"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

mardi 15 février 2011

Affaire Florence Cassez : pourquoi tant de mépris envers le Mexique ?


Que justifie ce mépris outrecuidant des autorités françaises (relayées par la plupart des médias français) à l’égard du Mexique ? Qui sommes-nous pour donner des leçons de démocratie et de bon fonctionnement de la Justice ?

Depuis quelques jours, autour du cas de Florence Cassez, se multiplient les caricatures racistes et les clichés à propos des Mexicains (sombrero, cactus et tequila). Jolie manière de traiter une nation de 112 millions d'habitants, le premier pays hispanophone au monde, un pays qui possède une longue Histoire, une culture riche et ancienne et une fierté nationale fondée sur une farouche indépendance. Franchement, on a l'air de quoi ?

Michèle Alliot-Marie, ci-devant ministre des Affaires étrangères, a proclamé son «indignation» à l’adresse du gouvernement mexicain. C’est sans doute qu’elle vient de lire tardivement l’opuscule de Stéphane Hessel. On n’a guère entendu l’indignation de la ministre pendant ses vacances de décembre dernier en Tunisie. Sous le régime de Ben Ali, il y avait pourtant de vraies raisons d’être indigné.

Alors, résumons l’affaire Florence Cassez : il s’agit d’une jeune fille né à Lille il y a 36 ans et dont la famille réside à Béthune. Florence, un peu aventureuse, s’éprend d’un Mexicain. Le compagnon Israel Vallarta est officiellement vendeur de voitures. En réalité, il est l’un des chefs d’un gang spécialisé dans les enlèvements crapuleux, «Los Zodiacos». L’enlèvement contre rançon au Mexique est une activité criminelle florissante.

Florence Cassez, avant son arrestation en compagnie d’Israel Vallarta, a vécu avec ce dernier pendant 5 mois dans le «Ranch de la Chinitas», à une vingtaine de kilomètres de Mexico. Dans ce lieu, pendant que Florence Cassez y séjournait, des otages croupissaientt dans la terreur et le dénuement le plus complet.

Quel est le degré d’implication de la jeune Française dans les activités du gang «Los Zodiacos» dont faisait partie son compagnon Israel Vallarta ? C’est toute la question sur laquelle la Justice mexicaine s’est prononcée en avril 2008 en condamnant Florence Cassez à une peine très lourde de 96 ans de prison, peine ramenée en appel à 60 ans en mars 2009.

Elle a été condamnée pour enlèvement, séquestration, délinquance organisée et possession d'armes à feu. Aujourd’hui Florence Cassez a épuisé tous les recours possibles au Mexique.

Il y a dans ce dossier des irrégularités flagrantes, notamment la mise en scène, devant les caméras de télévision, de l’arrestation de Vallarta et Cassez, une grossière reconstitution au lendemain de l’arrestation effective du couple. Le procès lui-même s’est fait sous la pression du pouvoir politique mexicain, impitoyable dans sa chasse aux kidnappeurs organisés.

Mais un procès sous pression et une arrestation reconstituée pour la télé suffisent-ils pour affirmer que Florence Cassez est innocente comme elle ne cesse de le dire ? Les prisons du monde entier sont pleines d’innocents autoproclamés.

Est-il matériellement possible de vivre pendant 5 mois dans un ranch où sont enfermés des otages, en partageant l’intimité de l’un des chefs du gang, sans se douter de rien ? Sans être complice, même de manière passive ? Nicolas Sarkozy a affirmé sans rire aujourd’hui que le dossier de Florence Cassez était un cas «humanitaire». On va finir par croire que la jeune française était bénévole dans une ONG ou qu’elle guérissait des lépreux ! Une nouvelle Mère Thérésa, peut-être ?

Essayez donc de faire avaler le mot «humanitaire» aux personnes enlevées par «Los Zodiacos»...

Le 13 juin 2008, «La Jomada», l’un des plus grands quotidiens de Mexico, publiait le témoignage suivant :

Mon nom est Cristina Rios Valladares et j’ai été la victime d’une prise d’otage, au côté de mon époux Raul (libéré quelques heures plus tard) et mon fils qui avait 11 ans. Depuis ce jour notre vie a totalement changée. Aujourd’hui nous souffrons d’un exil forcé par la peur et l’insécurité. Ma famille est détruite. Ce que mon fils et moi avons vécu du 19 octobre 2005 au 9 décembre de la même année, est indescriptible. 52 jours de captivité pendant lesquelles je fus victime d’abus sexuel et, les trois d’une torture psychologique. Le 9 décembre nous avons été libérés lors d’une opération de l’Agence Fédérale de Recherche (AFI). Israel Vallarta et Florence Cassez furent accusés de nous avoir pris en otage, puis ils furent arrêtés, cette dernière d’origine française, se présente maintenant comme la victime et non pas comme complice du jugement. Depuis notre libération ma famille et moi nous vivons à l’étranger. Nous ne pouvons pas revenir à cause de la peur, car le reste de la bande n’a pas été arrêté. Depuis notre refuge, car on ne peut pas appeler maison un lieu où nous avons été forcé de vivre (à cause de l’insécurité), nous avons appris la nouvelle de la peine de 96 ans de prison que Florence Cassez méritait, cette femme dont j’avais écouté la voix à de maintes reprises pendant ma captivité…la même voix d’origine française qui bourdonne encore aujourd’hui dans mes oreilles, la même voix que mon fils reconnaît comme celle de ma femme qui lui pris du sang pour l’envoyer à mon époux, avec une oreille qui lui ferait penser qu’elle appartenait à son fils. Maintenant j’apprends que Florence réclame justice et clame son innocence. Et moi j’entends dans ses cries la voix de la femme qui, jalouse et furieuse, cria sur Israel Vallarta, son petit ami et chef de la bande, que s’il recommençait à s’approcher de moi (elle entra par surprise dans la pièce et elle le vit m’embrasser) elle se vengera sur moi. Florence raconte «le calvaire» de la prison, mais elle voit sa famille dans le pénitencier, elle fait des appels téléphoniques, elle réalise des interviews pour la presse et elle ne craint pas chaque seconde pour sa vie. Je ne détaillerai pas ce qu’est un véritable enfer, c’est-à-dire, une prise d’otage. Ni ma famille ni moi n’avons d’envie, ni de force pour faire une campagne médiatique, diplomatique et politique (comme celle que sa famille est en train de réaliser) pour permettre au gouvernement français, à la presse nationale et internationale d’écouter l’autre version, c’est-à-dire, celle de la parole des victimes de la bande à laquelle appartenait Mademoiselle Cassez. Florence qui est une preneuse d’otage et non pas seulement la petite amie d’un preneur d’otage (avec lequel elle vivait dans un ranch au moment de la captivité de mon fils et moi), l’idée qu’elle puisse apparaître comme une victime et qu’elle lutte pour qu’on modifie sa condamnation. Si elle y arrive ou non, ce n’est pas à nous d’en juger, bien que cela continue à nous blesser. Cette lettre est uniquement pour nous soulager. L’affaire est aux mains de la justice mexicaine. Nous n’interviendront plus publiquement, nous ne donnerons plus d’interviews à la presse (notre indignation nous à pousser à en concéder quelques une), nous utilisons et utiliserons toute notre énergie pour protéger l’intégrité de notre famille et dans le but de nous guérir du mal qu’ils nous ont fait. La nouvelle effervescence que ravive l’appel de la condamnation et le remous médiatique qu’il provoque nous met de nouveau en danger.

©La Jomada

Il n’est pas question évidemment de refaire l’instruction à distance, surtout à partir de ce seul témoignage. Mais il est permis toutefois de s’interroger sur le rôle réel joué par Florence Cassez auprès d’Israel Vallarta et de «Los Zodiacos». Les proclamations d’innocence de la condamnée ne sont pas une preuve plus solide que celles contenues dans le dossier à charge échafaudé contre elle au Mexique.

Je passe sur les gesticulations de Nicolas Sarkozy, ses pressions maladroites et sans résultat auprès du président mexicain Felipe Calderon. Je ne veux même pas évoquer la polémique grotesque sur «l’Année du Mexique en France». Cela me semble totalement hors-sujet.

Je prends en compte évidemment le point de vue des parents et des amis de Florence Cassez. Savoir cette jeune femme enfermée aussi longtemps dans une prison lointaine, dans des conditions sûrement pénibles, est un sujet d’angoisse. Le «transfèrement» de Florence Cassez dans une prison française serait une solution équilibrée. Mais les rodomontades françaises et l’arrogance de nos dirigeants politiques ont de quoi faire hésiter les autorités mexicaines.

Ce que je conteste vivement, ce sont les accusations portées a priori contre la Justice mexicaine. Ce n’est probablement pas la meilleure du monde. Mais ce n’est pas la Justice chinoise, ni la Justice telle qu’elle s’exerçait en Tunisie sous Ben Ali. Je pourrais multiplier les exemples.

L’opprobre jeté en bloc contre la justice mexicaine me rappelle la suspicion hautaine des intellectuels parisiens à l’égard de la justice italienne dans l’affaire Cesare Battisti. Nos beaux esprits germanopratins ont justifié le long séjour en France de Battisti (sous la haute protection de François Mitterrand) et sa fuite au Brésil au motif que le terroriste italien n’avait pas été jugé équitablement dans son pays. Battisti avait été condamné (par contumace) à la prison à perpétuité pour deux meurtres et deux complicités de meurtre. Son extradition vers l’Italie est toujours bloquée par le Brésil.

La justice mexicaine, justice de mariachis ? La justice italienne, justice de pizzaïolos ? Et la nôtre, l’exemplaire justice française, n’a-t-elle pas produit le fiasco d’Outreau ?

Un mot encore sur la justice italienne, tellement suspecte aux yeux de la gauche Rive Gauche. C’est cette justice qui ne serait pas digne de condamner le terroriste Battisti qui vient d’assigner en comparution immédiate l’homme le plus puissant du pays, Silvio Berlusconi, qui sera jugé à partir du 6 avril prochain à Milan pour ses plus récentes frasques sexuelles.

Alors, par pitié et par simple décence, arrêtons de juger la Justice des autres. Et commençons par balayer les marches de nos tribunaux.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte, qui remet quelques pendules à l'heure et permet, au moins, de se poser des questions, ce qu'on n'aurait pas fait en entendant seulement les membres du gouvernement.
La justice mexicaine a fait son travail, sans doute avec une pression importante du fait qu'il s'agissait d'une française.
Pour qu'elle en soit arrivée à ce verdict après des semaines de délibéré, avec des pièces dont nous n'avons pas connaissance, c'est que notre oie blanche n'est peut-être pas si blanche que ça.

urbanitasmagories a dit…

c'est vrai qu'on a du mal a comprendre la sur-enchère de MAM et de Sarkozy : Le Mexique, 2 fois plus d'habitants qu'en France, porte d'entrée économique de l'Amérique latine, n'est pas une barre d'immeuble devant laquelle crier qu'on va tout passer au Karcher.
Il faut calmer le jeu et revenir à des choses raisonnables. Il faut laisser la Justice à la Justice, la politique à la politique et la Diplomatie aux diplomates...

Anonyme a dit…

Ciel, Urbanitasmagories! (Urnanitasmagorix)
Laisser la justice à la justice, la politique à la politique et la diplomatie au diplomates!
C'est un raccourci qui m'interpelle. Où voulez vous en venir?
Chacun à faire sa cuisine dans son coin, sans regarder ailleurs, c'est sans doute un gage de sagesse spirituelle, pour soi.
C'est déjà beaucoup, mais dans ce qu'on voit ces temps-ci, l'ouverture sur ce qui n'est pas dans nos 360° personnels, dans nos 24 heures d'occupations triviales, semble une nécessité.

La sagesse au détriment de l'observation des réalités du monde, qui nous force à sortir de nos petites certitudes, de notre morale bien ancrée dans nos têtes, me semble devenir un handicap.
Les chocs de ces derniers temps, que ce soit pour les révolutions du Maghreb, pour les pantalonnades d'Alliot-Marie, pour la cécité devant une possible culpabilité de Florence Cassez, à laquelle on n'aurait jamais osé penser, me semblent des chocs salutaires, au niveau individuel pour comprendre que tout ne va pas au mieux dans le meilleur des mondes, et qu'il y a des choses, et des gens, qui ne sont pas à leur place.

Anonyme a dit…

il manquait que l'histoire de l'ex dictateur haitien Duvalier.. sinon vous avez tout dit. bravo

Anonyme a dit…

Merci pour ce texte. C'est bien d'avoir un autre son de cloche. Personnellement, ce qui m'a mis la puce a l'oreille, c'est que dans la presse française, on tire systématiquement a boulets rouges sur les institutions mexicaine et on présente toujours des éléments a décharge pour Florence Cassez.

Quand on lit la presse étrangère (Espagne, USA, Angleterre) les propos sont beaucoup plus mesures. On relève les irrégularités de la procédure, mais on ne remet pas en cause la décision de justice et la culpabilité de Florence Cassez.

Ensuite, pendant les premières années, la France n'a pas conteste la décision. Quand en 2009, Nicolas Sarkozy a demande qu'elle purge sa peine en France, il reconnaissait la culpabilité de Florence Cassez. Le Mexique a demande a la France de s'engager a ce que la Française fasse toute sa peine. La France a refuse et du coup, c'est une commission parlementaire qui a refuse le transfèrement.

Ensuite, avant de dénigrer les institutions mexicaines, il faut rappeler que le gouvernement mexicain a lance une guerre contre le crime organise qui a fait plus de 30 000 morts en 5 ans. Parmi ces victimes, il y a des journalistes, des politiques, des juges, des militaires et des policiers qui ont laisse leur vie en faisant leur travail. Ça veut dire que même si la société mexicaine est imparfaite (les Mexicains sont les premiers a le reconnaître) il y a tout de même beaucoup de gens intègres et courageux qui ne méritent pas d'être traines dans la boue. Enfin, quand la France se pose en donneuse de leçons, elle se doit d'être exemplaire.

Dans le cas de la prise d'otage des deux malheureux français au Mali, on a fait intervenir la légion étrangère et les preneurs d'otages ont été abattus dans des circonstances qui n'ont toujours pas été éclaircies (on attend toujours les rapports). L'opération ne s'est pas faite dans un cadre légal (intervention de militaires français, sur le sol étranger sans décision de justice). Il semble que dans ce cas, la méthode expéditive n'ait pas pose de problème ni a Nicolas Sarkozy, ni aux journalistes français.

Comme souvent, la moralité hexagonale est a géométrie variable.

Anonyme a dit…

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Anonyme a dit…

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