
Dans le film «Les Portes de la Nuit» réalisé en 1946 par Marcel Carné, on peut apercevoir un petit garçon de 5 ans. L’acteur en culottes courtes s’appelle Jacques Perrin.
Il en a fait du chemin, ce petit garçon ! Le cinéma français lui doit beaucoup. Jacques Perrin fêtera l’été prochain ses 70 ans. Et il travaille toujours. Il mène sa barque sans ostentation, sans chercher la gloriole.
Sa filmographie d’acteur est infiniment respectable mais c’est comme producteur et réalisateur qu’il imprime sa marque. On peut citer ces dernières années : «Microcosmos», «Le peuple migrateur», «Océans». Des projets ambitieux parfaitement aboutis. Il s’agit de documentaires consacrés à la nature.
Son dernier film en date, coréalisé avec Eric Deroo, est aussi un film dédié à un espace naturel, à un magnifique pays : le Vietnam. Ce film s’intitule «L’Empire du Milieu du Sud». C’est un film sur l’eau, le ciel, la terre. C’est un film sur les montagnes de l’Asie du Sud-Est, sur la forêt tropicale. C’est un film sur une couleur, la couleur verte. La couleur des feuillages luxuriants et la couleur des uniformes militaires. Car, en évoquant le Vietnam, on est confronté évidemment à la guerre, à toutes les guerres qui ont meurtri cette nation.
Jacques Perrin et Eric Deroo, pendant 10 ans, ont collecté dans le monde entier des images d’archives, souvent inédites, sur l’Histoire vietnamienne. C’est un film d’archives mais ce n’est pas un documentaire historique traditionnel.
Jacques Perrin nous propose un poème lyrique et parfois mélancolique sur le destin d’un peuple et aussi sur les étrangers qui sont passés par là. On voit se succéder les colons français, les envahisseurs japonais, les soldats américains. Au fil des époques, ces étrangers sont venus au Vietnam pour des raisons diverses. Beaucoup y sont morts. Ceux qui en sont revenus ont presque tous conservé de ce pays une nostalgie indéfinissable.
Tout au long du film, Jacques Perrin lit des textes littéraires écrits par ceux qui ont connu et aimé le Vietnam. Les textes sont d’auteurs vietnamiens, français, américains.
Jacques Perrin ne choisit volontairement pas son camp. Il montre la joie naïve des colons français : leurs fêtes familiales, leur prétention européenne, leur condescendance paternaliste à l’égard des «indigènes». Il souligne aussi l’exploitation économique implacable imposée aux Vietnamiens (20 millions d’habitants dans toute l’Indochine avant la deuxième guerre mondiale) par une poignée de blancs (20.000 Français). Il illustre ensuite l’arrivée des Japonais en 1940 et leur sauvage brutalité d’occupants. Puis les Français tentent de reconquérir le pays. Hô Ci Minh ne leur laissera guère de répit. La défaite de Dien Biem Phu est en germe. Le film raconte remarquablement, avec des images provenant des archives des deux belligérants, cette débâcle française et l’opiniâtreté des vietnamiens pauvrement armés progressant dans la jungle. La France plie bagage lamentablement. Les GI’s débarquent, massacrent et s’embourbent. Et les Etats-Unis, à leur tour, sont humiliés et s’en vont.
Jacques Perrin montre tout cela en n’oubliant pas la souffrance des soldats, de tous les soldats, et la douleur immense d’une population civile à la merci des bombes et du napalm. Il nous donne à voir également les dérives précoces de la dictature communiste dans son bastion du Nord.
C’est un film sur l’eau, le ciel, la terre et sur un peuple. C’est un document exemplaire qui donne à réfléchir. Il n’y a pas de secret : Jacques Perrin est un homme intelligent qui ne fait rien à la légère.
A la prochaine cérémonie des Césars, cette mascarade pitoyable du cinoche franchouillard, personne ne le distinguera. Jacques Perrin s’en fiche sûrement. Moi aussi.