« L’écologie en bas de chez moi», petit livre (180 pages) d’Iegor Gran (éditions P.O.L.) est un curieux objet littéraire. Ni un roman, ni un pamphlet, l’auteur préfère le définir comme une auto-fiction : un récit à la première personne qui exprime, à travers des conversations et des observations de la vie quotidienne, une profonde exaspération à l’égard de la nouvelle religion qui nous est imposée : l’écologie.
L’agacement d’Iegor Gran commence avec la sortie du film de propagande «Home» de Yann Arthus-Bertrand, en juin 2009. Je dis «propagande» car Iegor Gran compare ce film à celui de Leni Riefenstahl, «Le Triomphe de la volonté», sorti en 1935, célébration esthétique de l’hitlérisme.
Iegor Gran sait de quoi il parle en matière de propagande. Il est né en URSS en 1964. C’est un bébé Brejnev. Il a quitté Moscou à l’âge de 10 ans mais n’a rien oublié des slogans totalitaires. Et la pensée écologique, selon lui, utilise les mêmes instruments imbéciles.
Le tri sélectif, le développement durable, les gestes qu’il faut faire pour la planète, tout ça, ça le gonfle Iegor. Ce qui insupporte l’auteur franco-russe, c’est le discours envahissant et comminatoire des écolos.
La manifestation la plus ridicule étant donc le docu moralisateur de Yann Arthus-Bertrand, imposé de force partout au printemps 2009 : diffusion sur Internet, sur la télé publique, dans les écoles. Avec en prime, le regard accusateur des voisins qui vous piègent dans le local poubelle si vous vous êtes trompé de réceptacle à déchets.
Iegor Gran n’est pas un négationniste du réchauffement climatique, genre Claude Allègre. Ce qui l’insupporte, c’est l’intégrisme de tous les bobos occidentaux qui se donnent bonne conscience en prétendant sauver l’ours blanc et empêcher la fonte de la banquise.
Intégrisme militant fondé sur des données scientifiques incertaines, à l’instar du filandreux rapport du GIEC. Iegor Gran souligne à juste titre que la science n’a jamais été capable de prédire l’avenir. D’ailleurs, cela n’est ni son rôle ni son but.
Dans le livre, Iegor Gran s’oppose sans cesse à un ami, Vincent, avec qui il finit par se fâcher. Vincent est le prototype de l’écolo conscientisé, capable à chaque instant de réciter les préceptes péremptoires de l’idéologie verte : le genre humain est coupable, la Nature est bonne et fragile. Vous connaissez la chanson.
Sauf que la Nature, en définitive, est profondément hostile. L’étude de la préhistoire nous renseigne sur des épisodes brutaux, marqués par des destructions massives d’espèces vivantes, sans que l’Homme (qui n’existait pas encore) en soit responsable.
Intéressez-vous à la fin du Cambrien (-500 millions d’années), à la fin de l'Ordovicien (-440 millions d’années), à la fin du Dévonien (-365 millions d’années), à la fin du Permien (-250 millions d’années), à la fin du Trias (-200 millions d’années), à la fin du Crétacé (-65 millions d’années). A chaque époque, la planète voit disparaître la grande majorité de sa faune et de sa flore. C’est ainsi.
La civilisation humaine qui introduit la chasse, l’agriculture puis l’industrie joue évidemment son rôle dans la modification de l’éco-système. Mais l'homme actuel (l'homo sapiens-sapiens) est apparu il y a seulement 200.000 ans.
Cela représente 0,0013% de la durée d'existence de l'univers. Un peu de modestie s’impose.
On peut certes vouloir gentiment faire du compost, réduire quand c’est possible les émissions de gaz à effet de serre et ne pas abuser des sacs plastiques au supermarché. Mais, par pitié, nous dit Iegor Gran, que ces efforts individuels (et probablement dérisoires) ne soient pas dictés par un dogmatisme pesant.
L’écologie est une idéologie à la mode. Elle est d’ailleurs copieusement récupérée par la communication publicitaire qui nous enjoint en permanence de consommer «propre», «bio», «responsable», «durable». Quand la pub, au service du commerce, s’en mêle, il y a de vraies raisons d’être méfiant.
C’est tout cela que nous dit Iegor Gran, sur le mode de l’ironie et de la satire. Il décrit avec drôlerie l’intransigeance écolo des voisins de son immeuble. Ces gens sont convaincus par le discours ambiant qu’ils peuvent jouer un rôle déterminant dans la sauvegarde de l’environnement. Les prêchi-prêcha de Nicolas Hulot et d’Al Gore servent de justification à ce comportement abusivement qualifié de «citoyen».
L’intention naïve serait touchante si elle ne se traduisait pas par des admonestations menaçantes adressées au moindre récalcitrant.
Il faut lire ce livre pour rire des comportements excessifs de beaucoup de nos contemporains. Sauvez la planète, si vous voulez. Mais gardez votre sens de l’humour.
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lire aussi, sur même sujet, mon billet du mois dernier : "Mille ans après la fin du monde"
3 commentaires:
Amusant sans doute, mais reste la lourde question du comment fait-on pour prendre en charge collectivement la préservation du substrat naturel commun. Il y a peut-être des résonances avec un autre ouvrage sorti récemment, mais certes plus dense : Développement durable ou le gouvernement du changement total (éditions Le Bord de l'eau).
Amusant sans doute, mais reste la lourde question du comment fait-on pour prendre en charge collectivement la préservation du substrat naturel commun. Il y a peut-être des résonances avec un autre ouvrage sorti récemment, mais certes plus dense : Développement durable ou le gouvernement du changement total (éditions Le Bord de l'eau).
Pointer du doigt les intransigeances des uns ne met pas à l'abri des siennes propres, par exemple quand Evene remarque :
"et cette curieuse manière d'idolâtrer la science – quand elle prédit l'avenir – tout en la rejetant quand elle est moteur de progrès ", on pourrait tout aussi bien retourner l'argument, combien de fois n'a t'on pas entendu vanter les mérites (rées, c'est vrai) du progrés scientifique, sans entendre les avertissements des mêmes scientifiques sur les risques que comportent leurs recherches.
Et puis lire des choses telles que "Le plus terrible dans ce déferlement de bonne conscience, c'est que l'on nous invite à ne plus penser" à une époque où la télé se vante de pratiquer le "temps de cerveau disponible", joli retournement intelectuel.
Enfin, pour finir, prendre pour point de vue que "Sauf que la Nature, en définitive, est profondément hostile", c'est partir dans une direction qui ne peut que sur l'incompréhension de notre monde ; la Nature n'est pas hostile (et à qui ? à nous ? à l'homme, créature protégée de Dieu peut-être (on le sent venir lui)? Non, la nature ne pense, elle n'est ni hostile, ni amicale, ni rien du tout, cessons de lui prêter des intentions.
Bref, s'il est nécessaire de se méfier de tous les dogmatiques, ne tombons dans l'erreur qui consisterait à nier une réalité sous prétexte de ne "pas se faire avoir par tous ces nouveaux prêtres de la conscience universelle", et de jouer les esprits forts, les rebelles en chambre d'écrivain, la réalité risque peut-être de nous revenir dans la gueule avec force.
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