"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 17 août 2010

France, pays vulgaire


De toutes les formes de violence, c’est la violence verbale qui est la plus insidieuse. On fait violence en parlant, on blesse avec des mots, on abaisse le niveau de la langue pour avilir. Au delà de l’injure et de l’invective, dans cette violence orale, je ressens la vulgarité qui se répand de manière vertigineuse dans nos rapports quotidiens.

La douce France, temple désormais galvaudé du bon goût, de la mode, des parfums, des poètes et des écrivains délicats est devenue un pays poissard.

Le point culminant de cette vulgarité a été atteint le 19 juin de cette année lorsque le quotidien sportif l’Equipe a titré à la une en caractères énormes : «Va te faire enculer, sale fils de pute». On se souvient qu’il s’agissait de propos prêtés au footballeur Anelka et adressés à l’entraineur national Domenech.

N’épiloguons pas sur la véracité contestée de la citation ni sur les conséquences que ces mots brutaux ont eu sur le parcours désastreux des Bleus en Coupe du Monde. Ce que je retiens avant tout , c’est que ce samedi matin 19 juin, à la devanture de tous les marchands de journaux de France, une expression d’une grossièreté inouïe s’est étalée aux regards de tous. Je le répète : c’est un acte de violence, une dérive dommageable.

Il est vrai que l’exemple vient d’en haut. Sur le même registre, le président de la République s’était illustré au Salon de l’Agriculture de février 2008 en lançant à un visiteur hostile à son égard : «Casse toi, pauv’con !». On remarquera, dans l’apostrophe présidentielle, l’usage du tutoiement, méprisant quand il s’adresse à un inconnu. Quand le chef de l’Etat s’exprime comme un charretier, que peut-on attendre du bon peuple ?

Le bon peuple est malheureusement exposé à la vulgarité quotidienne de la télévision. Et en matière de langage, ce sont les émissions de télé-réalité qui véhiculent la plus massive trivialité.

Le principe est simple : on enferme pendant plusieurs semaines un groupe de jeunes gens dans un huis clos cerné de caméras. Les micros accrochés sur chacun des participants captent les dialogues relâchés de cette belle jeunesse. Ces émissions ne fonctionnent que sur des stratégies de tension. Et la tension débouche sur une diarrhée verbale incontrôlable.

Jadis, dans la télé de mon enfance, on ne disait jamais «merde». Dans les émissions de télé-réalité d’aujourd’hui, on entend le mot de Cambronne à chaque minute, et ce n’est pas le plus corsé !

Les garçons et les filles qui s’exhibent devant les caméras de télé-réalité sont représentatifs d’une partie de la génération actuelle qui utilise la langue française comme une arme de combat. Les mots sont chargés d’agressivité.

Ce qui me frappe toujours quand je croise certains groupes de jeunes Français, c’est que la plupart du temps, ils ne parlent pas : ils crient. La surenchère sonore, à coup de décibels, s’allie à un vocabulaire pauvret et démonétisé à force d’excès.

Evidemment, on ne dit plus : «cela m’indiffère». On ne dit même plus : «cela ne m’intéresse pas». On dit : «je m’en bats les couilles». L’expression devient savoureuse quand elle est prononcée par une jeune fille qui ne mesure pas qu’elle ne pourra pas facilement mettre son projet à exécution.

Il y a aussi de la vulgarité et du mépris quand aucun mot n’est prononcé. Récemment, de retour d’un court voyage à l’étranger, j’achète des journaux à mon arrivée à Paris. Derrière la caisse, le vendeur saisit mes journaux, fait l’addition et ne dit rien. J’en suis réduit à consulter la somme sur le cadran de la machine. Je tends ma monnaie. C’est fini. Pas un «bonjour», pas un «merci», pas un «au revoir».

Ça aussi, c’est de la violence, une petite violence qui se résume à un manque de convivialité, à un échange marchand sans chaleur, sans une once d’humanité. A tout prendre, je préfère le sourire artificiellement commercial de la moindre vendeuse ou du moindre serveur aux Etats-Unis.