dimanche 6 mars 2011

Passe moi le beurre...


"Go, get the butter..."
Marlon Brando à Maria Schneider
dans "Le dernier tango à Paris" de Bernardo Bertolucci (1972)
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Délicieux article (bien qu’un peu gras) dans «Libération» d’hier samedi, sous la plume d’Edouard Launet.
Je vous le livre tel quel.
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Assassinat au beurre doux
Un couple de Siciliens a étouffé un homme en lui enfonçant une motte de beurre dans la gorge. C’était un règlement de comptes familial, le 2 février près d’Agrigente. Crime presque parfait : quand la police est arrivée, le beurre avait fondu et l’arme fatale avait donc disparu. Mais crime pas totalement parfait, sinon nous n’en parlerions pas ici. Les pandores, qui ne sont tout de même pas si bêtes, ont flairé l’affaire louche et le beurre rance. Dans le sud de l’Italie, où les affaires de «famille» tournent vite au carnage, les enquêteurs en voient de toutes les couleurs : il est avéré que la mafia a fait faire des progrès considérables à la médecine légale.
Ce n’est pas tous les jours qu’on assassine au beurre. Mais cela arrive de temps en temps. Les lecteurs attentifs des Archiv für Kriminologie se souviennent en effet qu’en 2008, des légistes d’Hanovre, en Allemagne, ont rapporté un cas d’intoxication mortelle dû à de l’arsenic mélangé à du beurre. Ce meurtre avait été commis par une femme qui s’était livré, sans succès jusque-là, à diverses tentatives d’empoisonnement avant de trouver le bon cocktail. Sa victime, allemande, était probablement moins regardante sur le goût du beurre que sur celui de la bière, si l’on veut bien prêter quelque valeur aux stéréotypes. De ce point de vue, les choses sont bien différentes en Italie, où l’on ne fait pas n’importe quoi avec les pâtes, le vin et les produits laitiers. Une pizza à l’arsenic serait immédiatement renvoyée en cuisine. Un beurre à la strychnine révolterait les papilles. Au sud des Alpes, empoisonnez plutôt la choucroute.
Le beurre est obtenu en battant la crème du lait. Comptez 20 litres de lait entier pour 1 kg de beurre. Pour un assassinat, une plaquette de 250 grammes est amplement suffisante, à condition de l’enfoncer profondément dans la gorge. Froid, le beurre s’étale mal mais se marie bien avec le pain, d’où son utilisation sur les tartines. Fondu, il peut servir à faire rissoler des patates. Le beurre devenant liquide à une température proche de 30°C et la température du corps humain étant de 37°C, il est légitime de dire qu’il «fond dans la bouche». Cette liquéfaction prend cependant un certain temps, toujours supérieur à celui de l’asphyxie et généralement inférieur à la vitesse de réaction des carabiniers, surtout si ceux-ci sont prévenus tardivement. Au-delà de 130°C, des composés toxiques se forment, et le beurre fume.
Il est tout à fait possible de se suicider avec du beurre, c’est même un exploit assez courant. Il est plus rare d’être victime d’un rouleau de ruban adhésif, mais la chose s’est vue. Il y a une dizaine d’années, un homme de 66 ans a été retrouvé asphyxié pour des raisons évidentes : il avait autour de la tête deux morceaux de ruban adhésif si longs que le premier avait permis de faire six tours, le second neuf. Bizarrement, la police italienne - car cette autre affaire s’est déroulée dans les Pouilles - a conclu à un suicide. S’ils avaient trouvé un peu de beurre dans la bouche de la victime, les enquêteurs auraient sans doute suspecté un meurtre.
©Libération

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