"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

samedi 14 mai 2011

Nicolas Sarkozy préfère "Les Tudors" à "La conquête"


Ce qui doit énerver Nicolas Sarkozy (et Dieu sait qu’il s’énerve vite), c’est que le film «La Conquête» qui retrace son arrivée au pouvoir en 2007 soit présenté au festival de Cannes «hors compétition». Hors compétition, ça ne lui ressemble pas. Nicolas Sarkozy est toujours dans la compétition.
Le film sortira en salle la semaine prochaine après sa projection sur la Croisette. Le président de la République a fait de très longues confidences à Télérama pour expliquer qu’il ne souhaitait pas voir le film pour «protéger sa santé mentale». Tiens donc.
Je n’en crois pas un mot. Je suis convaincu qu’il va se procurer un DVD dans les meilleurs délais. Cela ne devrait pas poser de problème, il a le pouvoir de se faire une petite projection privée en catimini. Peut-être sans Carla. Car l’autre héroïne du film, c’est Cécilia.
Dans cette longue déclaration, le chef de l’Etat multiplie les références au cinéma qu’il dit aimer passionnément. Voici le verbatim présidentiel, recueilli pour Télérama par Fabienne Pascaud.
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­­­­­­­­­ «Je n'ai décidément pas envie de voir La Conquête. En général, je ne lis pas ce qu'on écrit sur moi. Parce que je ne suis jamais content. Si c'est critique, je trouve ça injuste ; si c'est laudateur, ça ne l'est jamais assez... Alors, est-ce la peine ?
J'ai un principe : respecter la liberté de création. On s'attendait par exemple à ce que j'essaie de m'opposer à ce que La Conquête aille à Cannes, ou encore à ce que je veuille voir le film avant la projection pour contrôler ce qui s'y dit. Pas du tout ! J'aime trop le cinéma pour me plaindre, même si le film ne me plaisait pas ou me faisait du mal. De toute façon, ça servirait à quoi ? Mieux vaut une bonne psychanalyse pour accepter son image que voir son intimité mise en scène, non ? Et ne me parlez pas de films anglais récents sur des personnages politiques vivants, tels ceux de Stephen Frears sur Tony Blair ou Gordon Brown : ils ne s'attaquaient pas à leur vie privée, comme on me dit que c'est ici le cas. Et sans avoir fait pour moi la moindre enquête préliminaire... Comme vous le savez, mon existence a changé depuis cette période, c'est aussi par respect pour ma femme, Carla, que je ne verrai pas ce film. Pour protéger ma santé mentale, enfin. Le narcissisme n'est jamais la bonne solution, et trop de narcissisme rend fou.
J'ai juste vu Denis Podalydès, qui m'avait écrit une très longue lettre, une fois le film fini. Je l'ai appelé pour l'en remercier. Nous nous sommes rencontrés. J'ai été étonné en le voyant qu'il puisse m'incarner à l'écran, il semblait si fragile ! Mais la magie du cinéma… Et le talent du comédien…
Je vois entre cent cinquante et cent quatre-vingts films par an. Comme les dîners en ville m'ennuient, je les évite le plus possible. Je rentre tôt, et près d'un soir sur deux, avec Carla, je regarde un film avant de me mettre au travail. Ça me fait partir, m'envoler, grandir. Je suis éclectique. Actuellement je me passionne pour Les Tudors – oui, j'appelle ça du cinéma ! Je trouve qu'il y a bien plus de créativité dans les grandes séries anglo-saxonnes comme 24 Heures chrono, Mad Men, Dexter ou Breaking bad que dans certains films.
Je viens de découvrir L'Atalante, de Jean Vigo, et moi qui suis un sentimental, j'ai adoré cette histoire d'amour-là, si magiquement filmée, interprétée. Je n'aime pas un style en particulier, j'aime juste ce que je trouve bien, et alors je suis du genre compulsif : je peux voir aussi bien à la suite les six Gendarme, de Jean Girault, avec Louis de Funès, que les deux tiers des cinquante-trois Hitchcock (je préfère la première période anglaise), tout Capra, Lubitsch ou Dreyer. Je pleure devant Ordet... Et je viens de découvrir les Marx Brothers ! J'ai du retard à rattraper...
Woody Allen, avec qui Carla vient de jouer un petit rôle, je le connaissais, bien sûr, et j'ai tout vu aussi, avec un faible pour Match Point et Annie Hall. Vous semblez un peu choquée que la Première dame de France, comme vous dites, fasse un peu de cinéma. Mais Carla est une artiste ! Vous ne voudriez pas que je défende l'indépendance des femmes, leur droit à être elles-mêmes et leur égalité avec les hommes et que j'interdise à la mienne de vivre sa vie ! La France peut être fière d'avoir une Première dame autonome.
Non, n'insistez pas, je ne verrai pas La Conquête pour vous donner mon point de vue sur le scénario, la mise en scène, la performance des acteurs. Trop de communication en tout genre devient pernicieux. Je sais de quoi je parle. Et je n'ai pas besoin de me voir en personnage de fiction pour connaître la part de création, d'art presque, qu'il peut y avoir dans le rôle de président de la République : créer l'émotion dans les grandes salles de meeting, par exemple. Vous savez, chaque acte dans la vie d'un président est une forme de création.»
©Télérama
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Voilà. Nicolas Sarkozy pense être un créateur, un créateur politique. Ses goûts cinématographiques vont de Dreyer à la série des «Gendarmes». C’est un champ assez vaste... Il voit 150 à 180 films par an ! Un tous les deux jours... Il aime «24 heures chrono». Forcément.

Il regarde en ce moment la série des «Tudors». Excellente série qui raconte la vie tumultueuse à la cour d’Angleterre dès le début du règne d’Henry VIII. Les épisodes sont tous brillants et remarquablement réalisés. Nicolas Sarkozy a raison : c’est mieux que de la télé, c’est vraiment du cinéma. C’est une superbe description, magnifiquement interprétée, des luttes de pouvoir au plus haut niveau. Pas étonnant que cela intéresse l’occupant de l’Elysée. Ça change de la politicaillerie quotidienne. Les «Tudors», c’est plus grisant que la trahison de Chirac au profit de Balladur, les bisbilles Clearstream, la guéguerre contre Villepin et Borloo. Et à l’époque, le roi d’Angleterre pouvait faire trancher la tête de ses ennemis et multiplier les conquêtes féminines sans que personne n’y trouve rien à redire. Par comparaison, «La Conquête» va paraître bien fade...

Je pense néanmoins que Nicolas Sarkozy ne résistera pas à la tentation de regarder le long métrage français où il apparaît dans le rôle du monarque. On a les «Tudors» qu’on mérite. 

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