Terrence Malick, le taiseux, a failli nous offrir son plus beau film. Il est encore temps de sauver «The tree of life» en retournant d’urgence à la table de montage. Dans sa première version, le film durait plus de 3 heures. Dans la mouture présentée à Cannes et projetée en salle, il ne reste plus que 2 heures et 18 minutes.
Je propose à Malick de couper encore une bonne demi-heure. Et je sais où il faut élaguer : dans tout le fatras ‘new age’, sorte de crème chantilly écœurante qui gâche un très beau gâteau.
Au cœur de l’histoire : l’enfance de trois jeunes frères à Waco au Texas, dans les années 50, sous l’autorité d’un père rigide incarné par Brad Pitt. Cette partie centrale est la meilleure de l’ensemble, avec des moments sublimes de cinéma dans ce quartier pavillonnaire propret où les tensions familiales s’exacerbent. C’est un film sur l’enfance et la filiation : le père, la mère (Jessica Chastain) et les trois fils interagissent avec un minimum de dialogues.
Les acteurs sont irréprochables, en particulier Jack, le fils rebelle qui est le catalyseur des conflits. Brad Pitt interprète à merveille un père inflexible qui aurait voulu être musicien classique (il joue du piano à la maison et de l’orgue à l’église) mais qui n’est qu’un cadre moyen peu épanoui. Tout est dit par un regard, une amorce de geste. C’est absolument remarquable de finesse et de justesse. Ajoutons que la cinématographie est magnifique. Nouvelle preuve que la prise de vue numérique apporte désormais un résultat supérieur au film argentique, surtout quand on profite d’une bonne projection, comme celle dont j’ai bénéficié au cinéma ‘Max Linder’ sur les grands boulevards, sans doute la meilleure salle de Paris sur le plan technique.
Seulement voilà, Malick, d’ordinaire sobre et tout en retenue, s’est lâché inutilement dans un délire philosophique assez pataud. Il a introduit une interminable séquence darwiniste sur la cosmogonie et la cosmologie, séquence composée de planètes en révolution dans l’espace, de fonds sous-marins, d’explosions volcaniques, de cellules observées au microscope et de dinosaures virtuels échappés de «Jurassic Park». C’est incompréhensible, prétentieux et passablement ennuyeux. On dirait un interlude interminable.
Autre incongruité plaquée sur la partie années 50 très réussie : l’apparition de Sean Penn qui évolue dans un décor moderne d’immeubles de bureaux, avec ascenseurs panoramiques et façades de verre. Sean Penn, si j’ai bien compris, c’est le jeune Jack de la partie années 50 devenu adulte et qui se remémore son enfance. Il se traine, la mine sombre, dans un environnement froid et aseptisé en songeant à ses jeunes années. Comme le chantait Barbara : «Parmi tous les souvenirs, ceux de l’enfance sont les pires». Cette thématique est un classique de la littérature : de Chateaubriand à Proust en passant par Ernest Renan («Souvenirs d’enfance et de jeunesse») et Georges Pérec («W ou le souvenir d’enfance»).
Dans le film de Malick, les séquences 21ème siècle avec Sean Penn sonnent creux. On sait que c’est là que le réalisateur a déjà opéré le plus de coupures par rapport au montage initial. Cet aspect du film est devenu totalement bancal. A mon avis, il peut tout couper là-dedans. C’est superflu et lourdingue.
Même chose pour la séquence finale, sorte d’arrivée au Paradis : une foule de personnages languissants arpente une plage nimbée d’une lumière blanchâtre. Sean Penn, passant par là avec une lasse nonchalance, croise ses parents et ses frères encore jeunes, mêlés à des inconnus au regard vide. On dirait du Lelouch ayant lu «La Bible pour les nuls». Ça aussi, on coupe.
Il ne nous reste donc que la partie centrale de ce «Tree of life». Gardons le tronc, coupons les branches mortes, les excroissances difformes. Et ce tronc est solide. Il se suffit à lui-même. C’est toute la longue séquence très maîtrisée, située dans les années 50 avec le couple et leurs trois fils, dans ce quartier résidentiel de Waco au Texas.
Puisque Malick refusera de refaire le montage une nouvelle fois, je vous donne le mode d’emploi du film. Vous arrivez au début. C’est nécessaire. Au bout de vingt minutes, vous avez droit à une récréation d’un bon quart d’heure : allez aux toilettes, passez quelques coups de fil, fumez une cigarette sur le trottoir du cinéma pendant la projection du diaporama philosophico-cosmogonique. Vous ne raterez rien. Il ne se passe rien. Et les dinosaures étaient mieux reconstitués chez Spielberg. Revenez ensuite pour voir la meilleure partie du film : la période années 50. Et partez 5 minutes avant la fin : vous échapperez ainsi aux retrouvailles évaporées sur le rivage évoquant le Paradis.
C’est donc un très beau film. Un film à voir. Mais pas en entier.
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