"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mercredi 5 mars 2008

Avoir 20 ans et ne plus les avoir.


Je lis avec délectation cette citation de Paul Léautaud (l'ermite acariâtre entouré de chats).



Il avait écrit ceci : "Être grave dans sa jeunesse, cela se paie souvent par une nouvelle jeunesse dans l'âge mûr".



Je vous fais un terrible aveu : j'étais grave dans ma jeunesse, grave de chez grave, comme disent les jeunes d'aujourd'hui.



Par les hasards de la vie, j'avais dîné à la table de Léo Ferré quand j'avais 20 ans. C'était en 1973. Ça vous donne des repères historiques, ça me situe dans la pyramide des âges.



J'avais pris des risques énormes ce soir-là. Il s'agissait, ni plus ni moins, de dîner à 20 ans avec Léo Ferré, l'un des meilleurs connaisseurs de cet âge. N'avait-il pas écrit cette chanson magnifique : "Avoir 20 ans" ?



Au milieu du repas, Léo m'a fixé de ses yeux pointus et m'a foudroyé en me disant : "Comme vous êtes triste, jeune homme."



Et oui, j'étais triste à 20 ans, sérieux, grave. Bien vu, Léo Ferré. A 20 ans, j'étais grave, gravissime.



Reconnaissez-le néanmoins, pour le freluquet incertain que j'étais alors, ce n'était une apostrophe facile à encaisser de la part du vieil anar de la chanson française.



Mais je le répète : Léo Ferré, au cours de cette soirée, avait vu juste. J'étais vraiment emmerdant et infréquentable à l'âge de 20 ans. J'étais un chien fou, désordonné, péremptoire, cinglant, glaçant, prétentieux et intolérant. Triste à mourir. Triste, avait dit Léo Ferré.



Je ne dis pas que je me suis amendé. Peut-être me suis-je seulement émollié (adjectif tellement inusité qu'il ne figure plus dans le "Petit Robert").



Paul Léautaud, par delà le trépas, m'accorde une revanche inespérée. J'étais donc "grave" dans ma jeunesse mais j'ai le droit de me payer une nouvelle jeunesse dans l'âge mûr. C'est ça, le postulat, cher Paul ? Bingo ! Partie gratuite, comme au flipper ?



J'en accepte l'augure, pardi !



Un quart de siècle après le dîner au cours duquel Léo Ferré me fusilla par une réplique autant méritée qu'assassine, j'accepte sans regimber le cadeau d'une seconde jeunesse.



Ou plutôt d'une nouvelle chance. Car j'ai raté globalement la version originale de la vraie première jeunesse.



Oui, ces temps-ci, je me sens jeune. Jeune de toute une vie.



J'observe avec intérêt la relève, les filles et les garçons de 20 ans qui se propulsent dans ce millénaire à peine entamé.



Combien de Rastignac, de Mélusine ?



Combien d'espoirs flétris, de désirs rejetés, de projets miraculeusement exaucés, de joies simples et immédiates (ce sont les meilleures), combien de sacrifices et d'aboutissements, combien d'explosions de tendresse, combien de chansons, combien de livres, combien d'enthousiasmes, combien de larmes, combien de sacrifices, quelle dose d'abnégation et de modestie, quels renoncements, quels courages ?



Ce sont mes questions, les questions que je pose à la génération nouvelle en vertu de cette jeunesse supplémentaire que m'accorde Paul Léautaud.



Bref, je veux connaître la suite, tout simplement parce que ce film, le film ininterrompu de nos vies, m'intéresse bougrement. On n'en verra pas la fin. C'est dans le contrat. Personne ne peut prétendre être le dernier spectateur de ce film-là. Mais on espère tous en voir beaucoup de bobines. Le maximum de bobines.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Les jeunes ne sont-ils pas tous tristes, Anyhow? L'idee de la jeunesse epanouie n'est-elle pas uniquement un fantasme d'adulte? Les adolescentes riant sur le quai du metro ne sont-elles pas que de des images, des facades?

Moi, ex-etudiante de Nanterre, 22 ans, et moi-meme trop agee pour mon age, j'ai decouvert recemment que la majorite de mes anciens camarades de classe sont de droite, et ont en majorite vote Sarkozy aux dernieres elections. Une grande partie d'entre eux se sont a un moment expatries, revent de le faire ou le sont toujours. Ils sont desabuses par la gauche, desabuses par la droite, desabuses par la France. Et ca c'est que l'aspect politique.

La depression semble etre un passage oblige de toute adolescence. Tous les jeunes qui m'ont un jour suffisement fait confiance pour me raconter leur histoire avaient eu toutes sortes de problemes: violence, maladies mentales, simples chagrins d'amour.

Bref, la jeunesse insouciante, c'est un mythe.