Petit conseil à François Hollande qui doit tant en recevoir : surtout ne pas refaire Mai 1981. L’Histoire bégaie, faute de pouvoir se répéter. Evitons ce bégaiement-là.
J’étais place de la Bastille, au soir du 10 Mai 1981. Pas difficile : j’habitais le quartier. J’étais aussi rue Soufflot, le 21 Mai de la même année, le jour de l’investiture de François Mitterrand qui alla déposer des roses au Panthéon sous l’œil des caméras de Serge Moati. La grandiloquence républicaine, le goût du cérémonial, l’attrait du tombeau : du Mitterrand tout craché. (voir ici des photos que j'ai prises à cette époque)
L’allégresse et la joie, aussi. On célébrait sottement la fin de «l’Ancien Régime», l’arrêt brutal du giscardisme, la droite balayée... Un parfum lointain de 1789, avec les mêmes illusions, les mêmes aveuglements. J’avais voté Mitterrand aux deux tours, en 1981. Je partageais la liesse. (lire ici un récit de mes souvenirs personnels du passage de Giscard à Mitterrand)
Et ensuite, dès les premières semaines, qu’avons-nous connu ? Une grande gabegie économique : les nationalisations, l’argent versé à fond perdu à des industries moribondes (comme la sidérurgie).
Nous avons aussi assisté à une chasse aux sorcières féroce dans les administrations et les médias. Ce fut la purge dans l’audio-visuel, public et privé : placardisation ou révocation des journalistes trop marqués à droite.
Les communistes étaient au gouvernement. Pierre Juquin, membre du bureau politique du PCF, en charge des médias et de «la propagande» (son titre officiel), a fait la tournée des rédactions des télés et des radios pour imposer au moins un journaliste communiste dans chaque station. Il est parvenu à ses fins partout, même à Europe 1, pourtant station privée, mais pas à RTL où le président de l’époque, Jacques Rigaud, lui a gentiment dit d’aller se faire voir au Kremlin.
C’était ça la gauche au pouvoir en 1981. Mitterrand lui-même a établi la liste des journalistes qu’il ne voulait plus voir ni entendre. La «mainmise» de Nicolas Sarkozy sur les médias, par comparaison, c’est une douce rigolade.
La gauche au pouvoir, dans les premières années du premier septennat de François Mitterrand, ce fut aussi une incurie totale de la gouvernance économique : pas moins de trois dévaluations de la monnaie nationale (le Franc) et, suprême humiliation, le contrôle des changes. Sans compter, par milliards, des dépenses sociales inconsidérées.
Tout n’est pas à jeter. Mitterrand a eu le courage d’appliquer, avec l’aide de Robert Badinter, une promesse majeure de sa campagne électorale : l’abolition de la peine de la peine de mort. L’opinion publique y était opposée, Mitterrand n’a pas flanché. Il a aussi dépénalisé l’homosexualité. Il a également scellé la réconciliation franco-allemande et admis, lui l’ex-Vichyste, la complicité de l’Etat français dans le génocide juif.
Mais pour le reste, quelle incohérence ! En 1983, le «tournant de la rigueur» s’est imposé. La France, gouvernée à gauche, avait enfin compris qu’elle ne pouvait pas indéfiniment s’abstraire des réalités économiques.
La gauche issue de Mai 1981, c’est aussi une série impressionnante de magouilles et de malversations, des écoutes téléphoniques à grande échelle et la poursuite sans vergogne de la proximité criminelle avec les pires dictateurs, surtout en Afrique. Le général de Gaulle et son acolyte Foccart avaient fait prospérer la «Françafrique». Giscard n’a pas dérogé. Mitterrand s’est inscrit dans la même lignée trouble., avec l’aide de son fils Jean-Christophe. Bongo et les autres pouvaient dormir tranquilles.
Mitterrand a tout raté par ailleurs en ce qui concerne l’immigration et l’intégration. Alors que cette question devenait cruciale, Mitterrand n’a pas agi. Au cours de l’été 1981, la première émeute de banlieue éclate dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon. Le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, réprime par la force, à la manière d’Hortefeux ou de Guéant. François Mitterrand, tout juste arrivé à l’Elysée, ne bronche pas. Il ignore le phénomène et préfère promouvoir les gentils boys scouts de «SOS Racisme», conduits par le jeune Harlem Désir, aujourd’hui cacique du PS, intérimaire de Martine Aubry. Il était encore temps, il y a trente ans, de combattre la ghettoïsation, l’économie parallèle, le désespoir. Sur ce terrain qui était en principe le sien, la gauche des années 80 n’a rien fait, à part cajoler les porteurs de pancartes : «Touche pas à mon pote».
J’arrête ici la litanie. Je pourrais ajouter, dans ma charge contre Mitterrand, la complicité douteuse avec le collabo René Bousquet et la stratégie du secret, sur la maladie, sur Mazarine et la double vie privée du président.
J’ai voté Mitterrand en 1981 et j’ai récidivé en 1988. Avec le recul, je n’en suis pas fier. J’ai voté Sarkozy en 2007 et, ça aussi, je le regrette amèrement.
J’étais trop jeune pour voter Giscard en 1974. Il n’a donné le droit de vote aux Français de 18 ans qu’une fois arrivé au pouvoir. Il a aussi, avec Simone Veil, imposé le droit à l’avortement. Pas une mince affaire. Giscard n’a pas démérité, même si la fin de son septennat s’est enlisé dans les mensonges et le déni. Giscard, ce n’était pas si mal. On s’en rendra compte un jour.
François Hollande est en bonne position pour battre Nicolas Sarkozy en 2012. C’est ce que je souhaite. Mais j’espère que François Hollande ne va pas nous refaire le coup de «Mai 81». J’ai trop entendu cette référence hier soir dans la bouche de ses partisans. Notre petit pays (moins de 1% de la population mondiale) ne peut pas se permettre de renouveler de tels errements.
Il s’agit, pour le candidat socialiste, fort d’une légitimité acquise pendant le processus des primaires, d’imposer une politique rigoureuse, empreinte de justice et d’égalité. François Hollande a raison de mettre l’accent sur l’école. C’est le seul investissement qui vaille à long terme. On peut dépenser des milliards pour l’éducation, c’est nécessaire.
Il n’y a pas d'avenir radieux. Il y a des réalités, dures et impérieuses, à affronter. Des inégalités scandaleuses à corriger. De l’espoir à redonner. Des décisions difficiles à prendre. Une politique fiscale draconienne à instaurer.
François Hollande entend «réenchanter le rêve français», selon l’expression qu’il a utilisée hier soir. D’accord pour le réenchantement. Mais il n’est plus temps de rêver.
4 commentaires:
Voilà un devoir de mémoire à l'usage des jeunes générations qui nous rappelle bien des souvenirs.
Un blog du journal LeMonde rapporte ainsi les propos de Sarkozy: "Il [Sarkozy] a rappelé que les réalités avaient laissé deux ans, en 1981, pour se rappeler au bon souvenir de François Mitterrand. Il estime que si les mesures du PS, portées par François Hollande, sont mises en œuvre, cela ne durera que quelques heures".
Sur la rapidité de réaction des forces en présence, en cas de programme largement en contradiction avec le principe de réalité, il n'a pas tort. L'intensification des moyens de télécommunications, et la réactivité des marchés, ont changé la donne.
Reste à savoir si Hollande va anticiper cela, ou s'il va nous vendre de la soupe avant son élection.
Merci pour l'honnêteté de votre mémoire. Et pour toutes ces vérités historiques qu'on était bien prêt d'enterrer.
J'espère bien que François Hollande tombera sur votre blog, au moins par l'intermédiaire d'un de ses attachés-com.
à l'anonyme de 19:54 - je l'espère aussi. Merci de m'avoir lu.
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