Dans la production généralement poussive (et pléthorique) du cinéma français, il est rare de trouver des réalisateurs qui construisent une œuvre cohérente et originale. François Ozon en est un.
En douze ans, avec une régularité de métronome, Ozon nous a offert douze longs métrages parmi lesquels je retiens : «Gouttes d’eau sur pierres brûlantes», «Sous le sable», «Huit femmes», «5x2», «Le temps qui reste». Ajoutons à cette liste son dernier film en date «Potiche» qui vient de sortir sur les écrans. Six films intéressants sur douze, c’est une belle proportion pour un homme qui n’aura que 43 ans lundi prochain (bon anniversaire, François !).
Vous avez probablement lu beaucoup de choses sur «Potiche», généralement bien accueilli par la critique. Les salles sont pleines depuis les premières projections. Les spectateurs applaudissent dès qu’apparaît le générique de fin. Sans nul doute, voici un film populaire et intelligent, pas un film sentimentalo-bobo (comme "les Petits mouchoirs" de Guillaume Canet ou les mièvreries de Marc Esposito).
«Potiche» est un film décapant, drôle et parfois loufoque. C’est aussi un film politique : critique du capitalisme, satire des élus, étude de mœurs.
Comme souvent, Ozon apporte beaucoup de soin aux détails, en particulier dans les décors et les costumes. La reconstitution du cadre de vie d’une famille bourgeoise dans les années 70 dans le nord de la France est réjouissante. J’en parle en connaissance de cause ! J’ai adoré notamment le cache-téléphone décoratif en velours qui était un grand classique de l’époque. L’ambiance giscardo-kitsch est rehaussée par la bande originale, florilège de tubes de variétés aussi surannés que la déco : Michèle Torr, le groupe ‘Il était une fois’, etc. Ozon s’amuse aussi, dans le dialogue, à insérer des anachronismes : le «casse-toi, pov con» de Nicolas Sarkozy, le ‘Chabichou’ de Ségolène Royal.
Pour incarner ses personnages, Ozon a convoqué une distribution poids lourd : Catherine Deneuve, la Potiche, est une femme au foyer méprisée, en passe de devenir une mémère mais qui obtient sa revanche, sans le secours du MLF. Deneuve est totalement décoincée dans ce rôle. A 67 ans, elle se lâche enfin, comme elle avait commencé à le faire dans «Huit femmes». Deneuve est une potiche épatante dans son survêtement criard et ses coiffures choucroutées.
Son mari, c’est le vibrionnant Fabrice Lucchini, directeur d’usine, volage et irascible. Il en fait des tonnes, comme d’habitude. Mais, pour une fois, c’est ce qu’on lui demande. Gérard Depardieu complète le trio sous les traits (énormes) du député-maire communiste du coin. Les personnages secondaires (les enfants adultes, la secrétaire, les syndicalistes) parachèvent cette plaisante galerie de portraits.
Ozon ne cherche pas à éviter l’outrance. Nous sommes, de manière assumée, dans la caricature, parfois dans le grand guignol. Après tout, le scénario est librement adapté d’une pièce de boulevard de Barillet et Grédy. Cette pièce fut jouée à la scène par Jacqueline Maillan, une actrice qui ne faisait pas dans la nuance.
Mais cette démesure n’est pas un accident. Elle est recherchée par le réalisateur qui introduit avec gourmandise le burlesque dans la comédie sociale.
Entendons-nous bien : il ne s’agit pas d’un chef d’œuvre. Ce film est terriblement franco-français. Il n’est pas exportable car il est truffé de références purement hexagonales. Comme souvent dans le cinéma tricolore, un montage plus elliptique aurait rendu le rythme moins languissant. Dans la plupart des scènes, Ozon aurait pu couper un bon nombre de plans superflus. L’image est assez plate, sans génie particulier, du niveau d’un téléfilm. A cet égard, «Huit femmes» était cinématographiquement bien supérieur par son découpage, sa vivacité, son inventivité visuelle.
Mais ne boudons pas le plaisir réel procuré par cette «Potiche». Le cinéma français, si navrant, ne nous offre pas souvent l’occasion de sortir satisfait d’une salle.
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