C’est le premier livre de cet auteur américain dont le deuxième ouvrage avait été publié préalablement en français : «Une femme simple et honnête» (même éditeur – 2009).
«The end of the world as we know it» (littéralement : «La fin du monde tel que nous le connaissons») est un roman, largement autobiographique, d’une densité implacable.
C’est l’histoire d’une enfance faussement heureuse dans une famille déglinguée de la bourgeoisie d’une petite ville de Virginie dans les années 50. La Virginie, c’est un état du Sud, c’est même l’épicentre historique du sudisme américain. On y trouve la langueur des jours qui passent, une mélancolie fortement imbibée d’alcool et, comme chez Faulkner, une violence des sentiments intimes.
La famille du narrateur est désargentée mais vit sur un grand pied, multipliant les réceptions mondaines qui sont prétextes à des soûleries collectives. Les trois enfants (tous brillants) se débrouillent comme ils peuvent pour grandir au milieu de ces adultes indifférents, paumés, ratés.
Dans cette famille et dans ses fréquentations, les apparences priment : on s’habille, on babille, on s’émoustille. Les secrets sont lourds et sévèrement conservés au sein de la famille. «Un misérable petit tas de secrets», comme disait Malraux. Une citation souvent attribuée à tort à Mauriac et qui lui convient tout autant.
C’est un secret familial de ce genre qui est la blessure profonde du narrateur. Une blessure de la petite enfance que je ne révélerai pas ici car c’est la clé du livre. L’auteur nous y conduit progressivement puis nous jette en pleine figure, au troisième tiers de son récit, le moment cruel qui éclaire l’histoire. Ou plutôt qui l’obscurcit encore davantage.
C’est un livre déchirant, mordant, douloureux. La peinture de ce milieu médiocrement décadent (nous sommes loin de «Gatsby» !) est «féroce», pour reprendre l’adjectif du titre choisi pour la traduction française. Le narrateur ne nous épargne aucun travers, aucun vice de ses proches. Il ne se ménage pas non plus en nous racontant en détail, arrivé à l’âge adulte, ses tentatives de suicide. L’amour est rare et, s’il survient, il est fugace et déçu.
L’ensemble pourrait être déprimant s’il n’était servi par une écriture incisive et décapante (très bien rendue par la traduction française). Goolrick observe ses proches avec un regard d’entomologiste obsessionnel. Toute la première moitié du roman est une plongée froide dans un univers d’apparences et de mensonges élégants qui permettent de sauver la face. Un humour décalé fait passer la pilule, souvent aigre. Seul le personnage de la mère est dépeint avec une tendresse distante.
Au bout du compte, nous rejoingnons l’anathème d’André Gide dans «Les nourritures terrestres» : «Familles, je vous hais ! Foyers clos, portes refermées, possessions jalouses du bonheur.» Dans le cas de Goolrick, il s’agirait plutôt de la possession jalouse du malheur ou, du moins, d’un pesant mal de vivre.
Ce livre laisse un goût puissamment amer et désenchanté. Mais c’est un vrai livre parfaitement maîtrisé et cohérent. Pas idéal pour lire sur la plage. Si c’est une lecture facile que vous recherchez, vous pouvez opter pour Guillaume Musso ou Marc Lévy. C’est beaucoup moins dérangeant.
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