"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mercredi 12 janvier 2011

La France va-t-elle délocaliser ses CRS en Tunisie ?


Combien de morts en Tunisie ? Impossible à dire. La censure du régime du président Zine El Abidine Ben Ali est remarquablement efficace. Mais on peut craindre plusieurs dizaines de victimes, peut-être des centaines, à en croire les rares images et témoignages qui nous parviennent.

Ben Ali, fortement contesté par la rue, donne des gages tardifs : il promet 300.000 emplois, limoge son ministre de l’Intérieur et ordonne la libération des personnes interpellées pendant les émeutes. Il lâche du lest mais ne change rien à ses méthodes opaques et répressives : l’armée tunisienne se déploie aujourd’hui dans la capitale où un couvre-feu est imposé pour tenter de juguler les heurts.

Si une telle rébellion de la jeunesse se déroulait dans un autre pays, plus lointain, le gouvernement français ne tarderait pas à monter sur ses grands chevaux.

Pas un mot de l’Elysée. Rien qui puisse amender la déclaration faite par Nicolas Sarkozy au cours de son voyage officiel sur place en 2008 : «Aujourd’hui, l’espace des libertés progresse en Tunisie».

Silence également du premier ministre. Le porte-parole du gouvernement, François Baroin, s’est néanmoins jeté à l’eau pour «déplorer les violences».

Le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand a, lui, pris nettement la défense du régime de Ben Ali : «En Tunisie, la condition des femmes est tout à fait remarquable. Il y a une opposition politique mais qui ne s'exprime pas comme elle pourrait s'exprimer en Europe. Mais dire que la Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré». N’exagérons rien, en effet.

Frédéric Mitterrand connaît bien ce pays qu’il aime. Il y a consacré deux beaux livres. Dans le plus récent, publié en 2003, il écrivait : «Comme dans toute nation dynamique et en plein mouvement, il reste évidemment encore bien des choses à accomplir, mais c’est aux Tunisiens eux-mêmes d’en décider. Ils sont bien trop avisés pour ne pas entendre ce qu’on peut leur dire, à condition qu’on s’adresse à eux dans un esprit d’estime et de respect et qu’on honore la confiance qu’ils accordent spontanément à tous ceux qui s’intéressent à eux et qui les aiment. Dans un monde lourdement travaillé par le fanatisme et la tentation de la violence, la Tunisie est un pays de paix, qui mérite largement qu’on ait foi en son avenir». La Tunisie, pays de paix ? Il va falloir un peu modifier votre texte, monsieur le ministre de la Culture. Il est un peu daté.

Le ministre de l'Agriculture (de quoi je me mêle ?) Bruno Le Maire estime pour sa part que le président tunisien est «souvent mal jugé» et qu’il a «fait beaucoup de choses». Bruno Le Maire précise sa pensée : «Avant de juger un gouvernement étranger, mieux vaut bien connaître la situation sur le terrain et savoir exactement pour quelles raisons telle ou telle décision a été prise. Je n'ai pas à qualifier le régime tunisien».

A ces paroles doucereuses s’ajoutent, à gauche, les réactions lénifiantes du maire de Paris, Bertrand Delanoë, né en Tunisie. Son entourage le dit «soucieux». Soucieux pour sa maison de Bizerte ? Bertrand Delanoë, toujours selon ses conseillers, a choisi «de manifester son soutien au peuple tunisien non pas par des déclarations mais par des contacts utiles avec les uns et les autres, et en tenant le même langage à tous».

Fort heureusement, le porte-parole du Parti Socialiste, Benoit Hamon, a clairement critiqué la violence : «Nous condamnons solennellement cette répression. La réponse politique consistant à tirer sur la foule est la pire chose. On ne peut pas répondre à l'aspiration de la jeunesse algérienne et tunisienne à pouvoir vivre normalement, à pouvoir avoir un logement, un emploi, par la répression».

Cela a le mérite d’être clair et moins lâche que les propos vaseux de la ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, hier devant l’Assemblée Nationale. La patronne du Quai d’Orsay a dit qu’elle «déplore les violences». C’est fou ce qu’on «déplore» dans ce gouvernement ! Michèle Alliot-Marie ajoute : «Plutôt que de lancer des anathèmes, je crois que notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation. Notre premier message doit être celui de l'amitié. On ne doit pas s'ériger en donneurs de leçons face à une situation complexe».

Michèle Alliot-Marie a indiqué en outre que le président Nicolas Sarkozy entendait «dans le cadre du G8 et du G20 répondre aux préoccupations et aux besoins qui sont ceux de la Tunisie et de l'Algérie». Voilà qui va vraiment rassurer les jeunes Tunisiens et les jeunes Algériens ! Le G8 et le G20 vont se pencher sur leur sort. Quelle chance !

A Bruxelles, au siège de l’UE, Catherine Ashton, Haut représentant pour la politique européenne, «observe attentivement la situation des droits de l'homme en Tunisie». Ben Ali doit vraiment s’inquiéter si madame Ashton «observe». Cela en dit long sur l’impact international de l’Union Européenne et sur son courage politique.

Mais dans le cynisme, la palme revient tout de même à Michèle Alliot-Marie, toujours devant l’Assemblée hier. La ministre des Affaires étrangères propose de faire profiter l’Algérie et la Tunisie du grand talent des forces de l’ordre de la République française. Madame Alliot-Marie suggére que «le savoir faire, reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité, permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C'est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays de permettre dans le cadre de nos coopérations d'agir pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité.»

Notre savoir-faire anti-manif, «reconnu dans le monde entier» ! La France, patrie des droits de l’homme, serait-elle donc aussi experte en répression ? C’est beau l’esprit d’entreprise tricolore : notre beau pays ne prétend pas dominer le monde uniquement par la haute couture et le pinard. Nicolas Sarkozy, pour démontrer notre suprématie dans ce domaine, va-t-il dépêcher des CRS et des Gardes Mobiles français à la rescousse de Zine El Abidine Ben Ali et d’Abdelaziz Bouteflika ?

Attention, danger ! Si la jeunesse de France est prise d’un nouvel accès de fièvre, qui la calmera ? N’exportons pas inconsidérément les matraques dont nous pourrions avoir besoin chez nous. Non à cette délocalisation aventureuse !

3 commentaires:

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