peuvent avoir l'impression que les politiques font qque chose), les ONG (qui trouvent là une raison de se faire remarquer), les outsiders (qui ont là une occasion de parler plus fort que les autres pour se faire mousser, en jouant les messieurs-plus ou les dames-plus, peu importe si cela est possible ou réalise)... Cet épiphénonème, dont les tenants et les aboutissants réels sont peu discutés, occupe la sphère médiatique, et le temps de cerveau disponible, et pendant cela, le vrai business, les vraies affaires, continuent, loin des coups de projecteur des médias. Du reste, les médias éclairent de moins en moins et ne font, pour la plupart du temps, que passer les plats qui sont confectionnés par d'autres. C'est sans doute pour cela qu'il y a de plus en plus de jolies femmes comme présentatrices télé, nos soubrettes modernes qui accompagnent la livraison des plats qu'un gâte-sauce, qui se mettrait à poser trop de (vraies) questions, mettrait en péril. A ce titre, l'article de Rue89 détonne par sa qualité dans le paysage journalistique francais.
RépondreSupprimerAh, le Tibet, tant de bruit en France alors que nos moyens d'action politiques réels sont si faibles, surtout après le psychodrame de la flamme des JO et le baissage final de culotte de Sarko à Pékin. On a droit actuellement à la saison 2 comme si la saison 1 ne s'était même pas déroulée, n'avait pas eu lieu ! Quelle rupture scénariste; quel mauvais film ! Décidément, on manque de bons scénaristes en France...
Je me demande comment Bouddha prendrait tout cela s'il revenait. Lui a fuit sa situation installée, lui qui est né prince et qui a fui son statut princier pour aller de part le monde. Sans doute aurait-il jugé drôlement le royaume tibétain et la situation de rente de ses religieux, et quelque part applaudit au fait que cette situation ait été qque peu bousculée.