"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

jeudi 3 mars 2011

"127 heures" : rock against the clock


«Télérama» a fait la fine bouche, comme souvent. «Les Inrocks» ont détesté, par principe. «The New York Times» a adoré sans réserve et «Le Monde» a plutôt apprécié.

Et moi, j’ai passé un très bon moment de cinéma en voyant «127 heures», le nouveau film du britannique Danny Boyle, le réalisateur qui nous avait déjà offert «Trainspotting», «28 days later» et «Slumdog Millionaire», sans oublier son tout premier film, l'excellent «Shallow grave».

Le scénario repose sur la mésaventure réelle survenue à un jeune Américain, Aron Ralston, parti faire de l’escalade dans un canyon de l’Utah (magnifique région) et qui s’est retrouvé prisonnier, seul, pendant plus de 5 jours au fond d’une crevasse, la main droite coincée contre la paroi par un gros rocher tombé accidentellement.

Pour se sortir de cette très mauvaise passe, le jeune homme est forcé d’en arriver à une solution extrême : amputer son bras en dessous du coude avec un instrument de fortune.

Un autre réalisateur que Danny Boyle aurait été tenté de traiter ce sujet sur le mode du drame psychologique angoissant. Le parti-pris par Boyle est à l’opposé de ces lourdeurs. Ce film est un thriller optimiste, doublé d’une ode à la nature. Malgré l’intrigue, le film évite totalement la morbidité.

L’épilogue est connu du spectateur avant qu’il n’entre dans la salle. Le vrai Aron Ralston a raconté son histoire dans un livre et a donné de nombreuses interviews avant la sortie du film. On sait que le personnage va survivre, presque entier, à l’exception du morceau d’avant-bras qu’il doit laisser sous le rocher.

Danny Boyle nous fait vivre l’histoire comme celle d’un Robinson perdu dans un recoin d’un paysage grandiose. La prouesse du film, c’est de maintenir l’intérêt pour ce personnage unique reclus dans une cavité minuscule. Il y a bien sûr quelques inévitables flash-back. Mais l’essentiel du film nous montre un acteur entre deux murs rocheux. Il faut l’inventivité cinématographique de Danny Boyle pour ne pas être lassant.

Pour réussir ce huis-clos périlleux, le réalisateur (toujours pertinent dans son casting) a choisi un acteur parfait : James Franco. Il incarne à merveille ce personnage sportif, insouciant, joyeux, solitaire mais pas asocial. Disons plutôt qu’il s’agit d’un individu profondément autonome, qualité bienvenue compte tenu des circonstances.

Il s’en sort parce qu’il envisage toutes les solutions avec méthode (c'est un ingénieur) et qu’il aboutit à la seule issue : l’amputation. Cette scène, à la fin du film, est rapide et intense. On la redoute, on l’endure. Mais pour le personnage, comme pour le spectateur, c’est une délivrance. On quitte enfin ce trou en ayant préservé l’essentiel : la vie.

Les moments les plus intéressants du film sont les gros plans sur James Franco. Il passe du désarroi à l’humour, de la détermination au découragement et, parfois, à la colère dirigée contre ce maudit rocher qui le cloue dans une position terriblement inconfortable. Excellente performance d’un acteur plein d’aisance et de naturel.

Le personnage du film (comme celui de l’histoire vraie) se confie régulièrement à une petite caméra vidéo qu’il manie, comme le reste, de la main gauche, la seule à sa disposition. Il fait de ces confidences une sorte de journal de bord qui pourrait devenir un testament si la mort finissait par avoir raison de ses efforts. Mais on sait qu’il ne va pas se laisser vaincre : il va triompher de l’adversité représentée par ce stupide rocher.

C’est l’histoire d’une évasion, comme celle d’un animal pris dans le piège d’un braconnier et qui s’échappe en sacrifiant un membre de son corps.

Comme toujours dans les films de Danny Boyle, il y a des tics de réalisation : un montage haletant proche du clip publicitaire et des images léchées, exagérément colorées. Ce n’est pas l’école de Robert Bresson, si vous voyez ce que je veux dire.

C’est un film qui fonctionne selon les codes classiques du cinéma hollywoodien : présentation du personnage, début tranquille de son aventure, le coup de théâtre (le maudit rocher) et la lutte pour sortir d’une situation inextricable. Le tout couronné par une «happy end».

Au bout du compte, tout cela fait du bon cinéma, n’en déplaise à certains critiques grincheux.

Vous pouvez aller voir ce film en toute confiance : vous n’y laisserez pas un bras.

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