L’Union Européenne se recroqueville.
L’espace Schengen comprend le territoire de 26 pays (22 de l'U.E. plus l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein) ayant accepté la libre circulation des personnes, des biens et des services par le franchissement sans contrainte des frontières intérieures.
Laurent Wauquiez, ministre chargé des Affaires Européennes, interrogé aujourd'hui sur RMC, était convaincu que seuls 17 pays étaient concernés. Mais on ne peut pas tout savoir quand on est ministre, surtout sur les dossiers qu'on administre...
Cet espace Schengen regroupe 400 millions d’habitants. Il suffit que 25.000 immigrés venus d’Afrique du Nord, principalement de Tunisie, se cognent à cet espace pour que les autorités politiques de certains pays européens se raidissent, prises d’une panique irrationnelle. On agite la peur de l’étranger, la menace d’une invasion par des hordes voraces. 25.000 contre 400 millions.
Malgré ce ratio ridicule, va-t-on replanter des barrières et reposter des douaniers sur les pointillés de nos frontières ? C’est absurde.

Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy ont abordé la question hier à Rome et ils ont évoqué explicitement la possibilité de revenir en arrière et d’instaurer des contrôles. Ce serait temporaire. Mais, dans ce domaine, on sait que le provisoire devient rapidement définitif.
Regardez le «plan Vigipirate». Il est rouge en permanence et les bidasses en treillis patrouillent dans les gares et les aéroports depuis des années. Aucun gouvernement ne prendra le risque d’alléger ce dispositif anti-terrorisme, même si c’était raisonnable.
Si l’espace Schengen se crispe, on ne le décrispera plus jamais. C’est un recul, un abandon de l’idée même de la construction européenne. Les slogans étroitement nationalistes de l’extrême droite font leur chemin. On reste entre nous et on se fiche pas mal de ce qui se passe outre-Quiévrain, à Kehl ou à Vintimille. Chacun chez soi. Chacun pour soi.
Ce réflexe de repli est un aveu d’échec. L’Europe, malgré les belles déclarations des sommets creux avec photos de groupes endimanchés, se montre incapable de définir une politique étrangère commune, cohérente et active. Pour battre en retraite, il y a consensus. Pour imaginer une action généreuse et innovante en direction des pays secoués par des révolutions ou des guerres civiles, il n’y a plus personne.
Ce qui prévaut, c’est une mentalité de boutiquier : au moindre grabuge extérieur, on baisse le rideau de fer.
L’immigration n’est pas un problème. C’est une réalité, un défi que les pays riches comme les nôtres doivent affronter avec lucidité et prospective.
Quand le président Giscard d’Estaing officialisa en 1976 le regroupement familial pour les immigrés légaux, il fit preuve d’humanité. Il était inconcevable que les étrangers vivant en France, travaillant et payant des impôts, restent séparés de leur famille. Cette mesure était juste.
Mais les conséquences n’ont pas été envisagées à long terme. Le regroupement familial n’a pas été accompagné : logement, alphabétisation, adaptation du système scolaire, etc. Les socialistes qui ont ensuite exercé le pouvoir n’ont pas non plus embrassé la question de manière courageuse.
D’où la marginalisation sociale des populations issues de l’immigration et leur dramatique et dangereuse ghettoïsation. L’angélisme de la gauche dans les années 80 est coupable. «SOS racisme» et les boys scouts de «Touche pas à mon pote» ont apporté une réponse folklorique et dérisoire à une question de fond.
L’immigration, à la base, n’est pas un sujet racial et encore moins religieux. Les colloques vaseux sur l’identité et la laïcité organisés par Nicolas Sarkozy ne sont que des écrans de fumée.
L’immigration est, avant tout, une question sociale. C’est la seule approche sérieuse.
Une question sociale et économique. L’Europe vieillit. Elle a besoin des immigrés. La France s’est construite, par vagues successives, par l’apport des étrangers. Ce n’est pas le moindre paradoxe de voir l’Italie devenir le pays de plus rétif à l'immigration. Les Italiens, depuis le début de XIXème siècle, ont émigré en masse. Ils ont «déferlé» dans toute l’Europe et dans le reste du monde. Aujourd’hui, les Italiens se rebiffent face au phénomène inverse. L’arroseur arrosé.
Il est faux aussi de dire que les immigrés viennent manger notre pain (blanc). En France, les immigrés cotisent aux régimes sociaux et versent leur obole au fisc. Le solde est positif, au profit de la France, n’en déplaise à Marine Le Pen qui ne brandit que les chiffres qui confortent ses thèses xénophobes.

On n’arrêtera pas les flux migratoires avec des coups de mentons, des discours martiaux et quelques gabelous repositionnés dans leurs guérites frontalières.
Il faut imaginer une politique d’ensemble qui passe par la coopération avec les pays de départ des immigrés. On a trop longtemps soutenu des régimes corrompus, des dictatures qui désespéraient leurs peuples. «Le printemps arabe» devrait être l’occasion de corriger les errements européens.
Si des jeunes Tunisiens pensent encore que leur salut est en France, c’est qu’ils n’ont pas encore confiance dans l’avenir de leur pays. Il faut aider les Tunisiens en Tunisie, sans néo-colonialisme mais avec respect et générosité. Tout le monde y gagnera.
Ce sera plus efficace que d’ériger des barbelés et des miradors dans tous les recoins de l’espace Schengen.