"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 19 février 2012

Un déçu du sarkozysme tenté par Mélenchon




J'avais voté pour Nicolas Sarkozy aux deux tours de l'élection présidentielle de 2007. Je ne le ferai pas à nouveau en 2012. 

Il y a cinq ans, je croyais que cet homme intelligent et volontaire allait enfin bousculer les mauvaises habitudes de la France. Donner à «notre cher et vieux pays» (comme disait De Gaulle) un bon coup de pied au cul. Il en avait besoin et c'est toujours le cas.

Par le passé, j'avais toujours voté à gauche. Pour Sarkozy, j'acceptais de faire une exception. Face à lui, l'imprévisible et fantasque Ségolène Royal ne me paraissait pas crédible. Je pensais, à tort, que le candidat de droite pourrait secouer le cocotier.

Un nouvel élu à l'Elysée dispose d'un temps très court pour faire passer les réformes les plus difficiles. Au début de son mandat, porté par l'euphorie de la victoire, il peut imposer à ses partisans enamourés des changements salutaires. Après, au bout de quelques mois, le charme de la nouveauté s'émousse et les pesanteurs du corporatisme et des lobbys bloquent à nouveau toutes les initiatives.

Nicolas Sarkozy a totalement raté le début de son quinquennat. Quand l'entame est moisie, le reste du pain pourrit très vite.

J'étais Place de la Concorde le soir de sa victoire, le 6 mai 2007. Je voulais voir ça. Je voulais comparer l'ambiance avec celle du 10 mai 1981, Place de la Bastille, où j'étais également présent, à l'occasion de l'élection de François Mitterrand. La Bastille, c'était formidable. Le désenchantement qui a suivi a duré 14 longues années.

La Concorde, le 6 mai 2007, c'était lugubre. La foule était assez clairsemée. Le vainqueur festoyait avec ses amis au Fouquet's et se faisait attendre. Sur la scène installée devant l'obélisque, des politicards ébahis meublaient le temps mort. Du côté «people», on apercevait Mireille Mathieu, Enrico Macias et Gilbert Montagné. Ça commençait plutôt mal.

Et puis, très tard, Sarkozy est arrivé, trainant derrière lui son épouse de l'époque, la récalcitrante Cécilia. Il a fait un petit discours dont je ne me souviens plus très bien et il est reparti.

Passons sur cet épisode médiocre du premier soir. La suite, nous la connaissons : les mauvais symboles (le yacht de Bolloré, l'agitation médiatique, etc.) et les premières mesures erratiques, essentiellement fiscales, en direction de son électorat le plus privilégié. Tout ça pour ça.

En apéro, Nicolas Sarkozy offrit quelques zakouskis pour donner l'illusion de la «rupture» : Fadéla, Rama, Rachida sans oublier Kouchner. Le peinturlurage de la diversité et de l'ouverture s'est vite craquelé. Sarkozy a galvaudé la première année de son mandat en n'engageant pas fermement le pays vers une modernisation nécessaire. Il est resté sur les acquis, grisé qu'il était par son ascension.

Un an plus tard, la crise financière a déferlé sur le système capitaliste, touchant avec un petit retard l'économie française. Sarkozy s'est démené comme il a pu. Le défi était immense pour le dirigeant d'un pays ankylosé par un dialogue social quasi inexistant : un patronat rigide et des syndicats non-représentatifs et profondément conservateurs. C'était très mal parti.

Nicolas Sarkozy et son gouvernement se sont attaqués cependant à des dossiers sérieux, avec des résultats en trompe-l'oeil. La réforme des régimes spéciaux (SNCF, RATP, etc.) est une illusion. Elle coûte plus cher à appliquer que le système antérieur. La réforme des retraites, absolument indispensable, a été timide et incomplète. Il va falloir la revoir totalement, avec courage, sous peine de voir s'écrouler le financement des pensions dans les prochaines années.

Sur des points secondaires, Nicolas Sarkozy a reculé face aux lobbys. Je pense notamment aux taxis parisiens. Il était question d'en augmenter le nombre, trop faible pour la capitale. En 1920, il y avait 25.000 taxis à Paris. Il n'y en a aujourd'hui que 17.000 pour une demande beaucoup plus forte. Les chauffeurs de taxi se sont révoltés. Pas question d'encourager la concurrence, même si les voitures disponibles sont rares et, pour beaucoup, agglutinées dans les aéroports. Les chauffeurs de taxi ont bloqué Paris pendant 48 heures. La réforme nécessaire de leur profession a été enterrée prestement. Sur ce point comme beaucoup d'autres, Nicolas Sarkozy a flanché.

Comment prétendre abattre le «capitalisme financier» quand on plie aussi vite devant les vociférations d'une corporation très minoritaire ?

©Plantu/Le Monde
Investi de la légitimité d'une victoire nette à l'élection présidentielle et soutenu par une solide majorité, Nicolas Sarkozy aurait pu aussi s'attaquer sans attendre au fléau social inventé par le gouvernement de Lionel Jospin sous l'impulsion de Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry : la réduction du temps de travail à 35 heures, une mesure suicidaire qui plombe l'économie française sans réduire le chômage. Sarkozy a vaguement écorné ce boulet sans jamais oser vraiment en délivrer les entreprises. Encore une occasion ratée.

Parallèlement, Nicolas Sarkozy a satisfait les revendications extravagantes de certains secteurs comme celui de la restauration. La baisse de la TVA représente un cadeau annuel de 3 milliards d'€. Les restaurateurs n'ont que très partiellement utilisé cette énorme cagnotte pour, comme ils l'avaient promis, embaucher, investir et baisser le prix des menus.

Je pourrais multiplier les exemples. Nicolas Sarkozy, englouti par la crise financière internationale, a géré les affaires à la petite semaine. Ces derniers mois, il a multiplié jusqu'au grotesque les «réunions de la dernière chance» destinées à «sauver l'Europe». Ces derniers jours, sentant l'échéance de sa difficile réélection approcher, il a brandi le référendum comme arme suprême pour «redonner la parole au peuple» sur l'immigration et les allocations chômage. Petite manœuvre qui n'engage à rien mais qui peut plaire à son électorat le plus droitier.

Nicolas Sarkozy qui a eu tous les pouvoirs n'a pas engagé le pays vers le sursaut économique. Il aurait pu réformer profondément la formation professionnelle, favoriser la recherche et inciter les entreprises à investir. Formation, recherche, investissement. L'équation est pourtant évidente.

Il a aussi abandonné la jeunesse, tout particulièrement celle des banlieues. Rien n'avait été fait de sérieux par les socialistes auparavant dans ce domaine. Nicolas Sarkozy a persévéré dans l'inaction. Il est incroyable de constater que l'ambassadeur des Etats-Unis en France est plus investi dans les quartiers difficiles que ne l'est le gouvernement français qui se contente de déployer des CRS. On a même vu récemment des émissaires du Qatar distribuer des bourses dans les cités.

Je crois que Nicolas Sarkozy a des qualités et une énergie hors du commun. Mais il les a mal utilisées pendant les cinq années de sa présidence. C'est un gâchis.

Je suis donc un «déçu du sarkozysme». Je n'espérais pas tout de lui. Mais quand même un peu plus que ce qu'il a réalisé. Le principal reproche que je lui adresse est simple : il n'a pas fait ce qu'il avait promis de faire. Sarkozy n'a pas fait du Sarkozy. On aurait pu juger sur pièces s'il était allé au bout de son programme de 2007. Il nous en a offert une version «light», insipide et désordonnée.

Alors, maintenant, en 2012, quelle est l'alternative ? Elle est hétéroclite et peu mobilisatrice. J'oublie volontairement les candidatures subalternes : Dominique de Villepin, Eva Joly (pathétique !), Nicolas Dupont-Aignan, les deux trotskistes (beaucoup plus fades que d'habitude) et quelques inévitables hurluberlus. Par chance, Boutin, Morin et Chevènement ont plié boutique en évitant de prolonger la situation ridicule où ils s'étaient plongés.

Marine Le Pen surnage dans ce marigot. Elle est coriace et maîtrise à merveille l'outil télévisuel. Son discours sociétal reste aussi nauséabond que celui de son père. Son programme économique est absolument aberrant. Le retour au Franc et le protectionnisme cocardier ne sont que des fadaises inapplicables, de fausses solutions offertes à un électorat déboussolé qu'elle tente de séduire avec la formule illusoire : «c'était mieux avant». Confier les commandes à Marine Le Pen reviendrait à plonger la France, non pas au niveau de la Grèce, mais à celui de l'Albanie.

François Bayrou a peaufiné son sempiternel discours sur «la troisième voie», ni gauche ni droite. Face à la médiocrité ambiante, il en deviendrait presque intéressant. Mais l'homme est affreusement seul, sans appui et sans relais. On sait depuis 1965, grâce à Jean Lecanuet, que le centrisme en France est une baudruche vide. Valéry Giscard d'Estaing, pourtant issu du centre, ne s'y est pas trompé en gouvernant à droite.

François Hollande fait de beaux efforts de concentration, en se drapant ostensiblement dans les frusques de Mitterrand. Il a réussi à maintenir l'apparence d'une unité autour de lui, ce que son ex-épouse Ségolène Royal n'était pas parvenu à réaliser il y a cinq ans. Mais il louvoie encore autour d'un programme sans souffle et sans ligne directrice. C'est de la social-démocratie de deuxième main, alors que les temps difficiles que nous traversons réclament des choix clairs, audacieux et parfois brutaux. Les quatorze années du mitterrandisme nous ont appris que le PS pouvait gouverner mais ne savait pas choisir. Hollande, cela risque fort d'être du Mitterrand sans inspiration, avec sans doute moins de machiavélisme. C'est déjà ça.

Alors, il reste Jean-Luc Mélenchon. Je suis à l'opposé de 95% de ses idées. Son alliance stratégique avec le reliquat du PCF devrait m'en détourner encore davantage. Et pourtant, il y a chez Mélenchon une hargne salutaire. Je pense que le bonhomme est sincère. Il fonce dans le tas, se contrefiche des petits marquis de la communication et bouscule le ronron policé de l'espace médiatique. Il parle vrai, au service d'une ligne politique que je ne partage pas. Mais on l'écoute. Je l'écoute. 

Quand il parle «au nom du peuple» (comme le font les autres sans savoir ce que cela veut dire), il n'est pas ridicule. Il se présente comme le candidat des «pouilleux». Ils sont peu à réclamer cette étiquette. J'aime sa véhémence, sa culture historique, son maniement subtil de la langue. L'homme est un peu roublard mais diablement intelligent. Il est beaucoup plus aiguisé politiquement que ne l'était Georges Marchais, marionnette issue du stalinisme. Mélenchon, c'est une sorte de Georges Frêche qui ne dirait pas d'ignominies. Et Frêche a été un homme politique majeur, malgré les scories de son parcours.

Dans ce choix qu'on nous offre, je suis donc tenté de faire le grand écart. Passer de Sarkozy à Mélenchon. Oui, carrément ! Non pas que je signe des deux mains le programme du «Front de Gauche», loin de là ! Mais je veux, avec un tout petit bulletin de vote, exprimer ma profonde aversion face à l'expérience Sarkozy.

Le vote Hollande n'est qu'un «vote utile», pas très grisant. On sait où cela va conduire : à une politique de gestion pépère, probablement un peu moins inégalitaire. Pas de quoi rêver.

Si je ne change pas d'avis avant d'entrer dans l'isoloir, le vote Mélenchon serait clairement pour moi un vote protestataire. Je ne prends pas de grands risques : Mélenchon n'accèdera pas au second tour. Mais j'espère que son score sera solide, grâce à des voix populaires qui échapperaient ainsi aux mirages du FN.

Un bon score pour Mélenchon, ce serait surtout un avertissement pour le PS : un coup de cravache pour ne pas rêvasser dans la tempête. 

8 commentaires:

Unknown a dit…

Je n'avais jamais cru a Sarkozy, peut-être que le fait de connaître son benjamin de frère y était pour beaucoup. Je suis toutefois déçue du Sarkozysme car on a eu pendant 5 ans un clown qui a démoli l'image de la France a l’étranger. Hier soir, je me posais la question du vote après avoir reçu un email de Nicolas, sur une adresse récupérée sans mon accord des consulats. J'en suis choquée, mais bon, vote pour un "bland" au lieu d'un "bling comme le dit le Sunday Telegraph (d’après ASI vite dit) ne m'enchante pas. Alors quel vote. Pour celui qui parle le mieux? le meilleur tribun? Dans ces cas-la, c'est Melenchon qui tient la corde. Il y a encore du temps avant le jour du vote, on verra devant l'isoloir, ce qui ne m'est jamais arrivé

Gilles LANGOUREAU a dit…

pas mal dit ! moi aussi , çà sera Mélenchon !!

Gilles LANGOUREAU a dit…

pas mal dit ! moi aussi , çà sera Mélenchon !!

GRRD a dit…

Je pense comme vous, mais dans votre excellente analyse de notre Immense Président, vous oubliez Paul Desmarais, Celui qui avait dit en 1995 à Sarkozy 5citation de Sarkozy lui-même), "il faut que nous bâtissions une stratégie pour toi", ce qui a d'ailleurs réussi pour Paul Desmarais.
Je pense qu'en France on ne parle pas assez de Paul Desmarais, il est intéressant de lire ce blog québecois. http://nbaillargeon.blogspot.com/2009/07/sarkozy-desmarais-une-amitie-dont-la.html,
Et c'est ce personnage qui a fait notre Sublime leader,

Anonyme a dit…

À vrai dire, Mélenchon se rapproche de plus en plus du national-souverainisme : haine viscérale contre l'Europe, dénonciation des "élites" internationales, discours ouvriériste... Le Front de Gauche est devenu le "Parti mélenchoniste" et le discours populiste a remplacé le discours gauchiste...

ANYHOW a dit…

@ GRRD - Très intéressante et inconnue en France, cette ramification canadienne...

Anonyme a dit…

Je veux bien admettre admettre que le risque (de voter pour un collectiviste hargneux et menteur) serait à la hauteur de la déception créée par les manquements du Président Sarkozy, mais quand même... Mélenchon ! Ce "boucher de la vérité" comme disait Camus à propos des menteurs communistes.

Bon vent à toutes et tous.

christelle a dit…

dans ce cas, pourquoi ne pas se laisser tenter par le seul candidat que les pouvoirs en place ne veulent pas voir médiatisé?

<>

http://www.u-p-r.fr/actualite/upr/le-csa-donne-raison-a-l-upr-les-medias-doivent-rendre-compte-en-urgence-de-la-candidature-de-francois-asselineau