"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 31 octobre 2010

Avantages à qui ?


Le SNPL France Alpa, premier syndicat des pilotes de ligne français, et le SNPNC, premier syndicat des hôtesses et stewards français, ont lancé un préavis de grève de quatre jours, du vendredi 5 au lundi 8 novembre.

Motif de cette longue grève en perspective ? L’Assemblée Nationale a voté un amendement qui prévoit de taxer partiellement les billets d’avion gratuits ou à prix très réduits dont bénéficient les personnels des compagnies aériennes. Il s’agit pour ces personnels d’un appréciable avantage en nature, d’une source de revenus opaque non déclarée. Pourquoi ces bénéfices devraient-il échapper à l’impôt ?

On notera que l’Assemblée est moins timorée à l’égard des personnels des compagnies aériennes qu’elle ne l’est face aux agents de la SNCF.

En février dernier, un rapport de la Cour des Comptes s’étonnait de la grande générosité de la SNCF qui offre à ses 840.000 agents des billets de train gratuits ou presque gratuits, ainsi qu’à leur famille et à tous les retraités de la société ferroviaire nationale.

Avec les combines, les petits trafics, on peut considérer qu’un million de personnes voyagent en train gratuitement en permanence en France. Il était question de réformer ce système. La direction de la SNCF a essayé de le faire. Une grève a été aussitôt brandie. Maintenant, on n’en parle plus du tout.

Roule, roule, train du plaisir !

37 millions d'euros à gagner !


C’est une goutte d’eau, je le reconnais. Ça ne coûte que 37 millions d’euros par an. Mais ça ne sert strictement à rien. Cela s’appelle le Conseil Economique, Social et Environnemental.
Cette assemblée siège au Palais d’Iéna dans le 16ème arrondissement de Paris, l’un des plus beaux exemples d’architecture de la première moitié du XXième que l’on doit à Auguste Perret, maître du béton élégant. Franchement, c’est un bel édifice, doté en particulier d’une jolie rotonde et d’une double coupole qui surplombe une salle de conférence de 300 places.
C’est néanmoins une coquille vide car le Conseil Economique, Social et Environnemental est une institution rigoureusement inutile. Selon la Constitution, il s’agit de la troisième assemblée de la République après le Sénat et l’Assemblée Nationale (dans l’ordre de préséance).
Le Conseil Economique, Social et Environnemental doit en principe réfléchir au fonctionnement de la société française et, si possible, indiquer des pistes de réflexion.
En réalité, ce Conseil Economique, Social et Environnemental n’a aucun pouvoir, aucun rôle actif, sauf celui de pondre de doctes rapports qui finissent tous dans les oubliettes.
Cette assemblée compte 233 membres. Aucun n’est élu. Tous sont « désignés » pour 5 ans (renouvelables), essentiellement par les organisations professionnelles ou sociales. C’est une bonne gâche pour des patrons ou des syndicalistes en fin de carrière.
Le gouvernement dispose aussi d’un droit direct de nomination pour 40 sièges (et d’un droit indirect, sous son contrôle, pour 30 autres sièges).
Jadis, François Mitterrand avait fait jaser en nommant à ce conseil la chanteuse Georgette Lemaire (j’ai vérifié : elle est toujours vivante, mais elle ne siège plus au Palais d’Iéna).
Cette semaine, Nicolas Sarkozy et son gouvernement viennent de pistonner une nouvelle brouette de « conseillers ». Parmi les 40 heureux élus, on remarque aussitôt Raymond Soubie, ci-devant conseiller social de l’Elysée qui quitte ses fonctions au palais présidentiel. Bon, je vous l’accorde, « Raymond la science » (comme on le surnomme) n’usurpe pas sa place au Conseil Economique, Social et Environnemental. C’est même un expert des questions sociales, ce qui ne confère pas pour autant à l’institution une utilité spontanée.
Dans les autres nominations gouvernementales, je relève deux noms cocasses : l’escrimeuse Laura Flessel et la navigatrice Maud Fontenoy. Dans le genre incongru, ça vaut Georgette Lemaire.
Ces deux sportives méritantes vont donc siéger au Conseil Economique, Social et Environnemental.
Enfin, qu’elles ne fassent de zèle intempestif : l’assiduité n’est pas la règle essentielle. Le Palais d’Iéna est le plus souvent celui des courants d’air. Les séances plénières sont rares et peu suivies.
Ces nominations sont évidemment assorties d’émoluments. Un membre du Conseil Economique, Social et Environnemental touche au minimum 3788 € brut, environ 3000 € net. Il y a en outre des primes diverses et variées et des avantages substantiels sur les transports.
Le président de cette assemblée reçoit le double de la somme de base, plus des frais de représentations et autres bricoles. Le président actuel est le charismatique et pourtant discret Jacques Dermagne. Vous l’ignoriez ? Maintenant, vous le savez.
Vous allez me dire, 3000 €, il n’y a pas de quoi faire un scandale. Non, à condition que ce zinzin ait une quelconque utilité et ne soit pas un parking chauffé à copains ou à copines, une réserve naturelle de planqués.
3000 €, ce n’est rien, mais c’est quand même trois fois le SMIC !
Et ces 3000 € sont versés à des personnalités diverses et variées qui ne rendent aucun service précis à la collectivité. Donc, c’est très cher payé.
Pour mémoire, je rappelle ce que j’indiquais en préambule : le Conseil Economique, Social et Environnemental coûte 37 millions d’euros par an à la Nation, à vous, à moi, humbles contribuables. Le budget de l’Etat, très déficitaire, pourrait aisément se dispenser d’une telle dépense.
En cas de dissolution salutaire de ce machin superflu, Raymond Soubie (qui touche déjà sa retraite depuis longtemps) pourrait davantage s’intéresser au Théâtre des Champs-Elysées dont il est le Président. Laura Flessel pourrait astiquer à loisir ses épées. Maud Fontenoy pourrait ramer et louvoyer dans des eaux moins troubles.
Personne ne s’apercevrait de la disparition du Conseil Economique, Social et Environnemental.
Alors, pourquoi attendre ?

vendredi 29 octobre 2010

Ouf ! Dahan a été viré de France-Inter....


A son tour, le prétendu humoriste Gérald Dahan a été viré de France-Inter. C’est une bonne nouvelle. Que Philippe Val, patron de cette chaine de radio publique, soit remercié pour ce sursaut tardif de bon sens.

Dahan est un amuseur qui n’a jamais été drôle. C’est un mauvais imitateur qui interprète mal des textes médiocres. Sa dernière prestation, hier jeudi, était encore plus lourdingue que d’habitude. La cible en était la pauvre Michèle Alliot-Marie, assise à côté de Dahan dans le studio. Sur la vidéo (voir le site de France-Inter) de ce petit sketch minable, MAM ne parait même pas scandalisée par l’outrance gratuite des propos de Dahan. Elle semble plutôt consternée par tant d’insignifiance exprimée avant une telle assurance.

Maintenant que Dahan a été prié de ne plus polluer les ondes matinales, j’espère qu’on ne va pas en faire un nouveau martyr de la liberté d’expression.

Et je me permets de reposer la question que je vous soumettais sur ce blog au début de ce mois : depuis quand les humoristes sont-ils devenus indispensables à une tranche d’information matinale à la radio ?

(Ce qui suit est une rediffusion de mon texte du 8 octobre dernier)

L’éviction de Stéphane Guillon et de Didier Porte à la fin de la saison dernière a provoqué une bronca à France-Inter, comme si le sort de la station publique reposait uniquement sur eux. Les autres grandes radios nationales comptent également beaucoup sur la petite séquence en principe marrante qui fédère une audience appréciable.

Ainsi donc, les Français, entre la tartine grillée, la brosse à dents et les embouteillages, n’accepteraient pas de se passer d’une petite tranche de bonne rigolade. Un amuseur, un imitateur, un chansonnier, chaque antenne veut avoir le sien (même France Bleu Ile-de-France !).

C’est un phénomène récent. Pendant des décennies, on a fait de la radio en France le matin sans avoir recours à un rigolo de service. Il n’y a encore pas si longtemps, les infos à la radio c’était : donner les dernières nouvelles l’heure et la météo, interviewer les personnalités dans l’actualité.

Un jour, le directeur d’une radio (je ne sais plus laquelle) a dû se dire que ce menu rigoureux était indigeste. Pour faire passer cette pilule amère, il était indispensable de l’entourer d’un peu de sucre. Les infos, c’est anxiogène. Rions un peu !

L’idée vient sans doute indirectement des « Guignols » de Canal +. Les spécialistes avaient remarqué, il y a une quinzaine d’années, que de nombreux téléspectateurs (les jeunes, en particulier) s’informaient exclusivement en regardant « Les Guignols ». La parodie était plus attirante que l’original. Le meilleur atout de Chirac dans la campagne de 1995, ce fut peut-être sa marionnette des « Guignols ».

Depuis, le contexte a changé. Les médias se sont atomisés, le public s’est dispersé en ayant recours à un nombre grandissant de supports (presse gratuite, multiplication des stations de radio, TNT, internet.)

Pour tenter de rallier une audience très sollicitée, il faut donc un produit d’appel, un rendez-vous présenté comme caustique ou désopilant. Les auditeurs écoutent probablement sans passion le résumé des informations fait par un journaliste. Mais quand surgit l’amuseur officiel, on monte le son !

Le réel est en effet bien triste : les grèves, les retraites, les terroristes. Oublions tout ça en nous fendant la poire. C’est « la promesse », comme disent les pubeurs et les gens du marketing qui désormais dirigent les radios. La promesse est inégalement tenue, comme le démontrent les piteuses prestations des nouveaux bouffons que France-Inter tente actuellement d’imposer.

Rire, pourquoi pas ? Ce n’est pas un péché. Mais la présence, désormais inévitable, de ces séquences boute-en-train constitue pour les rédactions de radio (et pour les journalistes en général) un aveu d’échec.

Les émissions d’information pure et dure (style Europe 1 des années 60-70) sont devenues rébarbatives pour le public. Pour attirer le chaland, on lui annonce qu’il va se marrer, pas pendant des heures, mais pendant quelques minutes, en général en fin de tranche matinale pour conserver les clients jusqu’au bout.

C’est le sussucre qu’on donne au chien-chien s’il a été sage. Ou la carotte qui pend devant les naseaux de l’âne et qui le fait avancer.

jeudi 28 octobre 2010

Ubu Roi.


Comme en écho à ce que j’écrivais ici hier, voici l’éditorial de Franz-Olivier Giesbert dans ‘Le Point’ de cette semaine. Rien à ajouter, tout est dit.

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Au pays d'Ubu

Il y a décidément une exception française.

La preuve, nous venons de vivre quelques semaines absolument exceptionnelles.

- La France s'est arrêtée à la suite d'un mouvement de grève déclenché contre l'allongement de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans par des professions qui la prennent généralement à... 55 ans.

- Les grutiers du port de Marseille ont cessé le travail pour obtenir la réduction de leur temps de travail hebdomadaire à 12 heures pour un salaire de... 4 500 euros.

- Les syndicats qui mènent la danse ne représentent, à cinq, que 8 % des salariés, et encore, en comptant le secteur public. Cette sous-syndicalisation est au demeurant une des raisons du charivari social.

- Nous sommes le seul pays au monde où les lycéens ont, pour les représenter, de vrais syndicats qui s'occupent de tout, sauf du fonctionnement des lycées. Jeunisme qui s'étend aux étudiants, pour qui l'Unef réclame la prise en compte dans le calcul des retraites des années passées à l'université. Avant de demander sans doute la même chose pour les maternelles.

- Le patronat est tellement refroidi qu'il n'ose même pas ouvrir la bouche, de peur d'être traité d'ultralibéral, voire d'ultrafasciste.

- La gauche condamne la réforme des retraites et ses dirigeants participent aux manifestations, souvent en tête des cortèges, mais assurent aussitôt en privé qu'ils se débrouilleront, s'ils arrivent au pouvoir, pour ne pas la remettre en question.

- Les ministres du gouvernement ont appris qu'ils étaient dans la ligne de mire le jour où Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il allait procéder à un remaniement, en donnant même les noms de futurs limogés. C'était il y a six mois. Depuis, il les observe se tortiller. Une leçon de darwinisme appliqué.

Rassurons-nous. Il y a encore d'autres exceptions qui peuvent donner aux touristes d'autres raisons encore de venir nous visiter.

©Le Point

mercredi 27 octobre 2010

Tout ça pour ça


Cette fichue réforme des retraites est donc votée définitivement. Vous en doutiez ? Nous allons enfin sortir de ce psychodrame ridicule et inutile.

Dans cette histoire, il n’y a que des perdants.

D’abord le gouvernement et le président Sarkozy qui ont été incapables de proposer des explications convaincantes et d’offrir une pédagogie efficace afin d’imposer un texte nécessaire même s’il est d’une effarante timidité. Cette réforme est largement insuffisante. Les sacrifices à venir seront encore plus cruels. Parions que nous rouvrirons le dossier des retraites, exactement le même, dans moins de cinq ans.

Mais le pouvoir actuel, handicapé par un climat délétère (l’affaire Woerth-Bettencourt, la surenchère sécuritaire, etc.), a perdu sa légitimité. Plus personne n’écoute les membres de ce gouvernement. Plus grave sans doute, le président de la République réunit sur son nom une énorme majorité de mécontents : 70 %. Dans ces conditions, comment voulez-vous rendre populaire ou, au moins, acceptable une réforme qui exige de faire des sacrifices ?

L’opposition n’est guère plus glorieuse. Les cerveaux du Parti Socialiste n’ignorent pas qu’il est impossible de maintenir en l’état le système actuel des retraites, ainsi que bon nombre « d’acquis sociaux » (comme ces funestes 35 h). Mais personne au PS n’a le courage de le dire. Ecoutez attentivement les déclarations faites depuis un mois par tous les ténors socialistes sur les retraites. Je n’ai entendu que du louvoiement. Ils promettent, la main sur le cœur, de revenir au départ à 60 ans s’ils retournent aux affaires. C’est un mensonge qui ne sera pas tenu, tout simplement parce que c’est intenable. Là encore, prenons date.

Dans ce capharnaüm, le pompon revient quand même aux syndicats. C’est quoi le syndicalisme en France ? Rien du tout. Et c’est d’ailleurs un drame. Si les syndicats étaient mieux implantés, vraiment représentatifs, ils ne seraient pas forcés de faire de la surenchère. Le syndicalisme français ne repose que sur la vocifération et l’excès. Il est inopérant. Son râle permanent est un cri de détresse avant l’agonie.

Les syndicats en France, malgré leur forte faculté de nuisance dans certains secteurs, sont quasi inexistants. Le taux de syndicalisation des salariés français est de 8% (secteur public et privé confondus). Dans le secteur privé, c’est moins de 5%. François Chérèque ou Bernard Thibault sont les leaders bruyants de groupuscules insignifiants.

Rappelons ensuite que ce sont les professions les plus protégées qui ont, comme d’habitude, pourri la vie des millions de Français ces dernières semaines. Le conducteur de la SNCF qui n’a pas pris les manettes de son train en faisant grève récemment partira néanmoins à la retraite à 50 ans. La réforme actuelle ne le concerne pas du tout. Si le calendrier est respecté, son sort sera éventuellement examiné dans une quinzaine d’années avec beaucoup de généreux accommodements.

Enfin, deux mots sur la jeunesse, la jeunesse syndiquée, spécialité française. Dans aucun autre pays, on ne trouve la trace d’un « syndicat lycéen ». Cette notion, c’est tout simplement du délire. Le fait même qu’on puisse reconnaître l’existence de syndicats lycéens me laisse profondément perplexe.

Il y a dans notre pays plus de deux millions de lycéens. Les deux principaux ‘syndicats de lycéens’ (UNL et FIDL) revendiquent ensemble 13.000 adhérents (chiffre autoproclamé totalement invérifiable). Le ratio est éloquent : 13.000 militants sur 2 millions de lycéens. Il n’empêche que cette infime minorité agissante a réussi à entrainer les autres dans un mouvement ubuesque. Les adolescents inquiets pour leur retraite ? Vaste blague. Vont-ils bientôt défiler pour exiger une garantie obsèques ?

Du côté des étudiants, la mobilisation a été assez poussive. Là encore, il est utile de rappeler que le principal syndicat étudiant, l’UNEF, est pratiquement inexistant. Il y a environ 2,2 millions étudiants en France. L’UNEF ne compte que 30.000 adhérents. C’est très faiblard. L’UNEF est un ectoplasme à qui on donne exagérément la parole.

Bon, maintenant, ce petit monôme automnal est terminé. Il aura suffit d’une période de vacances et la perspective des dépôts de chrysanthèmes de la Toussaint pour calmer tout le monde, y compris les ramasseurs de poubelles de Marseille.

Le PS va pouvoir revenir à l’essentiel : l’organisation de ses prometteuses primaires. Le président Sarkozy tentera prochainement d’amuser la galerie avec un exercice moyennement divertissant : un remaniement gouvernemental.

La France, déjà au bord de la banqueroute, aura perdu presque 3 mois en vaine agitation.

Et en 2013, que fera-t-on ? Surprise ! On entamera une nouvelle réforme du système des retraites. C’est déjà prévu. Sisyphe est prévenu.

mardi 26 octobre 2010

Flash-back analogique


C’est en écoutant la très bonne chronique de Guy Carlier ce matin sur Europe 1 que j’ai été saisi d'un frisson, pas celui provoqué par le grand vent de l'Histoire mais par le courant d'air du temps qui passe.

Carlier évoquait la décision prise hier par Sony au Japon de cesser de fabriquer le célèbre Walkman à cassette.

Mis sur le marché mondial il y a 30 ans, ce petit appareil a accompagné toute une génération. Grâce au Walkman, la musique devenait portative, individuelle et même égoïste à cause des écouteurs.

Les jeunes gens d’aujourd’hui doivent se demander si je suis né dans un recoin de la grotte de Lascaux. Le Walkman était en effet le lecteur MP3 de l’homme de Cro-Magnon. Je vous parle du temps analogique, il y a très très longtemps, juste après le paléolithique supérieur. Nous étions dans les années Mitterrand-Thatcher-Reagan, juste avant l’ère digitale.

J’ai fouillé dans mes placards. J’ai retrouvé deux Walkmans (c’est le pluriel officiel) dont un très beau que j’avais acheté à Pheonix (Arizona) en 1984.

J’ai aussi déniché, couvert de poussière, un lecteur Mini-Disk. Ça, c’était plutôt les années 90, déjà digital, mais encore rustique et rapidement tombé dans les oubliettes.

Dans une sacoche avachie gisent aussi deux appareils photo argentiques ("Dis papa, ça veut dire quoi, argentique ? C’est vrai qu’il fallait attendre plusieurs jours autrefois pour voir les photos qu’on avait prises ?").

J’ai aussi gardé (mais pour quoi faire ?) mon premier répondeur téléphonique à cassette. Ça aussi, bien avant l’arrivée du portable, ce fut un énorme changement dans nos habitudes, dans nos rapports avec le téléphone, avec les rendez-vous, avec l’espace et le temps.

Bon, les jeunes, j’arrête. Vous ne pouvez pas comprendre. Je referme ma brocante. Et je repasse sur Twitter.

samedi 23 octobre 2010

Halte à la cruauté envers la jeunesse !


On est parfois cruel avec la jeunesse. Je ne parle pas de ce qui se passe en France. Je veux ici vous raconter le reportage épouvantable que je viens de voir sur la BBC.

Eloignez les âmes sensibles. Mon récit est celui d’une torture insoutenable, à côté duquel les échos venus de la prison irakienne d’Abou Ghraib paraissent bien anodins.

La BBC a diffusé des images sans concession de l’expérience perverse tentée par l’Université de Bournemouth (Dorset), au sud de la Grande Bretagne.

(Petite parenthèse personnelle : Bournemouth, été 1967, mon premier séjour en Angleterre, marqué par la découverte de l’album des Beatles ‘Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band’ qui venait tout juste de sortir.)

Mais revenons à nos moutons.

Trois étudiants de l’Université de Bournemouth (l’une des meilleures du pays, je le signale au passage) ont donc été soumis à un défi qui paraît inimaginable.

On a demandé à ces étudiants (deux filles et un garçon) de se passer totalement pendant 24 heures de toute leur technologie : télé, ordinateur, téléphone portable. Rien, plus rien du tout. Coupés du monde. Autant vivre en Papouasie. Et cela, pendant 24 heures interminables.

Imaginez ce que cela représente vraiment : 86400 minutes sans voir un seul instant l’équivalent britannique de « Secret Story », sans téléphoner pour dire : « t’es où ?» (« where are you ? »), sans consulter Facebook ou envoyer une fadaise sur Twitter. Oui, 24 longues heures.

Il faut dire qu’ils ont été valeureux, ces trois jeunes Anglais ! L’Ordre de la Jarretière ne serait pas superflu, Majesté, sans vouloir vous commander.

Ces trois jeunes gens, dans le reportage de la BBC, luttent avec courage. Pas de portable, pas de télé, pas d’ordinateur, c’est une épreuve terrible car les tentations sont permanentes. Dans une université, les écrans sont présents partout. Il faut s’en détourner.

Il y a dans le reportage un moment très fort. C’est le moment où l’une des étudiantes soumises à ce test impitoyable se rend à la bibliothèque. Et que fait-elle ? Elle saisit un livre. Oui, j’ai bien dit : un livre. N’est-ce pas admirable ? Plus de téléphone, plus de télé, plus d’Internet. Dans un geste désespéré, l’étudiante s’agrippe à un livre ! Pour le lire ? La BBC ne nous le dit pas.

A la fin du reportage, le garçon et les deux filles, pour passer le temps et mieux supporter leur épreuve douloureuse, vont se promener sur la plage de Bournemouth. Chance incroyable à cet endroit en octobre, il fait beau et il y a même du soleil. Vous imaginez l’audace de cette initiative : deux filles et un garçon se promenant sur une plage, sans téléphone portable, sans Ipad, sans aucun contact avec le monde virtuel. C’est insensé, non ?

Le reportage de la BBC se termine bien. Un prof vient faire le bilan devant la caméra. Rien d’irrémédiable ne s’est produit. Il n’y aura pas de séquelles. Les étudiants retrouvent leurs outils numériques. Ouf ! On a eu tellement peur.

jeudi 21 octobre 2010

Ô temps ! suspends ton vol....


.... et vous, heures propices !

Suspendez votre cours

Laissez-nous savourer les rapides délices

des plus beaux de nos jours ! ...

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Je ne sais plus où j’ai lu cette histoire très récemment. C’est un spectateur qui est arrivé à 18 h à l’opéra pour voir une œuvre de Wagner. Il raconte : « au bout de trois heures, j’ai regardé ma montre, il n’était que 18 h 15 ».

Dans le même genre, un film portugais vient de sortir en France. Il s’intitule : « Les mystères de Lisbonne », réalisé par Raoul Ruiz. Il faut croire que les mystères lisboètes sont nombreux. Le film dure 4 heures et 26 minutes. Désolé, ce sera sans moi.

mercredi 20 octobre 2010

L'Etat honnête ou les talonnettes


Le pouvoir exécutif semble souffrir d’un sérieux coup de pompe. C’est bien connu, les Français sont forts en gueule mais ils ne sont plus du tout les mêmes quand la jauge de leur bagnole bascule dans le rouge.

Dommage pour les gamins délurés des lycées qui nous jouent un piètre remake de Gavroche sur les barricades, mais nous vivons dans un pays de réservoirs. Si l’approvisionnement s’assèche, la nation est en danger. Nous voici à quelques jours de la Toussaint. C’est une période d’intense transhumance. L’opération chrysanthème dans les cimetières va commencer. Les Français ne tolèreront pas l’incertitude du plein d’essence.

Cette histoire de carburant avait été la clé, la tournant historique de Mai 68. Le général De Gaulle, vieux briscard en fin de parcours, avait compris sans qu’on lui dise que les Français ne supporteraient pas l’approche de l’été sans pouvoir faire le plein. En Mai, les stations étaient désespérément vides. Le 31 Mai 1968, De Gaulle parvient à organiser le remplissage du stock des stations-service de toute la France. Cohn-Bendit est fichu, l’essence coule à nouveau.

Cette fois, Nicolas Sarkozy a vraiment intérêt, politiquement, à tout faire pour que les automobilistes ne soient pas à sec. Comme pour De Gaulle en 68, c’est le tournant à ne pas rater. Si l’essence revient vite, les manifs vont se dissoudre dans l’indifférence générale.

Dans ces manifs, le meilleur slogan vu sur une pancarte ces derniers jours est incontestablement pour moi celui-ci :

« Place à l’Etat Honnête, dehors les talonnettes ! »

Connaissant la susceptibilité du chef de l’Etat concernant sa stature, je crains que ce jeu de mots ne l’ait pas fait rire aux éclats.

D’ailleurs, à l’Elysée, les occasions de rire sont devenues rares.

La popularité de Nicolas Sarkozy s'effondre à en croire deux nouveaux sondages parus ce lundi. Il perd quatre points sur un mois, à 35% d'opinions positives, selon un sondage LH2 (1) pour le site du Nouvel Observateur. Son niveau le plus bas depuis juin 2008. Un autre sondage, réalisé par l'Ipsos (2) pour Le Point, attribue au président une baisse de 7 points de popularité à 32%, son score le plus bas depuis son accession à l'Elysée.

Les jugements négatifs à l'égard du chef de l'Etat progressent de 5 points (61% contre 56% en février). «C'est auprès de son public de référence, qui lui assurait généralement un soutien massif, que la baisse des opinions positives se fait le plus nettement sentir», souligne Erwan Lestrohan, chargé d'études à LH2.Nicolas Sarkozy perd ainsi 12 points (45%) chez les 65 ans et plus et chez les retraités (41%), passant sous la barre des 50%. Il cède également quatre points chez les sympathisants de la droite (65%) et huit points chez ceux de l'UMP (76%).L'image positive de Nicolas Sarkozy se dégrade aussi chez les travailleurs indépendants (32%, moins 11) et au sein des foyers aux revenus mensuels inférieurs à 1.200 euros (39%, moins cinq), alors qu'elle progresse chez les 18-24 ans (39%, plus neuf).

En résumé, une seule priorité si Nicolas Sarkozy ne veut pas terminer encore plus en guenilles : redonner du carburant aux Français.

Mon conseil est gratuit (mais si vous avez 20 litres en réserve, je les prends).

mardi 19 octobre 2010

La question des lycéens : "Aung San Suu Kyi, c'est qui ?"

Depuis quelques années, la Mairie de Paris a installé un portrait d’Aung San Suu Kyi au pied de la statue qui se dresse au centre le Place de la République. J’ai toujours pensé que cet affichage, même porté par des idées nobles, était moche.

Mais je suis prêt à un petit sacrifice esthétique car l’Occident ne doit pas oublier cette opposante birmane, victorieuse des élections de 1990 mais placée en résidence surveillée par la junte militaire qui pressure un peuple tout entier, le coupant du monde et le plongeant dans l’oppression et parfois la famine. Le courage et la dignité d’Aung San Suu Kyi ne sont pas sans rappeler la lutte pour la justice et la démocratie de Nelson Mandela en Afrique du Sud.

Depuis aujourd’hui, il n’est plus possible de lire le nom d’Aung San Suu Kyi sur l’affiche qui la représente sur la Place de la République. Son nom a été peinturluré par les élèves « en révolte » des lycées Voltaire et Turgot, proches de la place. « C’est qui, celle-là ? » ont du se demander ce matin les jeunes gens qui ont occupé les lieux pendant trois bonnes heures en bloquant totalement la circulation. « Taguons la Birmane, notre combat est plus important, notre colère plus juste » se sont sûrement dit les lycéens de Voltaire et de Turgot.

Je suis allé les voir de près ce matin pendant qu’ils obstruaient le trafic dans l’un des secteurs le plus fréquentés de la capitale. Je les ai vu s’amuser follement à déplacer les poubelles en plastique afin de bloquer les voitures. C’est marrant, la démocratie. On joue à emmerder le monde pendant quelques heures et on rentre chez soi, au chaud, pour surfer sur Internet. La police, d’une infinie prudence, intervient mollement au bout de quelques heures, comme cela s’est passé sous mes yeux ce matin, Place de la République.

Beaucoup de ces lycéens sont convaincus néanmoins qu’ils vivent des temps très difficiles, sous une affreuse dictature dirigée aveuglement par Nicolas Sarkozy. Je recommande à ces lycéens de se renseigner sur les dictatures, en commençant par la Birmanie. C’est un bon exemple. A mon avis, Aung San Suu Kyi a d’excellentes raisons d’être révoltée, beaucoup plus que ces lycéens parisiens qui ont rayé son nom pour imposer leur slogan un peu court.

Je repensais aussi à des lycéens qui vivaient à Paris en 1940. Eux aussi avaient quelques motifs d’insatisfaction. Il y a 70 ans, Paris était occupé par l’armée nazie. Quand on est lycéen, il y a de quoi être un peu énervé. Mais, à cette époque, pour manifester sa « révolte » (pour reprendre le mot des lycéens de Turgot et Voltaire), il fallait un peu de courage.

Les jours précédant le 11 novembre 1940, des tracts ont circulé dans les lycées parisiens, notamment à Janson de Sailly, Carnot, Condorcet, Buffon, Chaptal et Henri IV, ainsi qu'à la Corpo de Droit, dans le Quartier latin, appelant à manifester le jour de l'Armistice, à 17 h 30. Le 10 novembre 1940, plusieurs journaux parisiens publient un communiqué de la préfecture de police stipulant que : « Les administrations publiques et les entreprises privées travailleront normalement le 11 novembre à Paris et dans le département de la Seine. Les cérémonies commémoratives n'auront pas lieu. Aucune démonstration publique ne sera tolérée ».

Des instructions très fermes ont été transmises aux inspecteurs d'académie et aux chefs d'établissement : les cours ne doivent pas être interrompus et la traditionnelle commémoration devant le monument aux morts de chaque établissement devra se dérouler en présence des seuls professeurs. Le matin du 11, des inspecteurs de police visitent les lycées parisiens, ne constatant rien d'anormal. Mais à partir de 16 heures, à la sortie des cours, une majorité de jeunes, mais aussi des enseignants, des parents d'élèves, des anciens combattants. commencèrent à confluer vers les Champs-Élysées. D'abord silencieuse, la manifestation laisse bientôt échapper des acclamations faisant référence au général de Gaulle, et quelques drapeaux tricolores feront aussi leur apparition. La répression par la Wehrmacht commencera à 18 h 00. Il y eut une centaine d'arrestations, dont 90 lycéens et quelques blessés.

Au total, environ 2500 jeunes gens ont participé à ce qui fut l'une des premières manifestations collectives de résistance à l'occupant.

La junte birmane et l’occupation nazie représentent incontestablement des raisons légitimes pour se révolter, résister, se mettre en danger.

Faire joujou avec des poubelles dans les rues de Paris en 2010 ne me semble pas aussi nécessaire. Vous allez voir que les lycéens d’aujourd’hui, après avoir manifesté pour le statu quo sur les retraites, vont bientôt défiler pour obtenir une meilleure garantie obsèques.

lundi 18 octobre 2010

'The Social Network' - enfin la version française !



Tentons d'imaginer la version française du film "The Social Network" (le film sur Facebook) dont j’ai déjà parlé ici.

La version française est produite par France 3 Limousin et c'est en noir et blanc (ça fait chic et c’est moins cher).

Entre deux tournées générales de Picon Bière dans un bar de Limoges, le personnage principal, un ingénieur aux PTT incarné par Gérard Depardieu, invente le Minitel.

Tout le monde trouve ça génial dans l’hexagone. C’est un machin subventionné par de l’argent public (rien de mieux en France).

Le Minitel ne dépasse pas les frontières nationales. C’est tout ce qu’on recherche chez nous : on ne va quand même pas commencer à se faire emmerder à distance par des étrangers !

Le Minitel connaît à l’époque un essor considérable en France. Il est hélas injustement ignoré ailleurs. La France, superbe, se drape dans sa dignité.

A la fin du film, Depardieu, ingénieur des PTT vieillissant, est devant un vieux Minitel. Il tape avec frénésie : 3615 code Ulla. Personne ne répond.

dimanche 17 octobre 2010

Entre Adolf Hitler et moi, six degrés de séparation.


Entre moi et Adolf Hitler, finalement, quelle proximité !

Il faut se référer à la théorie des six degrés de séparation, établie par le hongrois Frigyes Karinthy en 1929 qui évoque la possibilité que toute personne sur le globe peut être reliée à n'importe quelle autre au travers d'une chaîne de relations individuelles comprenant au plus cinq maillons.

Il se trouve que j’ai serré la main de Bill Clinton, au moins à deux reprises.

Bill Clinton, très jeune, en visite comme boy scout à la Maison Blanche en 1962, a serré une fois la main du Président John Kennedy.

Le Président Kennedy, en visite officielle en France, a serré la main du général De Gaulle.

Ce dernier avait forcément serré très souvent la main du Maréchal Pétain avant 1940.

Et le 24 octobre 1940, à Montoire, Pétain a serré la main du chancelier Hitler (photo ci-dessus).

Entre moi et Hitler, tout juste six degrés de séparation.

La preuve est faite. Je ne m’en réjouis pas pour autant.

vendredi 15 octobre 2010

Lycéens, la récréation est terminée....

Qu’est-ce que c’est que cette histoire de lycéens en grève ? En grève de quoi ?

Le droit de grève, infiniment respectable, s’applique aux travailleurs, aux salariés, à tous ceux qui protestent contre leur patron, leurs chefs, leurs salaires, leurs conditions de travail et, actuellement, à propos des retraites.

Mais les lycéens n’entrent pas dans ces catégories. Un adolescent inquiet pour sa retraite, d’où sort cette fiction ?

Les lycéens sont des jeunes gens et des jeunes filles, pour la plupart mineurs, qui sont dans des établissements scolaires pour étudier.

Ils sont généralement dans des lycées publics financés par le contribuable. Même dans le privé, l’argent des impôts participe largement à la scolarité de cette jeunesse. Si un lycéen n’est pas en classe et va faire le zouave sous une bannière de la CGT ou du PS, il dilapide l’argent public.

Le lycéen a la chance de bénéficier d’un enseignement. Il doit en profiter. Le lycéen qui bloque la grille de son établissement et qui terrorise ses camarades qui veulent aller en cours, ce lycéen est un délinquant.

Le droit de grève n’a aucune valeur ni aucun sens pour les lycéens. L’existence même de «syndicats de lycéens» est une aberration.

Jusqu’à 16 ans, en France, la scolarité est gratuite et, surtout, obligatoire. Oui, j’ai bien dit : obligatoire.

Les gamines et les gamins qui baguenaudent sur le pavé avec des slogans incertains et des banderoles truffées de fautes d’orthographes sont priés de regagner immédiatement leur salle de classe.

Sinon, je me fâche.

jeudi 14 octobre 2010

Mine de rien, au Chili.


Le degré zéro de l’information, c’est le spectacle en direct qui nous a été fourni cette semaine par la télévision chilienne, relayée avec gourmandise par toutes les chaines du monde.

La remontée des mineurs coincés par un éboulement est évidemment une bonne nouvelle. Il faut saluer le courage de ces hommes qui ont enduré cette épreuve. Il faut aussi féliciter les sauveteurs qui ont mis au point un système ingénieux et efficace pour les sortir de ce piège.

C’est une histoire qui se termine bien. Mais c’est une histoire locale qui ne concerne que 33 hommes et leur famille. A l’échelle des événements qui se produisent dans le monde chaque jour, c’est une anecdote minuscule.

Pourquoi cet épisode négligeable est-il devenu une sensation planétaire ? Uniquement grâce (ou à cause) de la télévision.

La dramaturgie est conforme aux émissions de divertissement de télé-réalité : suspense lié au danger, réactions en direct de chacun des rescapés sortant du trou et de la nacelle de sauvetage, embrassades avec les proches. Tous les ingrédients sont présents.

Le petit détail en plus, le trait de génie télévisuel, c’est d’avoir réussi à descendre une caméra vidéo au fond de la mine. Le spectacle est total et fonctionne à plein.

Mais imaginez la même situation sans caméras en direct : personne ne se serait intéressé au sort de ces mineurs.

En février dernier, un tremblement de terre a fait plus de 500 morts au Chili. Cette catastrophe a été traitée en quelques images furtives sur les médias du monde entier. Au cours des dix dernières années, plus de 400 mineurs sont morts au travail au Chili. En a-t-on jamais parlé ? Chaque année, plusieurs milliers de mineurs chinois succombent dans l’exercice de leur profession. Il n’y a pas d’images pour nous relater ces drames. Ces faits n’existent donc pas.

Des caméras, des visages, une personnalisation, c’est tout cela qui confère de la valeur à un événement médiatique. Les mineurs rescapés du Chili vont devenir des "people". Ils vont monnayer leurs témoignages.

Souvenez-vous d’Omayra, cette petite fille coincée dans un trou boueux après un tremblement en novembre 1985 en Colombie. Elle avait agonisé pendant 2 jours et 3 nuits, entourée de caméras et d’appareils photo. Omayra n’avait pas eu la chance des mineurs chiliens : elle était morte dans son trou. Mais déjà, il y a 25 ans, les signes avant-coureurs de l’information spectacle étaient en place.

Examinons à présent la manière responsable dont le journal "Le Monde" a traité le sauvetage au Chili. Hier, on trouvait une photo à la ‘une’ et un article factuel à l’intérieur. Aujourd’hui, alors que l’affaire s’est terminée sans victime : pas une ligne, pas un mot dans "Le Monde". Finalement, le quotidien français a choisi de ne plus revenir sur le sujet car, en vérité, il ne mérite plus notre attention.

33 mineurs sauvés au Chili. Tant mieux. Mais, journalistiquement, par rapport aux autres nouvelles du jour, cela ne mérite plus en effet d’être mentionné. Et cela ne méritait vraiment pas la couverture outrancière proposée par toutes les télés du monde.

La tendance est hélas irréversible. La télé est gloutonne. Si un flux d’images en direct arrive, pour peu que ce flux soit chargé de pathos et d’imprévisibilité, aucun rédacteur en chef de télé ne fermera le robinet, bien au contraire. C’est la raison pour laquelle nous avons ingurgité du Chili à haute dose. Parions que cet intérêt sera éphémère.

Réveillez-moi quand la télé reparlera sérieusement de ce pays.

mercredi 13 octobre 2010

"The Social Network"

Voici un film qui donne le tournis : « The Social Network » réalisé par David Fincher sur un scénario et des dialogues (éblouissants, le scénario et les dialogues) d’Aaron Sorkin (le créateur de la série télé « The West Wing »).

L’histoire est connue : il s’agit de la naissance et de l’expansion du réseau social « Facebook ».

Oui, ce film donne le tournis car l’histoire qu’il raconte est fulgurante. Un gamin de 19 ans, étudiant en informatique à Harvard, fabrique un site Internet d’abord réservé aux étudiants de la fameuse université proche de Boston.

Six années plus tard, le créateur pèse 20 milliards de dollars. Le site universitaire est devenu mondial. « Facebook » touche un demi-milliard de terriens, un habitant sur 14 de notre planète. Dans l’histoire de l’humanité, dans l’histoire de la communication, il n’y a aucun précédent. L’imprimerie de Gutenberg a mis des siècles à se propager. Créé il y a six ans, le site « Facebook » relie potentiellement un demi-milliard de personnes, partout dans le monde, en permanence et en temps réel.

Le film de Fincher n’est pas triomphaliste. Il ne nous présente pas une « success story ». La réussite incroyable de « Facebook » n’est pas forcément une bonne nouvelle.

Le personnage principal, c’est Mark Zuckerberg, le créateur de « Facebook ». Il a aujourd’hui 26 ans. C’est le plus jeune milliardaire au monde. Aucun film n’a été consacré auparavant à l’ascension d’un personnage aussi jeune. Aucun film n’a jamais été réalisé sur Bill Gates ou sur Steve Jobs. Mais sur Mark Zuckerberg, c’est fait.

Fincher nous propose un film haletant à partir d’un sujet qui est, a priori, non cinématographique : des écrans d’ordinateurs, des étudiants bavards et des avocats qui dialoguent dans des salles de réunion. Malgré cela, l’intensité est à son maximum.

Les acteurs sont parfaits, à commencer par Jesse Eisenberg qui incarne le personnage principal, celui de Mark Zuckerberg. Justin Timberlake (meilleur acteur que chanteur) est très convaincant dans le rôle de Sean Parker, celui qui donne le déclic capitaliste qui permet à « Facebook » d’acquérir une dimension planétaire.

La grande force de ce film, c’est que le réalisateur évite de nous proposer un documentaire sur « Facebook ». En réalité, « Facebook » est à peine évoqué dans son fonctionnement. C’est un prétexte, un support pour montrer les rivalités et les rapports de force entre les personnages.

Pendant la projection, j’ai pensé à « Citizen Kane » d’Orson Welles. Le sujet est voisin : il s’agit de l’ascension d’un magnat de la presse, personnage inspiré de William Randolph Hearst. On reste dans l’univers de la communication. Orson Welles n’avait que 25 ans au moment du tournage. Aujourd’hui, c’est sans doute Welles qui aurait inventé « Facebook ».

En voyant « The Social Network », j’ai également pensé à Balzac. Il y a dans la personnalité de Mark Zuckerberg des ressemblances avec Rastignac. Et dans le film, le cofondateur de « Facebook », évincé et grugé, plus pur et moins vorace (Eduardo Severin joué par l’excellent Andrew Garfield) fait inévitablement penser à Lucien de Rubempré.

Au XXIème siècle, comme chez Balzac, Rubempré se fait avoir. Rastignac s’en sort toujours.

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A lire (en anglais) le très bon (et très rare) portrait de Mark Zuckerberg - c'est dans 'The New Yorker' : http://www.newyorker.com/reporting/2010/09/20/100920fa_fact_vargas?currentPage=all

mardi 12 octobre 2010

Réveille-toi Rimbaud, ils sont devenus beaufs !

Ça va de mieux en mieux en France : les jeunes descendent dans la rue pour défendre le système des retraites. Avoir 20 ans et craindre de ne pas toucher sa pension à taux plein en 2050 !

Tu parles d’un pays qui va de l’avant, une nation d’aventuriers, une terre de conquête, un tremplin vers les rêves ! Les jeunes Français pensent déjà à se retirer, peinards, dans leur villa "Sam’suffit".

Demandez à la jeunesse du Brésil, de l’Inde, de la Chine ou du Nigéria si elle songe un seul instant à la retraite !

Nous allons mourir dans les ruines des avantages acquis, dans notre principauté assiégée et maladive, si la jeunesse de France n’a pas des projets plus ambitieux et plus déraisonnables, des projets de son âge, en somme.

Vision d’horreur : en 2050, les petits-fils de François Chérèque et de Bernard Thibault, en tête du cortège entre Bastille et République !

dimanche 10 octobre 2010

La France des interstices





Encore un petit billet consacré à la photo ! C’est un hasard du calendrier. Je veux vous parler de l’exposition "La France" de Raymond Depardon, visible actuellement à la Bibliothèque Nationale, la moderne, dans le 13ème arrondissement.
D’abord un mot sur le lieu. Cette bibliothèque baptisée "François Mitterrand" est vraiment un endroit désagréable. Passons sur l’aberration architecturale de base : on a placé les lecteurs au sous-sol et les livres dans les tours. Résultat, pour consulter les ouvrages et les documents, il faut s’enfoncer dans les profondeurs, comme des mineurs chiliens. Pendant ce temps, les livres subissent dans les tours les aléas de la météo : lumière, chaud, froid.
L’accueil du personnel est garanti invariablement glacial. Les préposés vous observent avec langueur et répondent avec lassitude si vous avez le courage de leur demander le chemin de l’exposition que vous vous voulez voir. Car rien n’est fléché dans ce dédale lugubre.
On arrive donc dans une grande salle où les photos de Depardon sont accrochées.
On en dénombre 36, toutes en couleurs, de très grand format. Depardon, pendant 5 ans, a parcouru la France à bord d’une camionnette dans laquelle il transportait son appareil photo : une encombrante chambre 20x25 posée sur un trépied. Tout le contraire d’un petit appareil numérique.
Le projet de Depardon était de capter la réalité de la France banale et quotidienne. Il a évité les grandes villes et leurs banlieues. Depardon qui a déjà consacré beaucoup de son temps au monde rural, cette fois, s’est détourné volontairement la campagne. Ce qu’il privilégie dans ce travail, ce sont les bourgades, les sous-préfectures, les carrefours, les petits commerces, les habitations modestes.
Depardon, dans ces images, ne fait pas apparaître beaucoup d’êtres vivants. Il s’intéresse surtout aux lieux. Il les a choisi avec minutie. Ce ne sont pas des images furtives, saisies à l’arrachée, en raison de la lourdeur de l’équipement photographique.


La chambre photographique lui permet d’obtenir des images d’une précision incroyable, magnifiées par les dernières techniques numériques pour les tirages. Mais le photographe assure qu’il n’a retravaillé les couleurs. C’est étonnant car ces petits coins de France jaillissent à nos yeux dans une vivacité lumineuse assez incroyable. Depardon explique que la France « de l’intérieur », celle des interstices et des départementales, est beaucoup plus colorée que les grandes villes. Les habitants osent davantage utiliser des peintures vives.

Le résultat d’ensemble est assez réjouissant. Le regard de Depardon n’est pas nostalgique. Ce n’est pas une vision passéiste, il n’est pas question de « France profonde », style Jean-Pierre Pernaut. Depardon déclare même qu’il a rencontré, dans certaines régions traversées, une étonnante joie de vivre et une grande vitalité.
La promenade photographique est stimulante. Depardon a eu la bonne idée de ne pas indiquer par une légende où chacune des photos est prise. On ne le sait qu’en sortant de l’exposition par un tableau récapitulatif.
C’est un nouveau chapitre à mettre au crédit de ce photographe prolifique qui laisse, pour les historiens de demain, une masse considérable de témoignages visuels sur la France du XXème et XXIème siècles.