mardi 28 juin 2011

"Une séparation" : le pour et le contre

Quand la critique cinéma est à ce point unanime, je ne reste pas indifférent. Je vais voir le film en question. J’y vais même en sachant que le sujet ne va guère me passionner : une histoire de séparation, un divorce, un couple qui se déchire.

Circonstance aggravante : le tout se passe à Téhéran. Deux heures en langue farsi avec sous-titres. Et c’est un film avec beaucoup de dialogues. Beaucoup de lecture, donc. Avec l’anglais et, dans une moindre mesure, avec quelques langues européennes courantes, je me débrouille. Mais, je l’avoue, en farsi, je suis nul.
J’ai donc vu «Une séparation», long métrage acclamé par tous les folliculaires spécialisés. Et plébiscité aussi par le public : les entrées sont inespérées pour un film a priori rébarbatif (chamailleries conjugales en Iran).

Je dois à la vérité de dire que ce film abonde de qualités. L’interprétation est exceptionnelle. Ces acteurs et actrices inconnus de nous sont remarquables. Ils ont été récompensés à juste titre dans leur ensemble par le palmarès du festival de Berlin. Le scénario est d’une grande justesse : il combine un suspens judiciaire à une histoire intime complexe. En prime : un aperçu absolument inédit de la vie quotidienne dans la bourgeoisie de Téhéran à notre époque. Rien que pour ça, «Une séparation» mérite largement d’être vu.

Mais (car il y a un «mais») je n’ai pas été emporté par ce film. J’exprime d’abord des réserves esthétiques. La cinématographie est pauvre. La plupart des plans, filmés à l’épaule avec une longue focale, sont brouillons. Le réalisateur Asghar Farhadi nous inflige aussi souvent des plans fixes interminables, mal cadrés, mal fichus. Le découpage et le montage sont dignes d’un télé-film. C’est un film moche, malgré son intensité dramatique indéniable.

Le fond de l’histoire m’intéresse peu (c’est un point de vue totalement subjectif) : la brouille d’un couple, les tourments de la fille adolescente déchirée entre son père et sa mère, le conflit entre la famille bourgeoise et les «gens du peuple». Tout cela est très convenu. "Ça pourrait se passer à Paris", disait une spectatrice à la sortie.

Plus difficile à mesurer : le poids de la censure des mollahs. Il est évident que le réalisateur s’efforce sans cesse de ne pas dépasser les limites imposées par le régime : aucune critique de la justice, aucune remise en cause du poids de la bureaucratie, pas un mot qui pourrait contrecarrer directement les dogmes religieux. Ceux-ci sont acceptés et validés tout au long du film.

Comment faire autrement ? Réaliser un film en Iran actuellement n’est pas une mince affaire. Asghar Farhadi est allé aussi loin qu’il a pu. Mais on sent en permanence les contraintes qui le limitent.

Telles sont les réserves que j’exprime à l’égard de ce film au demeurant fort honorable. Mieux que ça : il est évident que Asghar Farhadi pourrait un jour nous offrir un grand film s’il n’était plus prisonnier du carcan politique et religieux de son pays. Il a le sens du récit, il sait choisir et diriger ses acteurs. Avec davantage de moyens techniques, il pourrait aussi parfaire ses images, actuellement pauvrettes et chaotiques.

«Une séparation» est un film à voir, pour prendre date. Mais ce n’est assurément pas le chef-d’œuvre annoncé avec précipitation. 

1 commentaire:

  1. La c'est vraiment le coup de la bouteille a moitié vide et a moite pleine.!
    A mon humble avis,il faudrait avoir une lecture exactement inverse et admirer a travers le jeu effectivement subtile avec ce qu'on imagine de la censure locale la façon dont le realisateur s interresse a l'universalité de nos destins individuels dans toute société.
    Je vois quelqu un qui nous dit : ici comme ailleurs; nous avons été modernes; les mollah passsent, nous restons; le moyen âge n est pas éternel; la société iranienne est plus complexe que la vulgate occidentale ne se la represente ( nb: souvenons nous des analyses démographiques d Emmanuel Todd),etc...
    Et finalement un film purement social aux antipodes de l'émotionnel (mais pas du tragique) : d'où justement les partis pris de mise en scène que vous décriez.

    Que deux films aussi antagoniques dans leur parti pris que Incendies et Une séparation aient eu autant de succès en salle ( il faut reconnaitre la dimension " républicaine" dans le fait de se déplacer, payer 10€ plutôt que d' attendre que ça soit at home en DVD), c'est plutôt une bonne nouvelle.

    L' autre mondialisation est en marche, celle que E. Glissant appelait mondialité.Et la, le cinéma a toujours jouer son rôle de passeur...( "le cinéma c est la vie":-)

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