"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')
jeudi 19 juin 2008
Les gens du voyage...
"Le suspect appartient à la communauté des gens du voyage".
C'est ce qu'on lit et entend ces jours-ci après l'arrestation de l'homme soupçonné d'avoir tué une institutrice à la retraite à Nantes. Le corps de la victime, découpé en morceaux, a été retrouvé réparti dans deux valises.
"La communauté des gens du voyage".
C'est une expression singulière, utilisée à outrance par les médias.
En fait, après une petite enquête, je découvre qu'elle provient du langage administratif et de deux décrets de 1972 relatifs à la loi de 1969 sur "l'exercice des activités économiques ambulantes". Grâce soit rendue ici au Législateur !
C'est donc cette formulation technocratique qui a supplanté, dans le lexique médiatique, d'autres appellations que l'on utilisait auparavant pour désigner des nomades qui le sont de moins en moins.
Jadis ou naguère, on disait : Les Manouches, les Bohémiens, les Roms, les Romanichels, les Romanos, les Tsiganes, les Gitans. On pensait très fort (sans le dire) : les voleurs de poules.
Dès le Moyen Age, cette minorité très diverse a eu mauvaise réputation,. On la connaît mal, on l'évite. Pour la laisser dans le flou, les pouvoirs publics de la Cinquième République ont donc inventé cette étiquette aseptisée : "les gens du voyage".
Cette expression est inepte. Elle est d'abord largement fausse car cette population est majoritairement sédentarisée. On estime que 15% seulement des "gens du voyage" voyagent encore.
"Les gens du voyage", ça ne veut rien dire. Le contrôleur de la SNCF, l'hôtesse d'Air France, l'employé de 'Nouvelles Frontières', le conducteur de métro ne sont-ils pas, bien davantage, des "gens du voyage" ?
Je m'interroge sur les médias qui ne manquent jamais de souligner l'appartenance du moindre délinquant à "la communauté des gens du voyage", alors qu'il est désormais très mal vu dans la presse écrite ou audio-visuelle de dire qu'un voyou est noir ou arabe. Ce serait raciste. Mais "les gens du voyage" peuvent être stigmatisés à loisir.
Franchement, qu'est-ce que ça change de savoir que le présumé découpeur de cadavre de Nantes appartient à la "communauté des gens du voyage" ? Ou alors, les plumitifs à la petite semaine se réjouissent-ils d'associer le mot "voyage" aux "valises" où les morceaux de l'institutrice morte ont été retrouvés ?
Comment désigner les minorités ? Dans ma prime jeunesse, on ne disait pas "maghrébin". La guerre d'Algérie était encore proche. On disait : "Nord-Africain" quand on était poli. On entendait aussi, plus couramment : raton, crouille, bougnoule.
Même chose pour les homosexuels. Aujourd'hui, quand on veut faire politiquement correct, on dit "gay". C'est un mot idiot d'importation américaine.
Pour rester sur le même paradigme, on entend le plus souvent "pédé", expression péjorative, détournée positivement par beaucoup d'homosexuels qui la revendiquent pour se désigner eux-mêmes.
Du temps de Marcel Proust ou d'André Gide, on disait sobrement "inverti".
Aujourd'hui, le vocabulaire fleuri ne manque pas : pédale, tarlouze, tafiole. Le mot le plus usité comme injure suprême dans les stades de foot et dans les cours de récréation, c'est : "enculé". Ça a le mérite d'être clair.
Alors comment, en termes choisis, décrire une liaison amoureuse entre un maghrébin et un autre homme, "issu de la communauté des gens du voyage" ?
Je vous laisse le soin d'imaginer les combinaisons de vocabulaire, grâce au lexique (non exhaustif) que j'ai égrainé dans les lignes qui précèdent.
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