jeudi 27 janvier 2011

Tunisie : le télégramme fatal de l'ambassadeur Ménat


A ceux qui me reprochent d’avoir accablé injustement Pierre Ménat, ambassadeur de France en Tunisie, muté brutalement à La Haye, je conseille de lire ce que publie aujourd’hui le journal « Le Monde ». Il y est question du dernier télégramme que Pierre Ménat a envoyé à Paris. Télégramme fatal.

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Aux dernières heures du régime Ben Ali, l’aveuglement de l’ambassadeur de France

LEMONDE


L'ambassadeur de France à Tunis estimait que le dernier discours télévisé de Zine El-Abidine Ben Ali, le 13 janvier, pouvait lui permettre de reprendre la main.

L'ambassadeur de France à Tunis estimait que le dernier discours télévisé de Zine El-Abidine Ben Ali, le 13 janvier, pouvait lui permettre de reprendre la main.AFP/FETHI BELAID


M. Ménat, 60 ans, a été remplacé, mercredi 26 janvier, par Boris Boillon, 41 ans, ambassadeur de France en Irak. Ce diplomate est très proche du chef de l'Etat français, Nicolas Sarkozy, dont il a été pendant deux ans, de 2007 à 2009, l'un des conseillers diplomatiques. Une façon, pour Paris, de tenter de tourner la page.

TUNIS, ENVOYÉE SPÉCIALE - Quatre-vingt-treize télégrammes diplomatiques sont parvenus au Quai d'Orsay en provenance de l'ambassade de France en Tunisie depuis le 1er janvier. Tous n'ont pas été rédigés de la main de l'ambassadeur Pierre Ménat, mais il est revenu à ce dernier la responsabilité de livrer les dernières appréciations françaises, quelques heures avant la chute du président tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. M.Ben Ali, estimait-il alors, "peut reprendre la main".

Très critiquée pour les déclarations des ministres français Frédéric Mitterrand, Bruno Le Maire et Michèle Alliot-Marie, aux premières heures du soulèvement tunisien, la France l'est aussi pour le rôle et l'appréciation de la situation par son ambassadeur en poste à Tunis. Dans son dernier télégramme avant la chute du régime, envoyé le 13 janvier à 21h14, M.Ménat écrit que le dernier discours de l'ancien chef de l'Etat tunisien, dans lequel il annonce qu'il ne briguera pas un sixième mandat en 2014, "peut lui permettre de reprendre la main".

Dans ce télégramme de deux pages, que Le Monde a pu consulter, l'ambassadeur conclut en relevant que les "rues se sont remplies de manifestants malgré le couvre-feu", sans préciser que ces manifestations favorables à M.Ben Ali sont totalement orchestrées. Un simple coup d'œil sur l'avenue Habib-Bourguiba – où circulaient des véhicules de location affrétés par le parti au pouvoir, le RCD– suffisait pour le constater. "Il faut attendre un peu pour être sûr que le message est bien passé", tempérait cependant l'ambassadeur.

"Que peut faire la France?", s'interrogeait-il alors en recommandant trois pistes dans la partie réservée au commentaire. La première chose à faire consistait, selon lui, à "entretenir avec les autorités tunisiennes un dialogue d'autant plus franc qu'il sera exempt de critiques publiques", lesquelles, ajoutait-il entre parenthèses,"favorisent ici les plus durs".

"Dans cette période dramatique pour elles, développait ensuite l'ambassadeur, les autorités tunisiennes ne sont pas fermées aux conseils que des amis peuvent leur donner", à quelques "limites" près: "Nos positions les plus nettes et les plus critiques ne peuvent être entendues que si elles ne prennent pas de forme écrite ou publique." Il ajoutait: "L'expérience a montré qu'à chaque fois que cette voie a été empruntée, l'effet a été contre-productif (…). D'ailleurs, le peuple tunisien, même lorsqu'il s'autorise de fortes attaques contre son pouvoir, se solidarise avec ce dernier contre des critiques extérieures…"

AUCUNE RENCONTRE AVEC LES OPPOSANTS

Les deux autres pistes évoquées mentionnaient "l'importance du forum pour l'emploi et la francophonie" prévu au mois de mai; et la poursuite du soutien de la France pour l'octroi du statut avancé de partenaire privilégié avec l'Europe, c'est-à-dire "en entraînant l'Union européenne dans une attitude constructive qui favorise non pas un régime mais tous les Tunisiens"

Le lendemain, des milliers de personnes criaient, sur la même artère Bourguiba, leur rejet du régime de M.Ben Ali, contraignant ce dernier, après quasiment un mois d'émeutes, à prendre la fuite. Dans ce même texte, M.Ménat soupçonnait, malgré un élan populaire indéniable de l'ensemble de la société, des manipulations. "Nul ne peut écarter l'exploitation de cette situation par des mouvements islamistes ou extrémistes", jugeait-il. Enfin, revenant sur les causes de "la perte de crédibilité" du régime, il évoquait la responsabilité des "accusations sans recul" de l'ancien ambassadeur américain révélées par WikiLeaks.

Aveuglement? Naïveté? L'ambassadeur de France apparaît bien loin de la société tunisienne. Nommé à Tunis en septembre 2009, il n'a jamais rencontré les opposants du régime, à commencer par les membres de la Ligue tunisienne des droits de l'homme. "Il n'a vu personne", fustige Khédija Chérif, secrétaire générale de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.

Un grief qui lui est d'autant plus reproché qu'à plusieurs reprises Imed Trabelsi, le neveu du couple présidentiel, maire du très huppé port de la Goulette, a été invité à la résidence de France. Or Imed Trabelsi, l'un des personnages les plus haïs du clan familial, était mis en examen et poursuivi par la justice française pour le vol, en 2006, d'un yacht appartenant à Bruno Roger, l'un des dirigeants de la banque Lazard.

Isabelle Mandraud (envoyée spéciale à Tunis)

©Le Monde

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Lire aussi à ce sujet sur ce blog : Le clairvoyant ambassadeur de France en Tunisie et L'ambassadeur Ménat chassé de Tunis

19 commentaires:

  1. Si le fameux télégramme fait deux pages, c'est qu'il doit contenir une analyse assez détaillée de la situation. le rôle d'un ambassadeur est d'évoquer toutes les hypothèses et les options qui leur correspondent. Je n'ai pas le sentiment en lisant cet article que l'ambassadeur Ménat ait été si aveugle qu'on le dit. Par ailleurs, j'ai une question en ce qui concerne le fait de recevoir les opposants : un ambassadeur en poste dans un pays non démocratique peut-il recevoir officiellement l'opposition sans l'aval du gouvernement français ? un tel acte ne peut-il pas être interprété comme hostile ? Là encore, les ambassadeurs ne font pas la politique étrangère de la France, ils ne font que l'appliquer..

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  2. Atterré, il y a de quoi l'être.
    C'est pire que ce qui était rapporté du télégramme les premiers jours.
    Il n'avait rien vu, rien entendu, rien lu, rien compris de ce qui se passait.
    Le pompon, c'est tout de même qu'il ait mentionné les "accusations sans recul" de l'ambassadeur américain, rapportées par Wikileaks...pourtant précises, bien informées, et sans appel. Il les a condamnées sans y réfléchir.
    Du recul, lui, il a su en prendre, trop, beaucoup trop, pour se protéger de la réalité.
    Un de vos blogger parlait de sclérose.
    Homme de dossier, sans doute, obnunilé par ses projets de forum et d'UPM qu'il portait sans doute à bout de bras, et qui l'empêchaient de regarder au delà.
    C'est triste, parce que c'est probablement un homme intelligent, mais sans doute psychologiquement frileux, ayant besoin de se blottir dans son ronron de dossiers pour se protéger.
    Il est sympathique, humain, disaient des blogueurs dans votre page d'hier.
    Errare humanum est. Son humanité, avec ses faiblesses, il la montre en pleine page du Monde, et j'espère pour lui qu'il est solide.

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  3. Je suis d'accord avec l'anonyme de 15h02. Nous n'avons que quelques extraits du télégramme, qui ne reflètent certainement qu'un aspect de son analyse. Il est si facile de sortir des phrases de leur contexte.

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  4. Les conclusions (erronées) de Pierre Ménat sont pourtant très claires. Nous les connaissons. C'est en partant de là que le gouvernement a cru, à tort, que Ben Ali pourrait se maintenir.

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  5. Que Pierre Ménat se soit trompé,qu'il n'ait pas vraiment compris la situation, c'est une chose.
    Spécialiste de l'Europe, il a dû gérer son ambassade comme les précédentes, avec la conscience professionnelle qui est décrite partout, et probablement de la bonne foi.
    Il n'était pas fait pour ce poste, où il fallait composer avec une bande de malfrats et une administration corrompue, inimaginables à ce point en Europe.
    Celui qui l'a nommé, c'est tout de même Bernard Kouchner, MAM ayant repris le flambeau il y a très peu de temps.
    Personne n'est allé se demander pourquoi Kouchner avait nommé un spécialiste de l'Europe dans un pays du Maghreb. Responsable, il l'est aussi en partie.

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  6. au fait, puisque Anyhow a l'air de tout savoir, j'aimerais savoir ce que disent les télégrammes envoyés entre la semaine dernière et aujourd'hui par l'ambassadeur de France en Egypte....

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  7. RÉPONSE À L’ANONYME DE 15H00

    Aucun télégramme récent de l’Ambassade de France au Caire n’a encore filtré.

    J’apprends par «Le Point» que le ministère français des Affaires étrangères a décidé de resserrer les boulons en matière de sécurité des télégrammes diplomatiques.

    «Le Point» écrit ceci : « Effaré par la diffusion par le site Wikileaks de milliers de câbles du Département Américian, le Quai d’Orsay a décidé de réduire les risques de fuites en interdisant les photocopies de tous les télégrammes, même les plus anodins. »

    S’agissant de l’ambassadeur français en Egypte, il s’agit de Jean Félix-Paganon, 60 ans, très bon spécialiste du Moyen-Orient, dont j’ai pu personnellement (petite révélation) apprécier les qualités de diplomate sur des sujets difficiles. Il est arabophone et a déjà été en poste dans plusieurs capitales de la région.

    La France entretient moins de liens de connivences coupables avec Hosni Moubarak qu’elle n’en a entretenu avec le régime de Ben Ali.

    Il me semble, mais ce n’est que de la conjecture, que Jean Félix-Paganon est en mesure d’analyser avec plus de clarté et de liberté la situation en Egypte que n’a su ou voulu le faire Pierre Ménat en Tunisie.

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  8. je suis impressionné par la précision des informations de Anyhow. on dirait que cet homme (ou cette femme ?) sait tout sur tout. vous avez l'air de connaître personnellement tous ces ambassadeurs (vous le "révélez" dans votre dernier commentaire). Travaillez vous au Quai d'Orsay... ou aux services de renseignements ? en tout cas, continuez à nous donner vos révélations en priorité !

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  9. Je sais des choses, je connais des gens, je m'informe et parfois, je transmets. Restez en ligne...

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  10. Allez voir l'enquête de Mediapart sur les ambassades, et sur celle de la Tunisie en particulier: "Comment l'ambassade de France n'a cessé de soutenir Ben Ali", ainsi que les commentaires.

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  11. Anonyme de 18h59 - N'avais-je pas raison avant tout le monde sur ce sujet ?

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  12. Anyhow de 21h 21.
    Vous aviez raison, avec quelques autres, dès la première heure.
    Oui.
    On est tout de même beaucoup à le confirmer.
    Pourquoi poser cette question?
    On dirait que vous doutez.

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  13. Il faut toujours douter. C'est la sagesse qui le commande.
    Sur cette histoire diplomatique tunisienne, j'ai senti rapidement qu'il y avait une faille. Je n'ai pas voulu mener un combat personnel contre Pierre Ménat. Ce n'est pas l'homme que je visais. C'est le fonctionnement d'un système.
    Maintenant que j'y repense et que je fouille dans ma mémoire : figurez-vous que j'ai croisé personnellement Pierre Ménat à plusieurs reprises. Il ne s'en souvient sans doute pas. Moi-même, il m'a fallu du temps pour me remémorer ces rencontres fugaces qui remontent à une quinzaine d'années.
    C'était dans un autre temps, en d'autres lieux.
    Je souhaite à Pierre Ménat une belle fin de carrière à La Haye et ailleurs, si besoin.
    Ce que j'ai écrit ici, parfois de manière exagérément virulente, c'est mon exaspération de ne pas voir la France, mon pays, saisir au bon moment un tournant majeur dans un pays ami dont nous sommes si proches, la Tunisie.
    L'ambassadeur Ménat a été dépassé, mal informé, aveuglé. Il n'a pas compris ce qui se passait en Tunisie. Ça arrive à tout le monde de se tromper. Quand on rate à ce point un épisode important de son histoire personnelle et professionnelle (et une page de l'Histoire), c'est plus grave.

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  14. Il semble que cette remontée de souvenirs de 15 ans soit contemporaine, en heures, du "vrac de vos idées".
    Tous ceux qui ont approché Pierre Ménat semblent être restés sous le charme d'un homme consciencieux, bosseur, foncièrement gentil, sans le côté péjoratif du mot.
    La description des soirées où il chantait Piaf témoigne peut-être qu'il s'agit d'un être plus artiste qu'homme d'affaire, et naïf dans le sens où il a été dépassé, parce qu'il ne pouvait pas l'imaginer, par la perversion du régime de Ben Ali.
    Si vous l'aviez connu sous ce jour-là, il est compréhensible que vos souvenirs se troublent de quelques sentiments de culpabilité.

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  15. Vous dites que l'homme est gentil, bosseur, consciencieux. Sans doute.
    Quand il a été confronté à la crise la plus sérieuse de sa carrière diplomatique (les événements de Tunisie), il n'a pas été à la hauteur.
    Je n'ai pas de culpabilité (pourquoi, d'ailleurs ?). J'éprouve juste un peu de tristesse et de commisération en voyant un honnête homme dépassé par une situation.
    Rien n'empêchait Pierre Ménat de tenter une carrière de chanteur.

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  16. Je n'ai jamais rencontré Pierre Ménat, mais j'ai attentivement lu tous les commentaires, jusqu'à celui où vous dites l'avoir rencontré, et où vous parlez d'un "honnête homme", ce qui résume ceux qui disent l'avoir rencontré.
    Des tempêtes de réflexions ont suivi dans mon petit cerveau.
    Qu'est-ce qu'un "honnête homme"? Qu'est-ce qu'un homme honnête?
    Consciencieux, travailleur, respectueux de valeurs, sans doute.
    Mais comment, en fréquentant des hommes politiques, peut-on préserver ses valeurs?
    Soit on démissionne, soit on pète les plombs, soit on ferme les yeux sur ce qui est intolérable, soit on tire un trait sur son éducation et les valeurs acquises, et on s'accomode.
    Le cas Pierre Ménat m'est une énigme. Il a choisi la troisième solution, fermer les yeux, ce qui me semble, après un si long parcours dans les ambassades,et au Quai, quasiment impossible.
    A moins d'un syndrome de "Peter Pan".

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  17. Retour sur le fameux télégramme.
    Un des diplomates qui a signé le texte "Marly" affirme que le Quai d'Orsay a donné au Monde une version tronquée du télégramme de Pierre Ménat, qui y aurait envisagé le départ de Ben Ali.
    C'est à lire dans un article du Nouvel Obs.
    Donc, ce serait "Le Monde" qui se serait fait enfumer dans l'histoire.
    Après ce que nous a montré Alliot-Marie de ses capacités à monter des bateaux énormes,de trahir la vérité, une machination, pour justifier le départ de l'ambassadeur à Tunis, et concentrer sur lui les critiques, ne semble pas impossible.
    La perversité domine dans la gestion des affaires étrangères, la vraie perversité, la négation de l'autre pour aboutir à ses fins.

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