lundi 18 avril 2011

Quand l'art se plonge dans la pisse et la merde

Peut-on imposer des limites à la création artistique ? C’est la question, digne de l’épreuve de philo du bac, que pose l’affaire de la collection Yvon Lambert à Avignon. Cette institution, financée en partie par des fonds publics, expose en ce moment plusieurs œuvres contemporaines dont le célèbre «Christ Piss» de l’artiste américain, Andres Serrano.
Il s’agit d’une photo de grand format, en couleurs, représentant un petit crucifix en plastique plongé dans un bocal contenant l’urine de l’artiste. J’ai déjà vu quelque part, mais je ne sais plus où, un exemplaire de cette photo. La religion chrétienne qui a inspiré tant de chefs d’œuvres au fil des siècles ne méritait sans doute pas cette provocation de potache dont le rendu visuel est assez pauvret.

Si on avait dit que le crucifix était immergé dans du vin blanc (de messe) et non dans le pipi de photographe, personne n’aurait vraiment remarqué cette image relativement banale. Mais c’est la pisse qui, évidemment, donne toute sa dimension à l’œuvre !

L’image urino-christique est ancienne : elle date de 1987. Elle a déjà été exposée un peu partout dans le monde, notamment en France. Parfois, son apparition a soulevé des indignations locales. Cette fois à Avignon (où l’image a déjà été montrée au même endroit il y a quelques années), les autorités catholiques et les fidèles se sont révoltés.

Une pétition a circulé, une manifestation a été organisée. Hier dimanche, un petit commando est allé briser avec des objets contondants le plexiglas qui protège l’image. C’est ainsi endommagée que l’œuvre reste exposée. Ce n’est pas un tirage unique. Le mal infligé n’est pas bien grand. Pour information, si l’envie vous en prenait pour décorer votre salon (ou vos toilettes), sachez qu’un exemplaire de ce «Christ Piss» s’est vendu récemment aux enchères à 150.000 dollars.

Que retenir de cette histoire ? D’abord qu’Andres Serrano, aujourd’hui âgé de 61 ans, a réussi son coup : un petit scandale de ce genre ne peut que faire remonter sa cote et ses prix de vente. 


Les rapports entre l’argent et l’urine sont vieux comme le monde.

Au début de l’ère chrétienne, l’empereur romain Vespasien avait eu l’idée d’instaurer un impôt sur l’urine vendue par les particuliers aux teinturiers qui s’en servaient pour préparer les étoffes. Raillé pour cette initiative, Vespasien avait prononcé une phrase restée célèbre : «Pecunia non olet»  («L’argent n’a pas d’odeur»).

Je me souviens d’une autre œuvre qui ne sentait rien non plus et qui pourtant utilisait, outre la peinture, un peu de caca d’éléphant. C’est un artiste britannique, Chris Olifi, qui avait eu cette idée délicate pour réaliser le portrait d’une vierge noire, agrémenté de découpages de parties génitales féminines provenant de magazines pornographiques. 
J’avais vu ce tableau au musée de Brooklyn à New York, fin 1999, avant qu’il ne soit maculé  de peinture blanche par un vieux protestataire très déterminé. L’œuvre avait été prestement restaurée et le crottin d’éléphant était réapparu dans toute sa magnificence.

Pipi et caca sont donc appliqués à des représentations sacrées du christianisme par des artistes qui revendiquent haut et fort la liberté d’expression. Fort bien. Mais je comprends la colère des croyants qui se sentent salis par ce qui est pour eux, ni plus ni moins, un blasphème. Je suis athée mais je respecte la foi des autres.

Imaginez qu’un zozo ait plongé un buste de Bouddha dans un aquarium rempli de pisse. Ou qu’on ait peinturluré Mahomet ou l’étoile de David avec des excréments de zèbre. Que n’aurait-on entendu !

Le droit à la satire est légitime. C’est pourquoi les célèbres caricatures de Mahomet publiées en 2005 par la presse danoise n’étaient pas scandaleuses. Les blagues salaces qui circulent depuis des siècles sur les Evangiles sont du même acabit. Les religions installées sont assez fortes pour résister à la raillerie.

Mais le sacrilège calculé, c’est autre chose, surtout à l’aide de matière fécale et d’urine. Le but est clairement de blesser les fidèles de la religion concernée. La laïcité repose sur le respect.

Je ne crois pas cependant qu’il faille interdire les œuvres volontairement dégradantes pour les croyants de toutes confessions. Je pense même qu’il serait plus judicieux que les fidèles des religions bafouées ne manifestent pas leur réprobation. Les protestations attirent l’attention sur ces élucubrations nauséabondes.

Je suggère de ne rien dire, de ne rien faire. Les œuvres bêtement provocatrices resteront ainsi obscures et inconnues, accrochées dans l’indifférence générale dans certains musées ou galeries, pour distraire les quelques gogos qui se délectent de cette piteuse et agressive médiocrité.

5 commentaires:

  1. Dans cette affaire, le malheur des chrétiens est de ne pas avoir déposé un droit à l'image ;-) de sorte que n'importe quel zozo en mal de célébrité qui veut se faire de l'argent, vite fait, mal fait, sur le dos des chrétiens, soit touché au portefeuille, là où en fait, cela lui fait le plus mal, car de l'art, il est peu question ici.

    Il me semble qu'une oeuvre artistique nous parle, nous nourrit, et fait parler d'elle.
    L'art "moderne" semble oublier la première partie de la proposition.
    Cela me rappelle "le gène égoïste" de Dawkins - http://fr.wikipedia.org/wiki/The_Selfish_Gene -, qui a popularisé la théorie de l'évolution centrée sur les gènes et introduit le terme de « mème ». En gros, si je ne fais pas d'erreur, selon cette vision, le gène est premier et le comportement attendu de l'organisme hôte est qu'il évolue de façon à maximiser le nombre de copies de ses gènes qui sont transmis ; la reproduction des gènes se fait éventuellement aux frais de l'organisme hôte : il n'est pas dit que le gène soit, stricto sensu, égoïste, mais tout se passe comme s'il l'était.
    L'art moderne me donne un peu la même impression, comme liée à un gène égoïste dont serait doté l'art moderne. On est dans une logique de reproduction (merci Warhol), dont le buzz ou l'argent sont des unités de mesure, et les organismes hôtes passent en second.

    Comme je l'ai lu ailleurs - http://www.automatesintelligents.com/labo/2005/mar/neuronesmiroir.html - "Dawkins a forgé une théorie assez fascinante de la culture en tenant compte de l'importance de l'imitation et en extrapolant le schème Darwinien vers le domaine des idées. La tentation est grande, en effet, pour un biologiste de comparer la sélection des idées à l'évolution Darwinienne." Mais le prix Nobel Jacques Monod écrivait: "Il est tentant, pour un biologiste, de comparer l'évolution des idées à celle de la biosphère. [...] Je ne me hasarderai pas à proposer une théorie de la sélection des idées. "
    Chez Dawkins, l'imitation, la reproduction porte sur les 'idées', sur des unités d'information ('mèmes'). Et cela rejoint la vieille conception platonicienne des idées, existantes indépendamment des hommes.
    Cela rejoint aussi l'idée que je me fais de l'art moderne, un art qui remixe des idées, mais qui, si poussé à la caricature, manque par là de profondeur, d'enracinement et de chair.

    PS : à lire l'interview de "l'artiste" - http://next.liberation.fr/culture/01012332509-je-n-ai-aucune-sympathie-pour-le-blaspheme - j'entends de sa bouche "ni responsable, ni coupable": "Les artistes n’ont pas à donner eux-mêmes le sens de leur œuvre. Si une œuvre devient trop lisible, ce n’est plus de l’art, c’est de la propagande. J’ai pris un crucifix, car c’est un objet banal, en tout cas en Amérique, un objet auquel on ne prête plus attention, un objet minimal. Si en faisant appel au sang, à l’urine, aux larmes, ma représentation déclenche des réactions, c’est aussi un moyen de rappeler à tout le monde par quelle horreur le Christ est passé." (sic)

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  2. Cher Dominique,
    Je suis moins catégorique sur l'art moderne. Il y aurait d'ailleurs beaucoup de choses à dire sur le mot "moderne" qui ne veut pas dire grand chose.

    Parlons de l'art tout court. Les temps anciens ont également produit des horreurs ou des oeuvres médiocres. Il suffit de se promener dans certaines salles oubliées du Louvre pour contempler la lourdeur des "pompiers". Toute la peinture italienne ou flamande de la grande époque classique n'est pas remarquable. Les anciens ont fait des croutes, eux aussi.

    L'art de notre temps m'intéresse, d'abord parce qu'il est de notre temps. J'ai récemment appris à aimer Soulages, par la grande exposition de Beaubourg et par les toiles de lui qui sont exposées à Montpellier. C'est un peintre difficile qui réclame de l'attention et du temps.

    Il y a aussi des faiseurs et des fumistes. Je pense par exemple qu'Andy Warhol est médiocre. Son seul mérité aura été d'engager une réflexion sur la reproduction et le consumérisme artistique.

    Andres Serrano, l'auteur de "Piss Christ", se place dans cette lignée de médiocrité et de facilité, même si certaines de ses autres photos ne manquent pas d'intérêt, comme celle de cette religieuse, également vandalisée à Avignon.

    Dans l'art contemporain, il y a des fulgurances exceptionnelles, comme celles de Basquiat (rétrospective récente au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris). La période la plus faible de Basquiat, c'est quand il s'est associé à Warhol.

    Chez Picasso, il y a le meilleur et le pire. Picasso a trop peint, surtout à la fin de sa vie. Mais quand on est face à Guernica ou aux 'Demoiselles d'Avignon', on s'incline.

    La période charnière de la fin du XIXème siècle dans la peinture française est intéressante à observer. Il y a souvent de la mièvrerie cher Monet, mais parfois de la puissance et de la grâce.

    J'ai vu récemment l'expo Manet à Orsay. Manet n'a pas fait que des chefs d'oeuvres. Mais j'ai été frappé par un tout petit tableau qui représente prosaïquement quelques asperges dans une assiette. C'est une merveille.

    Des merveilles, il y en a toujours dans l'art de notre époque. Malheureusement, l'espace est occupé trop souvent par des faiseurs valorisés par les marchands d'art.

    Tout finit par se décanter avec le temps. Bernard Buffet était un peintre très cher et très apprécié par les amateurs fortunés dans les années 50-60. On s'aperçoit aujourd'hui que c'était un peintre de sous-préfecture.

    Parions que le "Piss Christ" ne laissera d'autres traces que les polémiques qu'il a déclenchées.

    Et, au bout du compte, ce qui importe c'est l'émotion suscitée par un tableau, une photo, une sculpture, une architecture. L'art n'existe que dans son rapport avec son spectateur. C'est un phénomène intime, profondément personnel.

    J'ai été bouleversé par la 'Descente de Croix' de Rubens présentée dans la cathédrale d'Anvers en Belgique. Ce tableau me regardait. J'étais passé trop vite devant lui. Je me suis retourné et j'ai été sous le choc. Je le suis encore.

    L'art ne doit pas être autre chose.

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