"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

samedi 24 septembre 2011

Les mauvais combats contre la peine de mort

Deux exécutions capitales aux Etats-Unis, le même jour, cette semaine aux Etats-Unis. C’était mercredi. L’une des deux vous a sans doute échappé.

La première, celle de Troy Davis en Géorgie, a déclenché une mobilisation internationale contre la peine de mort. La seconde, celle de Lawrence Brewer au Texas, a été évoquée en quelques mots par les médias aux Etats-Unis et pas du tout dans le reste du monde.

Troy Davis et Lawrence Brewer
Deux poids, deux mesures.

Troy Davis, un noir de 42 ans, avait été jugé coupable du meurtre d’un policier blanc en Géorgie. Il avait toujours clamé son innocence et le dossier de l’accusation comportait de nombreuses failles.

Lawrence Brewer, un blanc de 44 ans, avait été jugé coupable du lynchage et du meurtre d’un noir dont le corps mutilé avait été trainé derrière une camionnette avant d’être abandonné devant un cimetière où reposent des défunts afro-américains. Lawrence Brewer n’a jamais caché son racisme virulent. Au moment des faits, en 1998, il était en compagnie de deux complices qui ont participé au lynchage. Lawrence Brewer a reconnu qu’il avait participé au tabassage mais il a toujours affirmé qu’il n’était pas responsable de la mort de la victime.

Deux meurtres, deux peines de mort. Un noir (probablement innocent) exécuté pour la mort d’un policier blanc. Un blanc raciste exécuté pour la mort atroce d’un noir.

Question : le châtiment suprême est-il plus justifié dans un cas que dans l’autre ? Les adversaires sincères de la peine de mort pensent évidemment qu’il n’y a pas de différence. Mais, si vous posez la même question à des personnes moins mobilisées, vous obtiendrez sûrement une réponse moins définitive : pour beaucoup, le raciste blanc méritait quand même d’être exécuté.

A force de défendre un cas individuel plutôt qu’un autre, les militants anti peine de mort se trompent de combat. C’est le principe même des exécutions judiciaires qu’il faut remettre en cause, aux Etats-Unis et dans tous les pays qui y ont encore recours.

Pour prendre un autre exemple, je pense que Mumia Abu-Jamal est coupable. C’est un prisonnier célèbre. Il a été condamné à mort en 1982 pour le meurtre d’un policier blanc à Philadelphie. Je connais assez bien ce dossier. Je suis allé sur les lieux du crime à Philadelphie. J’ai vu Mumia Abu-Jamal en audience dans cette ville. Je sais que Mumia Abu-Jamal a été jugé sommairement par un système défaillant et raciste. Actuellement, la procédure est bloquée par une procédure complexe et Mumia Abu-Jamal  attend toujours d’être fixé sur son sort. A mon avis, il est coupable. Mais ce n’est pas un argument. Mumia Abu-Jamal  ne doit pas être exécuté, pas davantage que quiconque.

Je suis absolument opposé à la peine de mort, en toutes circonstances et en tous lieux, même pour les pires assassins (y compris les tortionnaires d’enfants) ou pour les criminels de guerre. La peine de mort ne règle jamais rien et elle n’est pas dissuasive. Toutes les études comparatives le démontrent clairement : les pays qui ont aboli la peine de mort n’ont pas vu croître la criminalité. Les pays (ou les Etats américains) qui ont rétabli la peine de mort n’ont pas enregistré une baisse des crimes de sang. Dans le système pénal actuel des pays occidentaux qui l’appliquent encore, la peine capitale est plus coûteuse pour le contribuable (puisque c’est un argument parfois avancé) que l’emprisonnement à vie. Pourquoi ? Parce que, dans un pays comme les Etats-Unis, chaque condamné à mort dispose d'un grand nombre de recours qui encombrent les tribunaux et mobilisent l'appareil judiciaire. Le condamné passe donc de longues années derrière les barreaux, dans "les couloirs de la mort" hautement sécurisés et dont le coût de fonctionnement est beaucoup plus élevé qu'un emprisonnement classique. 

La France a aboli la peine de mort il y a exactement 30 ans. C’était une décision politique de François Mitterrand qu’il avait annoncée pendant sa campagne électorale de 1981. Mitterrand a fait beaucoup de chemin sur cette question car, pendant la guerre d’Algérie, en tant que ministre de la Justice, il a appliqué la peine de mort sans jamais chercher à s’y opposer. Mitterrand en 1981 était à contre-courant de l’opinion publique qui était largement favorable au châtiment suprême. Il a été élu en exprimant publiquement son opposition à la guillotine. Il a mis en application sa promesse, avec l’aide précieuse d’un avocat exceptionnel devenu son ministre de la Justice, Robert Badinter. C’était un acte de courage politique rare, probablement le seul à retenir de la longue présidence de François Mitterrand.

C’est ainsi que la question de la peine de mort doit être abordée : par la politique et contre le principe inique et barbare des exécutions capitales.

Les associations qui militent contre la peine de mort (et j’en connais quelques unes) utilisent une stratégie biaisée et inopérante. Défendre un condamné en particulier ne mène à rien. C’est le système, l’institution qu’il faut mettre en cause.

C’est ce qu’on fait les étudiants de Northwestern University dans l’Illinois dans les années 90. Ils ont examiné les dossiers de tous les condamnés à mort de leur Etat. Enorme travail d’investigation réalisé par des étudiants en droit et en journalisme, plus précis et plus efficace que celui d’une police et d’une justice expéditives. Ils ne se sont pas arrêtés à un seul cas. Ils ont passé en revue tous les dossiers. Résultat : le 11 janvier 2003, au dernier jour de son mandat, le gouverneur républicain (oui, républicain !) de l’Etat de l’Illinois a commué 167 condamnations à mort en peines de prison. Son successeur, un démocrate, a imposé en mars 2011 l’abolition de la peine de mort dans l’Illinois, le fief électoral de Barack Obama. 

C’est ce que j’appelle une action efficace. Pas de pétitions inutiles, pas de déclarations grandiloquentes, pas de bons sentiments. Juste une recherche des faits. N’en déplaise à certains, les Etats-Unis sont une démocratie qui se caractérise par un rejet instinctif du mensonge. L’Etat de l’Illinois bafouait la vérité en envoyant à la mort des condamnés jugés dans des conditions parfois scandaleuses. Le doute s’est installé. La peine de mort a disparu dans l’Illinois.

Un mot sur l’organisation judiciaire aux Etats-Unis qui est souvent mal comprise. Il y a, en gros, deux systèmes superposés : la justice fédérale (nationale, pour tout le pays) et la justice dans chacun des 50 Etats de l’Union. La justice fédérale est compétente sur les crimes fédéraux et juge notamment les assassins d’agents fédéraux (policiers du FBI, fonctionnaires d’une administration fédérale). C’est ainsi que le dernier condamné exécuté par la justice fédérale est Timothy McVeigh qui avait organisé l’attentat (168 morts) d’un immeuble de l’administration fédérale à Oklahoma City en 1995. La justice fédérale exécute rarement. Timothy McVeigh est mort d’une injection létale le 11 juin 2001 dans un pénitencier de l’Indiana.

L’autre niveau judiciaire se situe dans chacun des Etats. La peine de mort reste en vigueur dans 34 des 50 Etats, même si de nombreux Etats n'ont pas procédé à des exécutions depuis très longtemps. Dans beaucoup d'Etats également, la peine de mort n'est plus prononcée par les tribunaux, même si elle demeure dans l'arsenal des peines applicables. 


Dire que les Etats-Unis sont "le pays de la peine de mort" est une sottise. La réalité est beaucoup plus nuancée et circonscrite. Les exécutions effectives se concentrent principalement dans le sud du pays, à l'exception notable de l'Ohio et du Deleware, pour l'année 2011. 


C’est au niveau de chaque Etat que le combat de la peine de mort peut-être mené efficacement, comme cela a été fait dans l’Illinois.

Ajoutons qu’aucun candidat élu à la Maison Blanche n’a jamais fait campagne en incluant dans son programme l’abolition de la peine capitale. Il n’aurait jamais gagné. Ceci est valable aussi pour Barack Obama.

N’oublions pas, même si ce n’est pas une consolation, que les Etats-Unis ne sont pas les plus gros exécuteurs de la planète. En tenant compte des populations respectives de deux pays, la Chine exécute 30 fois plus en moyenne que les Etats-Unis.

On entend peu de protestations sur les châtiments chinois. Il est vrai qu’en France, le vieux fond d’anti-américanisme se réveille toujours dès lors qu’il s’agit de dénoncer la «barbarie» des Etats-Unis.

La «barbarie» aux Etats-Unis est en net recul, car le doute s’est installé sur la peine de mort, laquelle reste néanmoins soutenue par une large majorité de la population. Les tribunaux condamnent de moins en moins à la peine capitale et le nombre d’exécutions est en baisse constante depuis le début du XXIème siècle.


La partie n’est pas gagnée. Il faut continuer à combattre les systèmes judiciaires qui pratiquent la peine de mort, pas seulement aux Etats-Unis. C’est le principe qu’il faut attaquer sans se contenter de s’indigner, de manière sporadique, sur tel ou tel cas particulier.

Un mot pour conclure sur Lawrence Brewer, ce condamné exécuté au Texas cette semaine. A cause de lui, les prochains condamnés en passe d’être définitivement punis seront privés de leur dernier privilège. L’Etat du Texas a décidé de supprimer «le dernier repas» servi avant la mise à mort. Les condamnés ont le droit de commander ce qu’ils souhaitent à condition que la nourriture soit disponible dans la cuisine de la prison. Lawrence Brewer avait commandé : deux gros morceaux de poulet, un cheeseburger, une omelette, des beignets au poisson, de la viande de bœuf grillée, trois fajitas, une pizza et, comme dessert, un pot géant de crème glacée. Le repas pantagruélique a été servi au condamné. Mais finalement, il n’en a pas touché une miette. Il est mort le ventre vide. Le menu très copieux a toutefois été rendu public, ce qui a provoqué un scandale dans la population et chez les élus du coin. Du coup, le «dernier repas» a été supprimé par l’administration pénitentiaire du Texas.

Pour les curieux, amateurs de morbidité culinaire, il existe plusieurs sites qui répertorient la composition des repas des condamnés à mort aux Etats-Unis. Comme celui-ci, intitulé subtilement «DEAD MAN EATING» 

vendredi 23 septembre 2011

"Le Monde" à 3,20€ le vendredi. Etude du produit.

Bon, ça y est. Après quelques roulements de tambours annonciateurs, «Le Monde» nous a pondu la nouvelle version de son numéro de fin de semaine (en vente le vendredi à Paris et dans certaines autres grandes villes et le samedi ailleurs). L’ensemble devient «Le Monde Week-end».

Ces derniers temps, «Le Monde» dans son numéro du vendredi proposait le quotidien (une vingtaine de pages) et un magazine assez mince («Le Monde 2» devenu  ensuite «Le Monde magazine»). Maintenant le magazine s’appelle : «M, le magazine du Monde». Je vais y revenir.



A présent, le vendredi, l’offre du «Monde week-end» se décompose ainsi :

  • le quotidien (24 pages aujourd’hui)
  • un cahier de 8 pages : science et techno
  • un autre cahier de 8 pages : sport et forme
  • un troisième cahier de 8 pages encore : culture et idées
  • et le magazine «M» : 132 pages en couleurs sur du beau papier. 
Le tout pour la somme de 3,20 €. Jusqu’à la semaine dernière, le quotidien du vendredi et le magazine étaient vendus 2,60€. 60 centimes d’augmentation pour 24 pages supplémentaires (les trois cahiers spécialisés) et un magazine un peu moins famélique. Admettons.

Examinons maintenant le magazine «M». Sur les 132 pages, j’ai compté 45 pages de publicité. Ce qui nous laisse 87 pages d’espace rédactionnel. Enfin...‘rédactionnel’, les frontières sont ténues. Comment qualifier les 8 pages du «portfolio photographique» à la gloire de la marque de luxe Gucci ? Gucci qui a, par ailleurs, aimablement acheté une page de pub (la page 12, page de gauche, moins chère qu’un page de droite – ils sont un peu radins, ces Italiens...)

La présence de la pub ne me choque pas, bien au contraire. La presse écrite se meurt à cause, notamment, de l’érosion galopante des recettes publicitaires. C’est bien que «Le Monde» ait trouvé des annonceurs pour son magazine relooké.

De très beaux annonceurs, luxueux et haut de gamme. Je vous cite quelques marques : Vuitton, Rolex, Ralph Lauren, Van Cleef & Arpels, Tiffany & Co, BMW, Bulgari, Valentino, Alfa Romeo, Volvo, Chanel. Du beau linge, de belles carrosseries, des montres et des bijoux étincelants. Si ces annonceurs continuent d’être au rendez-vous pour les prochains numéros, il ne va pas être facile pour les journalistes de «M, le magazine du Monde» de glisser, entre ces réclames clinquantes, une enquête dénonçant le bling-bling, la vie insolente des riches et les dérives du capitalisme financier. 

Enfin, comme dirait DSK : «on verra...»

La couverture de «M» cette semaine est consacrée justement à un patron du CAC 40 : Arnaud Lagardère, homme d’affaires multicartes, héritier récalcitrant de l’empire de son père et patron d’un groupe médiatique (Lagardère Active) qui est associé au journal «Le Monde». Lagardère Active est toujours actionnaire du site Internet du journal «Le Monde». C’est sans doute pourquoi le portrait réalisé par Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin (deux excellentes journalistes) est bien écrit, mais globalement bienveillant. Les publicités pour les marques de luxe se marient très bien avec le ton assez complice de l'article que l'on peut résumer par cette formule : "un héritier accablé par sa fortune et le nom qu'il porte". Il y aurait tant d’autres choses à dire sur Arnaud Lagardère...

Bon, je ne vais pas être inutilement sévère. «Le Monde» demeure l’un des rares journaux encore lisibles en France. Et dans le numéro d’aujourd’hui, il y a plusieurs articles très intéressants qui justifient les 3,20€ du prix de vente.

Permettez-moi néanmoins de faire un petit comparatif. L’édition dominicale du "New York Times" coûte 4 dollars en kiosque (2,86€ au cours d’ajourd’hui). Elle est très volumineuse et comporte une dizaine de cahiers épais et consistants et un excellent magazine. A la louche, je dirai qu’il y a dans un "New York Times" du dimanche quatre à cinq fois plus de matière journalistique (je ne compte pas la pub) que dans "Le Monde week-end". Pour 30 centimes d’euro de moins. 

jeudi 22 septembre 2011

Carte de l'Europe vue par les Grecs


L'Europe de l'Ouest devient : l'Union des radins malades de boulot.
L'Italie : des plagiaires.
La côte méditerranéenne française : surestimée.
La Russie : Barbares orthodoxes (civilisés par nous)
La Turquie : Grèce orientale (prêtée à la Turquie)
L'Espagne : le pays du peintre El Greco (qui était grec d'origine)
La Grande Bretagne : le chanteur George Michael (grec d'origine)
La Grèce : "We" (nous)

dimanche 18 septembre 2011

Enseignement : Christine Boutin a une bonne idée


Je vais ici épouser (ah, que ce mot est doux...) une proposition de Christine Boutin. Oui, la grenouille de bénitier, la mule du Pape, la pasionaria du Crucifix. Cette Christine Marcelle Valérie Cécile née Martin épouse Boutin, mère de trois enfants très soigneusement baptisés, cette exaltée qui en 1998 garda la parole à l’Assemblée Nationale pendant 5 heures et 25 minutes pour exprimer avec hargne son opposition au PACS, texte qui fut voté malgré son acharnement.
Cette Christine christique ne dit pas que des bêtises. Elle formule même souvent de bonnes propositions : sur le logement, sur les prisons et sur des questions sociales fondamentales.

Quel est le sujet central de notre société française, celui qui engage l’avenir ? La question principale n’est-elle pas l’abandon de notre jeunesse, le sacrifice d’une génération ? 

Il s’agit de l’enseignement, tout simplement.

Pas rigolo, je vous assure, d’avoir moins de 25 ans dans notre pays aujourd’hui. Situation radicalement différente de ce qu’ont connu les vernis des «trente glorieuses» dont je fais partie. Nous avons bénéficié d’un enseignement public exemplaire qui débouchait sur une insertion immédiate dans la société, avec ou sans études universitaires. Il y avait du boulot. Le chômage était marginal. Tout était simple.

Les temps ont changé, pas pour le meilleur. Les jeunes françaises et français d’aujourd’hui sont confrontés à la crise et à une intolérable précarité : petits boulots, stages non rémunérés, salaires de misère. C’est le parcours du combattant, même pour les meilleurs et les plus motivés. Plusieurs études concordantes démontrent que les jeunes français ne se stabilisent pas dans leur vie professionnelle, en moyenne, avant l’âge de trente ans. Quel gâchis !

La faute à qui, la faute à quoi ? A notre système éducatif totalement inadapté. Je ne mets pas en cause les enseignants qui subissent autant que leurs élèves les effets d’une organisation totalement obsolète.

Le système éducatif dont j’ai bénéficié comme beaucoup d’autres, entre les années 50 et 70 du siècle dernier, était conçu pour une société homogène, dans une économie qui assurait le quasi plein emploi.

Le «public scolaire» a maintenant radicalement changé. Les apports (je dis bien : les apports) de l’immigration ont modifié les attentes et les besoins.

L’économie, après les chocs pétroliers successifs des années 70, s’est rigidifiée et le chômage de masse n’a cessé de croitre. La mondialisation, phénomène inéluctable (n’en déplaise à Arnaud Montebourg), a parachevé ce tableau. Un tableau noir.

Alors que faire ? J’en reviens à Christine Boutin qui, sur ce point au moins, vient d’émettre une analyse qui mérite d’être prise en compte.

Dans le quotidien «La Croix» (excellent journal sous-estimé), Madame Boutin a publié cette semaine une tribune où elle propose carrément de dissoudre le ministère de l’Education Nationale.

Après mai 68, de nombreuses théories pédagogiques farfelues sont venues déstructurer l’éducation publique française. Il fallait replacer l’enfant au cœur de l’école (enfant roi), aiguiser son esprit critique au lieu de lui apprendre bêtement des connaissances. L’école n’avait plus vocation à instruire. Il fallait faire plus, sans qu’on sache vraiment quoi. Le résultat de ces dérives est connu : un nombre d’enfants qui ne savent plus lire et écrire en entrant en sixième. Sans compter un échec scolaire grandissant camouflé par le mirage du bac délivré à 80% des candidats. Une grande braderie qui débouche sur le néant.

Si, comme l’explique Christine Boutin dans sa tribune, la confrontation au réel de ces idéologues a permis quelques retours salutaires (méthode syllabique pour la lecture), le délitement de notre éducation nationale est arrivé à un stade critique que la violence omniprésente et le nivellement par le bas de nos écoliers, de nos collégiens et de nos lycéens prouvent chaque jour.

C’est pourquoi Christine Boutin propose de renommer, afin de mieux redéfinir ses missions, le ministère de l’Education Nationale en «ministère de l’Instruction Publique». C’était la dénomination choisie par Jules Ferry, fondateur de l’école publique en France, gratuite et obligatoire.

Instruire ou éduquer. Il ne s’agit pas d’une simple nuance. Christine Boutin considère que c’est aux parents d’éduquer leurs enfants. Et c’est à l’école de transmettre le savoir et les connaissances. Le rôle de l’enseignant n’est pas celui d’un éducateur. L’enseignant est là pour instruire, pas pour se substituer au rôle éducatif de l’entourage familial.

Afin de permettre aux parents désarmés de reprendre leur responsabilité et leur pouvoir éducatif, la candidate propose d’ailleurs la création «d’écoles des parents». Celles-ci remplaceraient les suppressions injustes, stigmatisantes et surtout inefficaces, des allocations familiales, comme le gouvernement actuel, inspiré par les durs de l’UMP, a commencé à les mettre en place.

Christine Boutin, dans sa tribune de «La Croix», explique : «Rétablir la notion d’autorité à l’intérieur de la cellule familiale est la seule manière de rétablir l’autorité au sein de l’école».

Certes, les choses ne sont pas si simples. La famille de notre époque n’est plus exactement comme Christine Boutin l’imagine : familles monoparentales, divorces, familles recomposées.

Mais je retiens de la proposition de Christine Boutin une idée forte : l’école n’est pas faite pour éduquer, elle a pour rôle d’instruire. Les familles (quelle que soit leur composition, même homoparentale !) sont en charge de l’éducation. Que les missions et les devoirs soient bien définis.

Dans un deuxième temps, il faudra briser ce mastodonte (je n’ai pas dit : mammouth) du futur «ministère de l’Instruction Publique», le décentraliser, le dénationaliser, le dégager de sa bureaucratie, de son dogmatisme et de son corporatisme syndicalisé. 

Mais ceci est une autre histoire...

mercredi 14 septembre 2011

Ikéa et la poste confirment la mort du bon vieux papier


 Les révolutions ne se font pas en un jour.

Le 14 juillet 1789, Louis XVI en rentrant de la chasse à Versailles avait inscrit un seul mot dans son journal personnel : «Rien». Rien, car le roi serrurier était revenu bredouille : pas le moindre gibier. Il lui fallut attendre de marcher vers la guillotine, le 21 janvier 1793, pour se rendre compte que le 14 juillet 1789 ne s’était pas résumé à une partie de campagne infructueuse.

Dans l’actualité récente, deux faits distincts, a priori sans rapport, illustrent la profonde révolution que nous sommes en train de vivre.

Ikéa, le géant du meuble d’origine suédoise (planqué sous l’épaisse couverture d’une fondation néerlandaise pour des raisons fiscales) réfléchit à une modification de son article vedette : la bibliothèque Billy. Billy est une légende. Ikéa, depuis 1979, en a vendu 41 millions d’exemplaires à travers le monde. Mises bout à bout, toutes ces étagères bon marché s’aligneraient sur 70.000 kilomètres, presque deux fois le tour de la terre. 

Billy est la plus «basique» mais aussi l'archétype contemporain des bibliothèques. Billy est le premier réceptacle des premiers bouquins. Des millions de lycéens et d'étudiants fauchés ont un jour sorti une Billy de son carton. Ils l'ont patiemment assemblée (en essayant de suivre la notice) et ils y ont exposé leurs livres. 

Mais Ikéa connaît ses clients. La firme néérlando-suédoise a constaté que l'inusable Billy était de moins en moins utilisée pour ranger des volumes brochés ou reliés. On y place des bibelots, des objets hétéroclites et quelques rares ouvrages imprimés sur du papier. Billy, dans les pays développés comme les Etats-Unis, est aussi le meuble sur lequel on pose sa «tablette» (I-pad et les autres) ou son lecteur électronique de livres.

Le livre traditionnel se raréfie. «Borders», un vaste réseau de grandes librairies aux Etats-Unis vient de mettre la clé sous la porte. Le concurrent «Barnes & Nobles» s’inquiète pour son avenir à court terme. «Amazon» (le leader mondial du commerce du livre sur Internet) écoule de moins en moins de versions «papier» et de plus en plus de fichiers électroniques contenant les textes des ouvrages. Ikéa va s’adapter. La future bibliothèque Billy ne sera plus un mini-temple dévolu à la mémoire de Gutenberg.

Le second exemple frappant de cette révolution en marche, ce changement profond de civilisation, c’est la crise de la poste. Olivier Besancenot a du souci à se faire.

La poste en France est une de nos plus anciennes institutions, héritage de l’Ancien Régime. On aurait dû y songer quand on a raccourci ce brave Louis XVI. En 1477, Louis XI organise les premiers «relais de poste». En 1576, Henry III améliore sensiblement le système. Au XXème siècle, le télégraphe et le téléphone s’ajoutent au courrier. Plus récemment, en désintégrant l’acronyme PTT, la poste française se reconcentre sur la distribution des lettres et des colis. Mais les temps sont durs.

Le courrier électronique et les SMS font une rude concurrence à la lettre d’amour, à la missive commerciale et à la carte postale. Les catalogues de vente par correspondance ont basculé massivement leur activité sur l’Internet. Même les factures se dématérialisent. De plus en plus de Français ne postent plus leur déclaration de revenus. Ils cliquent sur un clavier.

La poste française est en déficit chronique, malgré les aides publiques. Le plus connue est l’aide de l’Etat à la distribution de la presse, béquille qui soutient aussi l’économie moribonde des journaux. Ceux-ci tentent de trouver un second souffle en s’orientant vers l’Internet, ce qui va encore aggraver les difficultés de la poste. La poste française réduit partiellement son déséquilibre en étant un important établissement financier et bancaire. Mais par les temps qui courent, ce n’est pas une garantie éternelle.

Aux Etats-Unis, c’est bien pire : la poste fédérale est en danger de mort. C’est aussi une institution très ancienne. La poste américaine a été créée par Benjamin Franklin en  1775, juste avant l’indépendance des Etats-Unis. Le poste américaine (USPS - United States Postal Service) a été bénéficiaire jusqu’en 1992. L’inversement de tendance coïncide avec l’apparition de l’Internet grand public dans le pays.

Depuis 1992, l’USPS souffre. Le service est maintenant à l’agonie. Si le Congrès ne met pas la main à la poche avant la fin de l’année, la poste américaine sera en faillite. Et, actuellement, le Congrès est plutôt radin. Il a d’autres trous à combler. La poste américaine accuse un déficit de 9,2 milliards de dollars et il lui manque 5,5 milliards de dollars pour payer la couverture santé de ses retraités. Son activité courrier et colis a chuté de 22% en 5 ans. La poste américaine n’a pas d’activité bancaire ou financière (à la différence de son homologue française). Elle est fortement concurrencée par des sociétés privées efficaces (Federal Express, UPS, etc.) La poste américaine reste le troisième plus gros employeur après le Pentagone et la chaine de grande distribution Walmart. Elle compte encore dans ses effectifs 653.000 personnes (contre 900.000 il y a dix ans).

Parmi les mesures drastiques envisagées pour réduire les coûts : fermeture de 3700 bureaux de poste (sur 31.000), suppression de la distribution postale du samedi, licenciement de 220.000 employés (un tiers des effectifs).

A moins d’un coup de force à la Reagan qu’Obama ne peut pas se permettre, cette saignée sociale semble impossible : les postiers américains, fortement syndicalisés, sont protégés dans leur emploi par leur statut. Mais au pays du réalisme économique, les statuts les plus solides peuvent un jour devenir dangereusement précaires.

Les services postaux des autres pays industrialisés (Canada, Suède, Australie, Suisse, etc.) sont dans une situation comparable, parfois au bord du gouffre.

Billy, la bibliothèque, voit les livres la déserter. Le facteur pourrait connaître un jour prochain le sort du rémouleur, du sabotier et du vitrier, les petits métiers qui n’existent plus que dans le monde enchanté de Jean-Pierre Pernaut.

On le croyait éternel depuis l’apparition de son ancêtre le papyrus, mais le papier, imprimé ou expédié, est en train de s’étioler, comme les feuilles d’automne qui se ramassent à la pelle.

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sources de cet article : The New York Times, The Economist, rapport du Sénat français sur la poste.

dimanche 11 septembre 2011

Un 11 septembre peut en cacher beaucoup d'autres

Que s’est-il passé le 11 septembre ? Beaucoup plus de choses qu'on ne nous le dit aujourd'hui. 

Le 11 septembre 1973, un coup d’état militaire, soutenu par les Etats-Unis, renverse le président chilien Salvador Allende, un socialiste démocratiquement élu. Allende, assiégé dans son palais présidentiel à Santiago, se suicide avec un AK 47 que lui avait offert Fidel Castro. Le régime d’Augusto Pinochet qui lui succéda pendant les 17 années suivantes est responsable de la mort ou la disparition d’environ 3000 personnes. Les prisons chiliennes ont compté 150.000 prisonniers politiques pendant les années Pinochet. Près de 30.000 ont été torturés.

Le 11 septembre 1968, une Caravelle d’Air France effectuant la liaison entre Ajaccio et Nice s’abime dans la Méditerranée, au large de Nice. Aucun survivant parmi les 95 occupants de l’appareil. Les causes exactes de la catastrophe n’ont jamais été totalement élucidées. L’hypothèse d’un tir accidentel de missile a été avancée.


Le 11 septembre 1917, Georges Guynemer, pilote de chasse émérite de la Première Guerre Mondiale (et amant passager de l’actrice-chanteuse Yvonne Printemps), meurt au front aux commandes de son appareil, au dessus de la ville belge de Peolkapelle. L’avion de Guynemer et les restes du pilote n’ont jamais été retrouvés. 

Le 11 septembre 1714, les troupes du roi Philippe V d’Espagne, après un siège de 11 mois, prennent la ville de Barcelone aux mains d’un contingent britannique en déroute. C’est la dernière bataille de la «Guerre de Succession» pour le trône espagnol. L’anniversaire de cette date est devenu le jour de la fête «nationale» de la Catalogne  (Diada Nacional de Catalunya), célébrée aujourd’hui.

Le 11 septembre 1962, un groupe musical de Liverpool qui se fait appeler «The Beatles» enregistre la chanson de la face A de son premier 45 tours : «Love me do» dans le studio n°2 de la société EMI sur Abbey Road à Londres. Il faut 18 prises pour que l’enregistrement soit satisfaisant. Une première séance de studio, une semaine plus tôt, n’avait pas été jugée concluante. Le 11 septembre 1962 est une humiliation pour le batteur Ringo Starr, écarté de cet enregistrement par le producteur George Martin au profit d’un musicien de studio, Andy White. Sur l’enregistrement du 11 septembre, Ringo Starr en est réduit à jouer du tambourin. Il restera néanmoins le batteur du groupe jusqu’à sa séparation en 1970. Le 45 tours (premier disque des «Beatles» qui contient «P.S. I love you» sur la face B) sort en Grande-Bretagne le 5 octobre 1962. C’est la revanche de Ringo Starr : le 45 tours propose «sa» version, celle enregistrée pendant la première séance du 5 septembre. Il est à la batterie. Mais sur le premier album (33 tours) des «Beatles», sorti le 22 mars 1963 («Please Please me»), on entend la version du 11 septembre 1962 : Andy White est à la batterie et Ringo Starr au tambourin !

Le 11 septembre 1984, le pape Jean-Paul II est au stade olympique de Montréal pour un rassemblement de la jeunesse québécoise. Une jeune fille de 16 ans prénommée Céline Marie Claudette entonne la chanson «Une Colombe» devant les 65.000 spectateurs et le souverain pontife. Cette jeune fille se fera ensuite connaître dans le monde entier sous le nom de Céline Dion. Jean-Paul II est mort le 2 avril 2005. Il a été béatifié le 1er mai 2011. Céline Dion chante toujours. Sa béatification n’est pas envisagée.

Le 11 septembre 1733, à l’âge de 66 ans, le musicien François Couperin meurt à Paris. Maître du clavecin, compositeur prolifique, il était apprécié de Louis XIV qui ne lui accorda pourtant jamais le poste officiel de claveciniste du roi. Organiste de Saint-Gervais et de la Sainte-Chapelle, Couperin a laissé deux messes sublimes, sommets du répertoire musical français.

Le 11 septembre 1524, Jeanne de Chauldrier, épouse de Louis de Ronsard, donne naissance à leur fils cadet, prénommé Pierre, dans un manoir de la région de Vendôme. Pierre de Ronsard devient l’un des plus grands poètes français de tous les temps. Cofondateur du groupe littéraire «La Pléiade», il échafaude en 30 ans une œuvre immense, touchant à tous les genres poétiques. Les écoliers français ne connaissent de lui que le fameux : «Mignonne allons voir si la rose».

Le 11 septembre 1885, à Eastwood dans le Nottinghamshire (Angleterre), une ancienne institutrice mariée à un mineur alcoolique donne naissance à David Herbert Richards Lawrence, plus célèbre sous le nom de D.H. Lawrence, écrivain britannique majeur du XXème siècle, auteur protéiforme et novateur que l’on connaît surtout pour son sulfureux ouvrage «L’Amant de Lady Chaterlley». C’est le récit pimenté des amours entre une aristocrate et son garde-chasse. Le roman contient plusieurs scènes sexuelles explicites et utilise un mot tabou pour l’époque : «fuck».  Publié d’abord à Florence (Italie) en 1928, le livre ne paraitra en Grande-Bretagne qu’en 1960, trente ans après la mort de son auteur (à Vence, dans le Midi de la France). Cette publication n’a été possible qu’après un procès retentissant. Le livre fut enfin autorisé. Cet épisode fait toujours jurisprudence en matière de liberté d’expression au Royaume-Uni.

Le 11 septembre 1945, à Munich, dans l’Allemagne défaite par le Seconde Guerre Mondiale, vient au monde Franz Beckenbauer. Il est devenu le plus grand footballeur allemand, toutes générations confondues. Parmi ses mutiples trophées, il gagne deux fois la Coupe du Monde (comme capitaine en 1974 et comme entraineur en 1990).

Le 11 septembre 1979, à Saint-Genis-Laval, dans la grande banlieue de Lyon, naissance du footballeur Eric Abidal, l’un des joueurs les plus brillants de sa génération, défenseur sobre et très efficace. Il excelle actuellement au FC Barcelone. Ecarté des terrains pendant plusieurs mois en 2011 à cause d’une tumeur au foie opérée avec succès, il fait un retour triomphal en Espagne puis à Wembley pour la finale de Ligue des Champions remportée par l’équipe catalane contre Manchester United (3-1).

Le 11 septembre 1965, naissance de fils cadet du président syrien Hafez el-Assad. Le jeune Bachar fait des études de médecine et se spécialise dans l’ophtalmologie. Son frère Bassel, héritier politique désigné, meurt dans un accident de voiture en 1994. Bachar est investi de nouvelles responsabilités et arrive à la tête du pays en 2000, à la mort de son père. Bachar el-Assad, présent à la tribune d’honneur du 14 juillet 2008 sur les Champs-Elysées à Paris à l’invitation de Nicolas Sarkozy, réprime actuellement dans le sang une rébellion populaire qui menace son régime dictatorial. 

Le 11 septembre 2001, il s’est aussi passé quelque chose à New York, en Pennsylvanie et à Washington. Mais vous êtes probablement au courant.

mercredi 7 septembre 2011

Pour en finir (un peu) avec le 11 septembre

Je suis un «rescapé» du 11 septembre 2001. Enfin, j’exagère. 


J’ai quitté New York le soir du 1er septembre de cette année-là. Je venais de vivre douze années aux Etats-Unis, dont dix à 1500 mètres du World Trade Center. Le 1er  septembre, c'était un samedi. Le matin de ce jour-là, je suis allé prendre mon petit déjeuner au "Starbucks" du World Financial Center, des immeubles de bureaux qui font partie du complexe du World Trade Center. Mon dernier petit déjeuner de résident à New York... Après avoir bu mon "espresso doppio" et avalé mes muffins, je suis passé à pied entre les deux tours jumelles, le "New York Times" sous le bras. Il était environ 8 heures du matin. Le temps était splendide. Dix jours plus tard, au même endroit à la même heure, le mardi 11 septembre, il faisait également très beau. Le ciel s'est vite obscurci, à 8h46, mais pas pour des raisons météorologiques.

Dix ans après cette date fatidique, je souhaiterais davantage de modération dans la commémoration médiatique qui s’ébauche en France et qui fonctionne de manière frénétique de l’autre côté de l’Atlantique, d’après les amis avec qui je suis en contact là-bas. Petit rappel : un anniversaire n’est pas une information. Les journalistes moutonniers l’oublient toujours.

Je ne nie pas l'horreur de l'événement et ses nombreuses conséquences pour des milliers d'individus et leurs familles. Je mesure le choc ressenti par les New Yorkais et les Américains en général, même une décennie plus tard.

J'aime profondément ce pays. Mon premier voyage remonte à 1969. J'avais 16 ans. Ce voyage a marqué ma vie et la marque encore.

Mais il faut aussi que les Américains apprennent à prendre du recul, à relativiser, à considérer ce qui se passe ailleurs.

La guerre en Irak, voulue par un président élu et réélu, est une faute lourde, cautionnée par un pays démocratique et ses institutions, avec l'assentiment tacite ou exprimé de presque tous les médias, y compris les plus intelligents. Cette guerre a fait des milliers de morts, dans tous les camps, sous des prétextes infondés : Saddam Hussein ne possédait pas d’armes de destruction massive et son pays n’était pas une base d’Al-Qaida.

Je pourrais aussi évoquer le Vietnam, pays que j'ai découvert il y a peu et qui a énormément souffert de la guerre lancée (et perdue) par les Etats-Unis, toujours au nom de la démocratie. Le napalm, les massacres, ce n’était pas une plaisanterie. L'origine de ce conflit asiatique remontait, il est vrai, aux errances coupables du colonialisme français...

Le 11 septembre 2001 n'est pas la pire tragédie ou le tournant le plus décisif de l’Histoire contemporaine ni même de ce siècle encore tout jeune. Il y en aura d'autres. La catastrophe de Fukushima pourrait ou devrait avoir des conséquences plus profondes sur notre manière de consommer, de produire de l’énergie, de vivre en accord avec notre environnement et de faire de la politique. C’est du moins ce que l’on peut espérer. Mais ceci est une autre histoire.

Je critique suffisamment les Français qui ne voient le monde que par le petit bout de leur lorgnette embuée. Les Américains ont aussi parfois la vue basse en oubliant les carnages du passé.

Et pourtant, dans leur courte Histoire, les Etats-Unis ont traversé des bains de sang bien plus effroyables. La guerre de Sécession (Civil War) avec ses plus de 600.000 morts a été plus meurtrière que la Seconde Guerre Mondiale pour l'ensemble des troupes américaines engagées sur tous les fronts de ce conflit. Il ne s'agit pas d'établir un palmarès des hécatombes. Ce n'est pas un macabre concours.

Le choc du 11 septembre, contrairement à ce qu’on a dit à l’époque, n’a pas fondamentalement modifié les habitudes et les comportements des Américains. C’est un événement tragique et ponctuel. C’est seulement un épisode de l’histoire américaine et du monde. Ce n’est pas un événement fondateur.

Le 11 septembre s’inscrit dans un processus historique beaucoup plus large : la chute du communisme qui a mis fin à la politique des blocs issue de la Guerre Froide, favorisant la montée du fondamentalisme islamiste avec ses avatars extrêmes du terrorisme.

Le 11 septembre n’est pas, à mes yeux, une date clé comme le voyage de Christophe Colomb suivi du peuplement de l’Amérique par les Européens, l’invention de l’imprimerie ou du moteur à explosion, l’arrivée d’Hitler au pouvoir ou la chute du mur de Berlin.

Ce que les hommes de Ben Laden ont réalisé avec une cruelle réussite est un acte sanglant, considéré à juste titre comme odieux par toute personne ayant un minimum de conscience. Mais ce n’est ni le début ni la fin de quoi que se soit. «Plus rien ne sera jamais comme avant», a-t-on dit le 12 septembre 2001. C’est faux.

Les Etats-Unis ont continué sur leur lancée, avec le meilleur et aussi le pire de ce grand pays à la fois généreux et incroyablement injuste : le capitalisme financier fait des ravages, la politique de santé reste bancale, le système éducatif est déficient, la violence gangrène toujours les villes et les campagnes à cause de la prolifération des armes à feu, la peine de mort reste en vigueur, le racisme perdure malgré les acquis des années 60.


Le lieu commun, quand les Etats-Unis sont meurtris ou attaqués, est de dire : "L'Amérique a perdu son innocence". On l'a dit à propos de l'attaque japonaise contre la base de Pearl Harbor en 1941. On l'a répété pour l'assassinat de John F. Kennedy à Dallas en 1963. L'expression a été ressortie pour le 11 septembre 2001. On ne perd pas son innocence plusieurs fois. C'est comme le pucelage. Aucun pays ne peut être considéré totalement "innocent" ou "coupable". La France a plusieurs taches indélébiles sur ses pages d'Histoire (les guerres napoléoniennes et Vichy, pour ne citer que deux exemples). Les Etats-Unis se sont construits sur deux "péchés originels" : l'éradication presque totale de la population indigène, les tribus indiennes, par les armes, les mauvais traitements, l'alcool et les maladies. Et la pratique de l'esclavage qui n'a pas été une exclusivité américaine.


Mais ce pays, je l’aime pour et malgré ce qu’il est. Et pour ce qu’il est capable de devenir. C’est une nation jeune. Laissons-lui sa chance.

Un mot encore, car c’est souvent négligé : le 11 septembre 2001 a eu un énorme retentissement grâce à la concentration des médias à New York. Par hypothèse, imaginez la même chose dans une ville d’Afrique, sans caméras disponibles en direct immédiatement ni un fort contingent de journalistes vivant sur place. Nous en aurions beaucoup moins parlé. Aussi parce que, globalement, les Africains, on s’en fout. Et c’est bien regrettable. Pas de journalistes et de caméras en ce moment en Somalie (car c’est matériellement impossible). Circulez, il n’y a rien à voir dans ce pays exsangue et qui crève de faim.

La destruction des tours jumelles a bénéficié d’un énorme effet de loupe à New York car les networks (ABC, NBC, CBS), les chaines d’infos en continu et les stations locales avaient des studios, des équipes, du matériel utilisables sur le champ. 

Le second avion
L’image du premier avion percutant la première tour n’a été bien captée que par une seule caméra, celle du jeune français Jules Naudet qui faisait un documentaire sur les pompiers du sud de Manhattan et qui se trouvait, par hasard, dans le secteur du World Trade Center à ce moment-là. Il existe une autre vidéo, prise par un amateur sous un autre angle, mais de moins bonne qualité. Pour l’arrivée du second avion, des dizaines de caméras étaient déjà en action pour retransmettre en direct le second acte du scénario terroriste. La tragédie, réelle, a été infiniment grossie par le prisme médiatique de la ville la mieux équipée technologiquement au monde.

Alors que reste-t-il du 11 septembre ? La douleur, le chagrin et le deuil des familles des victimes, évidemment. Le traumatisme des blessés et de tous ceux qui ont vécu sur place ces terribles journées. Il reste aussi le bourbier militaire en Afghanistan, renforcé par la complaisance de l’Occident à l’égard du Pakistan et des monarchies du Golfe. Il reste Guantanamo, pénitencier américain qui échappe à toutes les lois internationales. Il reste également une paranoïa sécuritaire instaurée par l’administration de George W. Bush. Cette obsession antiterroriste n’a pas diminué avec Barack Obama.

Dans ce domaine, Ben Laden a réussi durablement à rendre les voyages en avion très pénibles, avec la multiplication des contrôles et des interdictions plus ou moins baroques. Et si c’était ça, finalement, l'«héritage» («legacy» en anglais) le plus tangible du 11 septembre ?

mardi 6 septembre 2011

Une bouffée de Brésil en allant à Monoprix


Un tout petit rien, je vous assure. Je ne vais pas vous déranger très longtemps aujourd’hui. Juste le récit rapide d’un instant fugace et réjouissant. Une «épiphanie», comme disait James Joyce dans «Ulysse». Mais là, je fais mon cuistre...

Je marche ce matin en direction de mon «Monoprix», rue du Temple dans le 3ème arrondissement de Paris. Pas vraiment l’aventure. Nous sommes un mardi de septembre, plutôt grisouille.

Derrière moi, quelqu’un siffle joyeusement. C’est très mélodieux, très juste musicalement. Je reconnais immédiatement les notes de «A Garota de Ipanema». Il n’est pas courant d’entendre quelqu’un siffler cet air dans les rues de Paris aujourd’hui. D’ailleurs, le gens ne sifflent plus souvent de la musique en public.

"A Garota de Ipanema" (littéralement : "La jeune fille d'Ipanema"), c’est la célébrissime chanson brésilienne d’Antonio Carlos Jobin (musique) et de Vinicius de Moraes (paroles). La quintessence de la bossa nova, chanson composée dans les années 60, reprise par plus de 300 interprètes, un "standard" musical du XXème siècle, aussi universel que le "Yesterday" des Beatles. En anglais, avec Stan Getz au saxophone, c’est devenu "The girl from Ipanema".

Soudain, je ne suis plus sur le chemin de mon «Monoprix». Je suis au Brésil. Je me remémore mon voyage très ancien dans ce pays et la plage d’Ipanema, quartier chic de Rio.
Le texte de la chanson a été inspiré par une jeune fille de 19 ans, Heloísa Eneida Menezes Pais Pinto, plus connue sous le nom de Helo Pinh. Elle vivait à Ipanema et passait chaque jour, sur le chemin de la plage, devant le bar Veloso (aujourd'hui nommé «Garota de Ipanema»). 

Jobin et Moraes, le compositeur et l’auteur de la chanson, étaient des habitués de ce bar où je suis allé lors de mon voyage, dans les années 80.

Dans une autobiographie, Vinicius de Moraes se souvient de cette jeune fille : «Elle était le paradigme de la Carioca (l’habitante de Rio) à l'état brut : une fille bronzée, entre la fleur et la sirène, pleine de lumière et de grâce mais avec un fond de tristesse. Aussi portait-elle en elle, sur le chemin de la mer, le sentiment de ce qui passe, d'une beauté qui n'est pas seulement nôtre — c'est un don de la vie que son bel et mélancolique flux et reflux permanent.»

Le siffleur me dépasse sur le trottoir de la rue du Temple. Il marche plus vite que moi. C’est un grand gaillard blond, un peu barbu comme cela se fait aujourd’hui. Le garçon a une vingtaine d’années. Il est au moins deux fois plus jeune que la chanson. Il siffle toujours. Il s’éloigne. Je pénètre dans le «Monoprix». Je ne suis plus au Brésil.

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Voici une interprétation de la chanson par son compositeur. C'est une vidéo extraite d'un direct ancien de la télé brésilienne. Vous apprécierez au passage la douceur suave du portugais, tel qu'on le parle (et le chante) au Brésil.

Les paroles en portugais traduites en français :
Olha que coisa mais linda
Regarde quelle belle chose
Mais cheia de graça
Pleine de grâce
É ela menina, que vem e que passa
C'est elle la fille, qui vient et qui passe
Num doce balanço a caminho do mar
Dans un doux balancement sur le chemin de la mer

Moça do corpo dourado
Demoiselle au corps dorée
Do sol de Ipanema
Par le soleil d'Ipanema
O seu balançado é mais que um poema
Son balancement est plus qu'un poème
É a coisa mais linda que eu já vi passar
C'est la chose la plus belle que j'aie vu passer

Ai ! Por que estou tão sozinho ?
Oh, pourquoi suis-je si seul...
Ai ! Como tudo é tão triste
Oh, comme tout est si triste...
Ai ! A beleza que existe
Oh, la beauté qui existe
A beleza que não é só minha
La beauté qui n'est pas qu'à moi,
Que também passa sozinha
Que passe aussi toute seule

Ai ! Se ela soubesse que quando ela passa
Oh, si elle savait que quand elle passe
O mundo interinho se enche de graça
Le monde entier se remplit de grâce
E fica mais lindo por causa do amor
Et devient plus beau grâce à l'amour

Só por causa do amor...
Juste à cause de l'amour...