jeudi 11 septembre 2008

Comédie humaine.


Tiens, c'est marrant, revoici Balzac !

Le journal "Le Monde", pour tenter d'enrayer son naufrage annoncé, nous propose, en cadeau presque gratuit, l'intégralité de la "Comédie Humaine", volume après volume, un par semaine.

La "Comédie Humaine", c'est pour moi, avant tout, Rubempré et Rastignac.

Deux personnages antinomiques, inconciliables, sous l'ombre tutélaire du mentor absolu : Vautrin.

On les côtoie dans la trilogie balzacienne : "Le père Goriot", "Les Illusions perdues", "Splendeurs et misères des courtisanes".

C'est le cœur du romanesque balzacien.

Balzac aujourd'hui ? Si je réponds Tristan Garcia, je fais reposer sur les épaules de ce romancier de 27 ans un poids beaucoup trop lourd.

Et pourtant ! Le roman de Garcia, publié chez Gallimard, renvoie beaucoup à Balzac.

Le titre : "La meilleure part des hommes". Les hommes, la comédie humaine.

Ne sommes-nous pas sur le même terrain ?

Tristan Garcia est trop jeune pour avoir vécu ou connu les années 80. C'est pourtant cette époque qu'il décrit. Il raconte les ambitions, la célébrité, Paris et la province, le sexe, les désirs, les coteries, les lâchetés, la gloire et l'oubli.

Balzac a raconté, à sa façon, les mêmes histoires. Tristan Garcia y ajoute, comme piment romanesque, une maladie appelée SIDA. Piment ou fléau ? C'est tout le sujet du livre.

Voici un extrait de "La meilleure part des hommes" :



Les années quatre-vingt furent horribles pour toute forme d’esprit ou de culture, exception faite des médias télévisuels, du libéralisme économique et de l’homosexualité occidentale. Dominique Rossi ne s’intéressa pas du tout à l’économie libérale. Plus tard, il regardera quand même la télé.

Ce fut la Grande Joie ! Il répétait toujours ça. Est-ce que c’était une période inédite de l’évolution de l’humanité ou un cycle régulier de libération, d’émancipation des homos, j’en sais trop rien.

« Ça ne ressemblait pas tant que ça à la Grèce antique, et plus du tout à Oscar Wilde» , rigolait Doumé, devant un verre de bourbon.

Il était à New-York, il était à Londres, il était à Paris.

« Rétrospectivement, je vois les années où le fric devenait une valeur sociale démocratique, où la Bourse, l’apparence, le look, le toc, le mauvais s’exprimaient dans une grimace généralisée de la planète, au grand jour. Esthétique pub de néons et de premiers écrans d’ordinateur Atari, fuseaux fuchsia, PAO et synthétiseurs. Le clinquant. »

Doumé éclate de rire.

« Nous… Pour nous, ça avait la couleur de l’amour – mais j’avoue que si j’avais été hétéro, ça aurait largement ressemblé à la fin de l’intelligence et à la couleur de l’enfer.« Mais moi, je baisais à l’époque, et on dansait. Ce n’était pas con, non, non. On sortait au grand jour, on s’éclatait, on avait le sentiment de l’appartenance. C’était la communauté, mais ça paraissait plus un univers qu’une prison. Ça changé par la suite. On comprend que c’est la même chose, au bout du compte. »

Dominique regardait ses pilules, toujours, avant de les avaler. Combien de fois il s’est trouvé assis sur ce fichu canapé rouge cerise, à côté de la chaîne stéréo. Il réfléchit.

Ce photographe l’a conduit au Palace, merde, jamais il avait ressenti ça. C’était un petit étudiant à lunettes, en chemise, même s’il était baraqué, on se sent toujours un enfant la première fois, et il marchait dans un couloir, avec le son des enceintes, les basses, surtout, qui vous prenaient au ventre ; il avait eu l’impression de marcher au milieu des colonnes et de soldats d’un temps ancestral, vers une arène. C’était violent, ça faisait mal, mais il y avait déjà le plaisir de penser que ce serait peut-être bon ensuite, un peu plus loin. Il allait pénétrer sur la piste de danse, la musique vous saisissait à l’estomac, il crut même franchement qu’il allait gerber, puis il a compris qu’il valait mieux se laisser ingurgiter par le son, comme un cœur géant qui nous faisait tous vivre et vibrer, à l’unisson. Il avait oublié Chostakovitch, Fauré, le bop et l’after-punk, tout ce qu’il connaissait, cette musique était vivante, elle était débridée, libre et contraignante à la fois, bien habillée et indécente. Il a appris à danser les mains au-dessus de la tête, et le pantalon sous les genoux, ensuite. Il a compris, comme chacun dans sa propre vie, qu’il était un corps. Il dansait – ce n’était pas agréable, au début, parce qu’il y pensait, puis il oubliait, et c’était bon parce que ce n’était plus bon, non, non, c’était bien plus que ça. Au diable le reste.

Et il jouissait.

« Merde, qu’est-ce qu’on pouvait jouir, à l’époque, je crois pas qu’on jouisse comme ça , aujourd’hui. »
Il ricana, se traita de jeune vieux con, de vieux jeune con. Il avait assez de conscience pour vous empêcher de le juger. Un temps. Un temps seulement.



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