Peut-on imposer des limites à la création artistique ? C’est la question, digne de l’épreuve de philo du bac, que pose l’affaire de la collection Yvon Lambert à Avignon. Cette institution, financée en partie par des fonds publics, expose en ce moment plusieurs œuvres contemporaines dont le célèbre «Christ Piss» de l’artiste américain, Andres Serrano.
Il s’agit d’une photo de grand format, en couleurs, représentant un petit crucifix en plastique plongé dans un bocal contenant l’urine de l’artiste. J’ai déjà vu quelque part, mais je ne sais plus où, un exemplaire de cette photo. La religion chrétienne qui a inspiré tant de chefs d’œuvres au fil des siècles ne méritait sans doute pas cette provocation de potache dont le rendu visuel est assez pauvret.
Si on avait dit que le crucifix était immergé dans du vin blanc (de messe) et non dans le pipi de photographe, personne n’aurait vraiment remarqué cette image relativement banale. Mais c’est la pisse qui, évidemment, donne toute sa dimension à l’œuvre !
L’image urino-christique est ancienne : elle date de 1987. Elle a déjà été exposée un peu partout dans le monde, notamment en France. Parfois, son apparition a soulevé des indignations locales. Cette fois à Avignon (où l’image a déjà été montrée au même endroit il y a quelques années), les autorités catholiques et les fidèles se sont révoltés.
Une pétition a circulé, une manifestation a été organisée. Hier dimanche, un petit commando est allé briser avec des objets contondants le plexiglas qui protège l’image. C’est ainsi endommagée que l’œuvre reste exposée. Ce n’est pas un tirage unique. Le mal infligé n’est pas bien grand. Pour information, si l’envie vous en prenait pour décorer votre salon (ou vos toilettes), sachez qu’un exemplaire de ce «Christ Piss» s’est vendu récemment aux enchères à 150.000 dollars.
Que retenir de cette histoire ? D’abord qu’Andres Serrano, aujourd’hui âgé de 61 ans, a réussi son coup : un petit scandale de ce genre ne peut que faire remonter sa cote et ses prix de vente.
Les rapports entre l’argent et l’urine sont vieux comme le monde.
Les rapports entre l’argent et l’urine sont vieux comme le monde.

Je me souviens d’une autre œuvre qui ne sentait rien non plus et qui pourtant utilisait, outre la peinture, un peu de caca d’éléphant. C’est un artiste britannique, Chris Olifi, qui avait eu cette idée délicate pour réaliser le portrait d’une vierge noire, agrémenté de découpages de parties génitales féminines provenant de magazines pornographiques.
J’avais vu ce tableau au musée de Brooklyn à New York, fin 1999, avant qu’il ne soit maculé de peinture blanche par un vieux protestataire très déterminé. L’œuvre avait été prestement restaurée et le crottin d’éléphant était réapparu dans toute sa magnificence.
Pipi et caca sont donc appliqués à des représentations sacrées du christianisme par des artistes qui revendiquent haut et fort la liberté d’expression. Fort bien. Mais je comprends la colère des croyants qui se sentent salis par ce qui est pour eux, ni plus ni moins, un blasphème. Je suis athée mais je respecte la foi des autres.
Imaginez qu’un zozo ait plongé un buste de Bouddha dans un aquarium rempli de pisse. Ou qu’on ait peinturluré Mahomet ou l’étoile de David avec des excréments de zèbre. Que n’aurait-on entendu !

Mais le sacrilège calculé, c’est autre chose, surtout à l’aide de matière fécale et d’urine. Le but est clairement de blesser les fidèles de la religion concernée. La laïcité repose sur le respect.
Je ne crois pas cependant qu’il faille interdire les œuvres volontairement dégradantes pour les croyants de toutes confessions. Je pense même qu’il serait plus judicieux que les fidèles des religions bafouées ne manifestent pas leur réprobation. Les protestations attirent l’attention sur ces élucubrations nauséabondes.
Je suggère de ne rien dire, de ne rien faire. Les œuvres bêtement provocatrices resteront ainsi obscures et inconnues, accrochées dans l’indifférence générale dans certains musées ou galeries, pour distraire les quelques gogos qui se délectent de cette piteuse et agressive médiocrité.