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Cher David,
T'as voulu voir Neuilly et tu verras New York.
Avoue que tu n'y perds pas au change. Maire de Neuilly, quelle drôle d'ambition ! Faut s'appeler Sarkozy pour avoir des idées clinquantes comme ça.
C'est raté pour toi, David, tu fais tes valises et tu débarques bientôt à Manhattan. C'est le point de chute que ton patron Nicolas a trouvé pour toi, après ta débandade municipale dans la banlieue la plus friquée de France et après tes prestations coincées de porte-parole de l'Elysée, sketch hebdomadaire attendu de tous les humoristes.
Tu t'en sors bien car, après le mémorable fiasco des Hauts-de-Seine, tu méritais sans doute le bas du tableau. Tu es diplomate, le monde est vaste et tu aurais pu te retrouver en poste à Paramaribo ou à Minsk.
Non, tu atterris à New York. Y a pire, franchement. Tu seras Consul Général de France. C'est un titre ronflant qui en impose sur une carte de visite. Consul, d'accord, mais "Général", je n'ai jamais compris pourquoi.
Alors, un peu de géographie pour commencer : New York est une ville importante aux Etats-Unis. Ce n'est pas la capitale. Tout le sale boulot est fait par l'Ambassadeur français à Washington.
A New York, le Consul Général est déchargé de presque toutes les corvées. D'ailleurs, quand on va sur le site Internet du consulat de New York et que l'on clique sur le lien "activités diplomatiques", on tombe sur une page vide (authentique).
Le Consul Général ne tamponne pas lui-même les visas des visiteurs qui veulent se rendre dans notre beau pays. Il a du petit personnel pour y remédier.
Le Consul Général à New York sert surtout à honorer de sa présence les nombreuses associations qui pullulent dans son secteur : l'amicale des boulistes de Central Park, la fraternité des Basques du Bronx, le club philatélique des Bretons de Brooklyn. Les journées sont bien remplies.
Le Consul Général de New York doit aussi, très régulièrement (parfois plusieurs fois par semaine), se déplacer à Kennedy Airport pour accueillir les dignitaires français qui traversent l'Atlantique en aéroplane : des secrétaires d'Etat empressés, des sénateurs bedonnants (souvent accompagnés de leur maîtresse désignée comme "attachée parlementaire") ou des personnalités éminentes ou exigeantes.
Le Consul Général angoisse encore davantage quand le Premier Ministre ou le Président décide de débarquer à New York. L'ambassadeur de Washington est toujours là dans ces grandes occasions, mais si un truc est foireux dans le protocole, c'est le Consul Général qui en prend plein la tronche.
Il faut aussi que tu saches, cher David, que les ministres les plus pénibles s'inventent toujours des missions saugrenues fin Novembre, début Décembre. Il ne faut pas s'y attarder. Ils ne viennent à New York que pour faire leurs courses de Noël. Il suffit de leur fournir les bonnes adresses et on s'en débarrasse à bon compte.
Parlons maintenant du logis, cher David. Ça se situe au 934 de la Cinquième Avenue. C'est cossu, avec vue sur Central Park. C'est très mal desservi par le métro. Il y a un arrêt de bus pas loin. Mais tu auras ta voiture avec chauffeur, alors tout va bien.
L'immeuble a fière allure, décoré comme il se doit par un joli drapeau tricolore. Au rez-de-chaussée, c'est inintéressant. Les grouillots (les tiens, en l'occurrence) reçoivent le petit peuple, français et étranger, pour la paperasse.
Au premier étage, les salons de réception comprennent notamment une assez belle salle à manger pour recevoir de temps en temps les personnalités du coin. Ne jamais négliger, par exemple, la communauté juive. C'est une tache essentielle du Consul Général de France à New York. Ne pas oublier qu'il y a beaucoup plus de Juifs à New York qu'à Tel-Aviv.
Au deuxième étage, des salons un peu plus privés et une autre salle à manger plus intime. Le cuisinier du Consulat est souvent excellent et les vins arrivent par la valise diplomatique. Pas de souci de ce côté-là.
Au troisième étage, quelques chambres dont la "chambre du ministre". C'est la chambre qui sert en théorie à tous les ministres de passage. Il suffit de changer les draps. Mais c'est rarement nécessaire. Les ministres préfèrent en général séjourner dans un grand hôtel très cher. Il y a d'autres chambres, moins jolies, mais pratiques pour les copains de passage.
Et puis, enfin, David, tu arrives chez toi. Te voici enfin au quatrième étage. Le Nirvana ! Les appartements privés, vraiment privés, les appartements du Consul Général de France à New York.
Alors là, faut pas t'imaginer débouchant dans la galerie des glaces de Versailles. Il faut te prévenir, David : c'est vraiment riquiqui. Pour te la faire courte, c'est tout bonnement un "deux-pièces cuisine". Un salon, une salle de bains, une cuisine, des toilettes et une chambre. En prime, néanmoins, une terrasse.
Mais pas de quoi écrire à la famille. Surtout si elle a l'intention de venir !
C'est ton nouvel univers, cher David. Un "deux-pièces cuisine" avec la télé et chauffage central.
Pour te consoler, regarde bien la carte du territoire consulaire dont tu as la charge. C'est beaucoup plus grand que Neuilly. Il y a d'abord l'Etat de New York, très vaste. Il va jusqu'aux grands lacs. Les chutes du Niagara, c'est ton territoire, David, tu te rends compte !
Il y aussi le Connecticut. Pas très rigolo. Mais ça vaut une petite promenade de temps en temps. Même chose pour le New Jersey qui est aussi à toi, David.
Mais le petit cadeau inclus dans ce boulot, ce sont les Bermudes. Mais oui, David, tu es aussi Consul Général des Bermudes (territoire placé sous l'autorité suprême de Sa Majesté Elizabeth II, Reine d'Angleterre et de plein d'autres trucs disparates). C'est ça la diplomatie française ! Les Bermudes, confetti britannique, c'est dans l'escarcelle du Consul de France à New York.
Alors, ne t'en prive pas, David ! Quand tu as le blues, quand Cécilia (résidente probable de New York) viendra t'emmerder au Consulat pour récupérer la pension alimentaire de son ex-mari, toi tu files à Hamilton en mission ultra-urgente, ultra-importante. Hamilton, c'est la capitale des Bermudes. Car tu es aussi Consul Général de ce trou perdu, très anglais, au climat tempéré, où les parties de golf sont délicieuses.
Bon voyage, David !
Bien à toi,
Anyhow.