Samedi commencera le grand show rural de la Porte de Versailles, le Salon de l’Agriculture, qui sera qualifié immanquablement comme chaque année de «plus grande ferme du monde» par les journalistes de l’audio-visuel, jamais effarouchés par les clichés éculés.
Ce salon annuel est l’occasion d’un défilé de personnalités politiques qui viennent, à bon compte et sans franchir le périphérique, chercher un label de ruralité.
Les Français entretiennent avec leur agriculture un rapport fantasmé, bercé de nostalgie.
Le dernier exemple en date de ces sentiments confus nous est fourni par l’attaque personnelle lancée par l’UMP Christian Jacob contre Dominique Strauss-Kahn.
Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée, a affirmé que DSK ne correspondait pas à «l'image de la France, de la France rurale, de la France des terroirs et des territoires, de la France qu'on aime bien».
La France que l’on aime bien, est-ce à dire qu’il existe une France qu’on aime moins ? Christian Jacob a une petite idée derrière la tête.
Les commentateurs et les responsables socialistes n’ont pas manqué de relever la connotation antisémite des propos de Christian Jacob, même si ce dernier se défend d’avoir eu de telles intentions.
La petite phrase de Christian Jacob (prononcée dimanche au micro de Radio J, la radio de la communauté juive où personne n’a réagi sur le moment) a en effet des relents de pétainisme.
On se souvient de l’affirmation lancée en juin 1940 par Philippe Pétain : «La terre, elle, ne ment pas. Elle demeure votre recours. Elle est la patrie elle-même. Un champ qui tombe en friche, c’est une portion de France qui meurt.» Le vieux Maréchal s’inspirait de la pensée de Charles Maurras qui aimait opposer «le pays réel» à «l’anti-France». Cette dernière pour Maurras était incarnée par les Protestants, les Juifs, les Francs-Maçons et «les métèques».
Je ne crois pas que Christian Jacob (ancien agriculteur et ancien syndicaliste agricole) ait voulu aller si loin dans son attaque contre DSK.
Mais Christian Jacob est un UMP pur sucre qui se reconnaît sûrement dans le discours prononcé dans le Jura par le président Sarkozy en octobre 2009, au cours d’un déplacement campagnard, hautement médiatisé.
Le chef de l’Etat (pas Pétain, mais Sarkozy) avait déclaré : « La France a un lien charnel avec son agriculture, j’ose le mot : avec sa terre. Le mot "terre" a une signification française et j'ai été élu pour défendre l'identité nationale française. Ces mots ne me font pas peur, je les revendique. La France a une identité particulière qui n’est pas au-dessus des autres mais qui est la sienne et je ne comprends pas qu’on puisse hésiter à prononcer ces mots « identité nationale française ».
Ainsi donc, le thématique de la terre, garante de l’identité nationale, est sans cesse labourée, de Maurras à Sarkozy, en passant par Pétain et Jacob.
Curieux attachement dans un pays dont les habitants voient plus souvent des vaches à la télé qu’en chair et en os. Ils aiment pourtant ce discours du terroir. C’est une rhétorique rassurante qui permet de replonger dans le bon vieux temps, celui d’avant la mondialisation.
Mais c’est un discours du passé. C’est le discours du clocher, du joli village, tel que François Mitterrand se l’était approprié, grâce à Jacques Séguéla, dans son affiche électorale de 1981, l’affiche de «la France tranquille».
En quoi l’agriculteur vanté par Christian Jacob serait-il la vraie représentation de la France d’aujourd’hui ? Davantage qu’un ingénieur, qu’un fonctionnaire, qu’un médecin, qu’un marchand de chaussures, qu’un technicien en informatique ? S’agit-il d’invoquer le fameux «bon sens paysan» ? Ce bon sens serait-il supérieur aux jugements portés par un économiste, diplômé d’HEC, actuellement directeur du FMI à Washington ?
Le bon sens paysan, s’il existe, est-il plus pertinent que le point de vue d’un ancien avocat de Neuilly-sur-Seine devenu ministre puis président de la République ?
La terre ne ment pas, vous a-t-on dit. Mais la France rurale de nos livres d’Histoire n’est plus qu’un mythe.
Avant le début de l’exode rural, en 1860, sur 36 millions de Français, 27 millions vivaient et travaillaient à la campagne. Le basculement s’opère en 1931 : la population urbaine devient majoritaire. En 1945, la France compte encore 10 millions d’actifs dans l’agriculture. Ils sont 700.000 aujourd’hui, moins de 3% de la population active.
Cela ne signifie pas que les paysans, les éleveurs, les viticulteurs qui restent ne doivent pas être pris en compte, évidemment. Mais pas au point d’incarner l’archétype du Français contemporain. Plus des trois quarts des Français vivent en zone urbaine.
Christian Jacob a tenté, dans un deuxième temps, de clarifier ses propos. Il a expliqué que DSK représentait mieux «les bobos que la France rurale, des terroirs, des territoires». Tant mieux finalement pour DSK : il y aujourd’hui beaucoup plus de bobos que de paysans. Electoralement, c’est un atout.
Ces arguties sont assez vaines. Christian Jacob qui prétend connaître le monde rural sait très bien que l’agriculture française d’aujourd’hui est devenue une force économique puissante. Mais c’est une industrie, l’industrie agro-alimentaire qui fait vivre 400.000 salariés dans 10.000 entreprises (en plus des 700.000 paysans, éleveurs, viticulteurs). L’agro-alimentaire français génère un chiffre d’affaires annuel de 150 milliards d’euros. C’est le seul secteur de notre économie qui dégage des excédents à l’exportation. Même si la France est en recul dans ce domaine, désormais doublée par l'Allemagne et les Pays-Bas pour les exportations agricoles (en volume).
On est loin de l’image d’Epinal de la charrue et du laboureur. La France des terroirs est devenue un désert. On peut le regretter. Mais c’est la réalité. Et les «néo-ruraux» qui viennent s’installer à la campagne ne deviennent pas des paysans, à de rares exceptions près. Ils emménagent dans des fermes retapées ou, pire, dans des lotissements qui gangrènent le paysage. Ces «néo-ruraux» conservent le plus souvent leur travail en ville et leurs habitudes citadines.
Tout cela n’empêchera les Parisiens de se mirer, comme chaque année, dans le miroir aux alouettes du Salon de l’Agriculture, vitrine trompeuse d’un monde presque disparu, n’en déplaise à Christian Jacob. N’en déplaise aussi à tous ceux qui regrettent sincèrement les campagnes vivantes et peuplées.
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Lire aussi sur OWNI : "Jacod et les Jacobins"
Et écoutez cette chanson de Georges Brassens qui répond magnifiquement à tous ceux qui se vantent d'être "nés quelque part".
2 commentaires:
Pour qui a un peu étudié la pensée de Pétain, force est de constater que la pensée pétainiste à droite a le vent en poupe et que notre Immense Président en est le premier représentant. L'héritière Parisot une digne représentante également.
Tous n'ont qu'un désire effacer la défaite de leur France en 1945.
Très cher Blogueur(se),
Aujourd'hui après une dure journée de labeur, je décide de m'informer sur l'Etat du monde. De fil en aiguille je tombe sur la polémique "Boris Boillon". Curieuse, je cherche des images sur google: et là horreur! je tombe sur 1 mètre 75 de muscles et de vanité... Le côté positif c'est que j'ai découvert ton blog...
J'ai également pu apprécier ta littérature, tes références, et ta précision statistique, bref tant de choses qui font qu'aujourd'hui je fais le serment d'être une internaute fidèle!!!
Et puis pour laisser un commentaire qui soit quand même un peu en rapport avec "notre France rurale", je me laisse tenter par une petite remarque cynique... l'UMP n'a pas finit de traîner dans la boue ses adversaires politiques. Cette tacle verbale finit par désavantager la majorité... Mais j'imagine que l'odeur du purin ne leur fait pas peur. A moins que cette petite phrase soit due à la grande fatigue de monsieur Jacob; et dans ce cas je lui conseille de se mettre au vert!
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