"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')
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vendredi 21 janvier 2011

Mon dîner avec Jean-Marie Messier



Vous souvenez-vous de J6M ?

«Jean-Marie Messier, Moi-Même, Maître du Monde» est ce petit homme grassouillet que les ‘Guignols de l’Info’ appelaient tout simplement «gros cul». Douce irrévérence, car Messier était à l’époque, entre autres fonctions, patron de Canal+.

J6M, ancien dirigeant flamboyant de Vivendi Universal, vient d’être condamné par le tribunal correctionnel de Paris à trois ans de prison avec sursis pour abus de bien social et diffusion d'informations fausses ou trompeuses. Ses avocats vont faire appel.

Dans l’énoncé de la peine, les juges ont qualifié Messier de «prestidigitateur de dette». A la fin de son règne, la dette de Vivendi s’élevait à 35 milliards d’euros. Pour vous donner une indication sur l’échelle de Richter de l’escroquerie : Messier, c’est un demi Madoff.

Quand la gestion calamiteuse de Messier a été découverte, le titre Vivendi s’est effondré, passant en quelques mois de 140 à 10 euros. Messier est toujours en liberté, Madoff est en taule.

Les petits actionnaires floués par Messier, les plaignants, devraient recevoir des dommages et intérêts d’une valeur totale de 1,2 millions d’euros. La somme sera versée, sous réserve d’appel, par Jean-Marie Messier et son ancien bras droit, Guillaume Hannezo.

Une somme à comparer au parachute doré que Messier s’était octroyé, sans accord de son conseil d'administration, quand il a été contraint de quitter la présidence de Vivendi en juillet 2002 : 20,5 millions d'euros.

En 2001, peu avant sa chute, Messier s’était installé à New York dans un appartement de Park Avenue au coin de la 60ème rue.

C’est une adresse prestigieuse, dans un quartier cossu, dépourvu néanmoins de commerces de proximité. Mais Messier ne remplissait sans doute pas souvent lui-même le caddy des commissions au supermarché.

Le logis de J6M était vaste : 530m2. Messier l’avait acheté 17,5 millions de dollars. C’était un duplex au 38ème et 39ème étage d’un immeuble de 43 étages. Messier disposait, outre les pièces de réception, de 4 chambres et de 4 salles de bains. La vue était belle (en particulier sur Central Park, situé à quelques ‘blocks’) mais J6M ne bénéficiait pas d’une terrasse. On ne peut pas tout avoir.

Il avait toutefois accès au sous-sol à une cave à vin, ce qui est plutôt rare à New York. L’immeuble qui existe toujours dispose également d’une salle de sports réservée aux occupants.

Lorsqu’il habitait à cet endroit, J6M pouvait croiser dans l’ascenseur un certain François Pinault (le patron de PPR) qui était également propriétaire à la même adresse.

Messier avait expliqué à la presse qu’il avait acquis cet appartement douillet car il était lassé de vivre à l’hôtel pendant ses fréquents séjours à New York. Il voulait aussi prouver aux investisseurs américains qu’il s’intéressait personnellement à eux. Lui, Messier, le patron jugé un peu trop «frenchy» par Wall Street.

J’ai rencontré une fois J6M à New York. J’ai même dîné avec lui. C’était au printemps 1998. Ce n’était pas un tête-à-tête, nous étions une quinzaine autour d’une grande table drapée d’une nappe blanche immaculée.

Le dîner s’est déroulé dans un salon privé d’un grand hôtel de l’Upper East Side. Je me souviens que l’endroit était luxueux mais lugubre.

Messier nous avait convié à dîner à 18 h. Aux Etats-Unis, dans le Middle-West, c’est l’heure du repas du soir. Mais 18 h à New York, c’est vraiment très tôt.

Le dîner (assez médiocre dans mon souvenir –la cuisine aseptisée d’un grand hôtel-) a été vite expédié : Messier était impatient de monter dans son jet privé pour regagner Paris.

Ce soir-là, J6M, bien que pressé de partir, était frétillant. Il voulait nous faire une révélation.

Messier venait de décider de débaptiser la ‘Compagnie de la Générale des Eaux’ dont il était le patron.

Il était très fier de lui et surtout du cabinet spécialisé qui avait dégoté, à l’issue d’harassantes séances de ‘brain-storming’, le nouveau nom de la société. Ce nom ébouriffant, c’était ‘Vivendi’ (génitif du gérondif du verbe latin ‘vivo’).

‘Vivendi’, ça faisait chic, plus dynamique, plus international et moins aquatique que ‘Générale des eaux’, nous avait expliqué Messier.

Nous étions tous tenus de garder le secret sur cette dénomination évidemment géniale.

Je me souviens qu’en dehors des collaborateurs obséquieux et profondément admiratifs qui entouraient le poupin Messier, les autres convives n’avaient pas été immédiatement éblouis par cette nouvelle appellation.

J’ai pensé sur le coup que ça sonnait un peu comme une marque de lessive ou de dentifrice. Quelques semaines plus tard, le nom ‘Vivendi’ a été révélé publiquement à la terre entière.

C’est donc ce soir-là, dans un salon plutôt sinistre d’un hôtel de New York, que j’ai, en avant-première exclusive, entendu parler pour la première fois de ‘Vivendi’. Privilège immense, car cela venait de la bouche du cheval.

Veni, vidi, vivendi.