"Ce qui barre la route fait faire du chemin" (Jean de La Bruyère - 'Les Caractères')

dimanche 25 mars 2012

Une femme acquittée, au nom de beaucoup d'autres




        Les événements de Toulouse ont éclipsé un procès exemplaire qui s'est tenu cette semaine devant la Cour d'Assises du Nord, à Douai. On jugeait une femme qui a assassiné son mari. Un mari violent. Une femme maltraitée et battue depuis des années par son compagnon. L'avocat général, Luc Frémiot, a prononcé à cette occasion un réquisitoire extraordinaire, non pas contre la femme qui était dans le prétoire mais contre sa victime, l'homme, le vrai bourreau. Un réquisitoire qui valait toutes les plaidoiries. L'accusée a été acquittée. Le texte de la déclaration de l'avocat général figure dans un article sobre et remarquable signé Pascale Robert-Diard, publié par le journal «Le Monde». Je vous propose de le lire ci-dessous. On peut parfois douter de la Justice. Pas cette fois-ci.


Femmes battues : réquisitoire contre l'indifférence aux assises du Nord


C'est une sale affaire de violence et de misère. Une de celles auxquelles on rechigne à s'intéresser parce que tout cela semble trop loin, trop moche et qu'on en a bien assez comme ça. C'est ce que l'on pensait, au début. Comme sans doute les six jurés - quatre femmes, deux hommes - tirés au sort devant la cour d'assises du Nord pour juger Alexandra Guillemin, 32 ans, qui comparaissait pour le meurtre de son mari, Marcelino.
Un soir de juin 2009, dans la cuisine de leur appartement à Douai, cette mère de quatre enfants a dit à son mari qu'elle voulait le quitter. Il a explosé de fureur, a cherché à l'étrangler, elle a saisi un couteau de cuisine. La plaie dans le cou mesurait 13,5 cm de profondeur. Il est mort sur le coup, "dans une mare de sang", dit le procès-verbal des policiers. Voilà pour les faits.
Le procès s'est ouvert mercredi 21 mars. Alexandra Guillemin comparaissait libre après dix-sept mois de détention provisoire. Elle s'est assise dans le prétoire, le visage légèrement incliné, ses longs cheveux sombres noués sur la nuque, les yeux baissés, les mains posées sur les genoux et elle n'a plus vraiment bougé. Dehors, c'était le printemps, le ciel était bleu tendre. Le soleil inondait les murs clairs de la salle d'audience. C'est là, dans cette lumière si blanche, si crue, qu'une cour et des jurés ont plongé dans la nuit d'une femme.
Alexandra avait 17 ans, elle était en première, au lycée, quand elle a rencontré Marcelino, un Gitan sédentarisé, de quatorze ans son aîné. Elle est tombée amoureuse, a claqué la porte de chez sa mère qui ne l'aimait guère et rompu avec son père qui était en colère. Quelques mois plus tard, elle s'est mariée, le premier des quatre enfants est né et Alexandra Guillemin a renoncé à passer son bac. Le reste est un long calvaire. Une épouse que l'on viole, frappe, insulte et humilie. Que l'on menace lorsqu'elle murmure des confidences à sa sœur au téléphone ou cherche à voir son père. Que l'on épie quand elle tente de se confier à l'assistante sociale. Que l'on écrase et engloutit. Au XXIe siècle, dans une ville française, une ombre dans une caverne.
Pendant trois jours, un homme ne l'a pas quittée des yeux. Luc Frémiot est avocat général. Cela fait plus de dix ans qu'il se bat contre les violences conjugales. Qu'il essaie de secouer les consciences. Qu'il tonne à l'audience, bat les estrades, s'invite dans les colloques. Qu'il donne des instructions écrites aux policiers pour transmettre systématiquement au parquet les "mains courantes" déposées par les femmes, afin de ne pas laisser échapper la moindre chance de briser le silence, d'endiguer la violence dès le premier coup porté. Pour qu'il ne soit pas suivi d'un deuxième, puis d'un troisième, qui fait plus mal, détruit plus profond.
Il l'a regardée, Alexandra Guillemin, lorsqu'à la barre elle triturait son mouchoir, en répondant d'une voix faible aux questions de la présidente, Catherine Schneider. Lorsque des larmes roulaient sur son visage à l'évocation par les voisins, par les rares amis, par les dépositions de ses enfants, de ce qu'avait été sa vie. Lorsqu'elle chassait de la main les images qui l'assaillaient, honteuse de devoir expliquer ce que son corps avait subi et qu'elle avait toujours tu. Luc Frémiot observait tout, aspirait tout. Il a dévisagé aussi ces femmes assises dans le public, dont soudain s'échappait un cri, presque un ordre : "Parle, Alexandra ! Parle !" Il a crucifié du regard cet officier de police judiciaire concédant un "dysfonctionnement" quand on lui a demandé d'expliquer comment et pourquoi son service n'avait pas jugé nécessaire de donner suite à la plainte que voulait déposer Alexandra Guillemin contre son mari. Elle avait l'œil tuméfié, on lui a conseillé une main courante et on l'a renvoyée chez elle parce que "ça ne saignait pas".
Vendredi 23 mars, l'avocat général s'est levé. Ou, plus justement dit, il s'est jeté. Les notes sur le carnet ne disent ni la voix qui enfle et se brise, ni les silences, le souffle qui emporte, les mains tendues qui escortent les paroles jusqu'aux visages concentrés des jurés, le regard suspendu de l'accusée.
"Alexandra Guillemin, nous avions rendez-vous. C'est un rendez-vous inexorable, qui guette toutes les victimes de violences conjugales. Ce procès vous dépasse parce que derrière vous, il y a toutes ces femmes qui vivent la même chose que vous. Qui guettent les ombres de la nuit, le bruit des pas qui leur fait comprendre que c'est l'heure où le danger rentre à la maison. Les enfants qui filent dans la chambre et la mère qui va dans la cuisine, qui fait comme si tout était normal et qui sait que tout à l'heure, la violence explosera.
Elles sont toutes sœurs, ces femmes que personne ne regarde, que personne n'écoute. Parce que, comme on l'a entendu tout au long de cette audience, lorsque la porte est fermée, on ne sait pas ce qui se passe derrière. Mais la vraie question, c'est de savoir si l'on a envie de savoir ce qui se passe. Si l'on a envie d'écouter le bruit des meubles que l'on renverse, des coups qui font mal, des claques qui sonnent et des enfants qui pleurent.
Ici, dans les cours d'assises, on connaît bien les auteurs des violences conjugales. De leurs victimes, on n'a le plus souvent qu'une image, celle d'un corps de femme sur une table d'autopsie. Aujourd'hui, dans cette affaire, nous sommes au pied du mur, nous allons devoir décider.
Mon devoir est de rappeler que l'on n'a pas le droit de tuer. Mais je ne peux pas parler de ce geste homicide sans évoquer ces mots des enfants : 'Papa est mort, on ne sera plus frappés'. 'Papa, il était méchant'. 'Avec nous, il se comportait mal, mais c'était rien comparé à ce qu'il faisait à maman'. On n'a pas le droit de tuer, mais on n'a pas le droit de violer non plus. D'emprisonner une femme et des enfants dans un caveau de souffrances et de douleur.
Je sais la question que vous vous posez. 'Mais pourquoi Alexandra Guillemin n'est-elle pas partie avec ses enfants sous le bras ?' Cette question est celle d'hommes et de femmes de l'extérieur, qui regardent une situation qu'ils ne comprennent pas et qui se disent: 'Mais moi, je serais parti !' En êtes-vous si sûr ? Ce que vivent ces femmes, ce qu'a vécu Alexandra Guillemin, c'est la terreur, l'angoisse, le pouvoir de quelqu'un qui vous coupe le souffle, vous enlève tout courage. C'est sortir faire les courses pendant cinq minutes, parce que celui qui vous envoie a calculé exactement le temps qu'il vous faut pour aller lui acheter ses bouteilles de bière. Et c'est à cette femme-là que l'on voudrait demander pourquoi elle est restée ? Mais c'est la guerre que vous avez vécue, madame, la guerre dans votre corps, dans votre cœur. Et vous, les jurés, vous ne pouvez pas la juger sans savoir les blessures béantes qu'elle a en elle. C'est cela être juge, c'est être capable de se mettre à la place des autres. Alexandra Guillemin, il suffit de l'écouter, de la regarder. De voir son visage ravagé. Mais un visage qui change dès qu'elle parle de ses enfants. On a beaucoup dit qu'elle était 'passive'. Mais c'est une combattante, cette femme ! Ses enfants, elle leur a tenu la tête hors de l'eau, hors du gouffre. Il n'y a pas beaucoup d'amour dans ce dossier, mais il y a le sien pour ses enfants, et ça suffit à tout transfigurer. Sephora, Josué, Saraï, Siméon ont 13, 11, 8 et 6 ans aujourd'hui, ils vous aiment, ils seront votre revanche.
Nous, la question que nous devons nous poser, c'est : 'De quoi êtes-vous responsable, Alexandra Guillemin ?' Quelle serait la crédibilité, la légitimité de l'avocat de la société qui viendrait vous demander la condamnation d'une accusée, s'il oubliait que la société n'a pas su la protéger ? Alors, je vais parler de légitime défense. Est-ce qu'au moment des faits, Alexandra Guillemin a pu penser qu'elle était en danger de mort ? Est-ce qu'en fonction de tout ce qu'elle a vécu, subi, elle a pu imaginer que ce soir-là, Marcelino allait la tuer ? Mais bien sûr ! Cela fait des années que ça dure. Alexandra a toujours été seule. Aujourd'hui, je ne veux pas la laisser seule. C'est l'avocat de la société qui vous le dit : vous n'avez rien à faire dans une cour d'assises, madame. Acquittez-la !"
Vendredi 23 mars, six jurés - responsable de paie, retraitée, techniciens, ingénieur, assistante d'achat - et trois magistrats professionnels l'ont écouté. Et d'une sale affaire de violence et de misère, si loin, si moche, ils ont fait un grand moment de justice, si proche.
©Le Monde

vendredi 23 mars 2012

Mohamed Merah : "La Désintégration", film prémonitoire



Un film français très récent (il est sorti le mois dernier) est malheureusement passé inaperçu. Il est très mal distribué mais on peut encore le voir dans certaines salles. Il s'agit de «La Désintégration» réalisé par Philippe Faucon. Ce n'est pas un chef d'oeuvre mais c'est un film court (1h18) qui en dit long sur la dérive d'un jeune français issu de l'immigration, emporté par l'islamisme radical. Le film est situé à Lille mais il pourrait avoir pour décor la ville de Toulouse. Le personnage principal du film (incarné avec une grande justesse par Rashid Debbouze, frère de Jamel) ressemble de manière frappante à Mohamed Merah, l'auteur présumé de 7 assassinats, cerné et tué par les hommes du Raid cette semaine.

«La Désintégration», à la lumière des événements sanglants de Toulouse et Montauban, prend une force prémonitoire troublante. Comme Merah, le protagoniste du film est un jeune homme qui a grandi dans une cité. Son intégration sociale et professionnelle est un échec. Il a des rapports conflictuels avec sa famille et notamment avec sa mère. Il devient une proie facile pour le fondamentalisme musulman. Il sombre dans le terrorisme et il y trouve la mort après avoir versé le sang. 


Mohamed Merah est une réplique du personnage du film. Merah est né en octobre 1988, au tout début du second septennat de François Mitterrand. La gauche, dans les années 80, n'a pas été capable de prendre en compte la situation dans les banlieues françaises. François Mitterrand est élu en mai 1981. Les toutes premières émeutes éclatent en septembre 1981, dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon. Une première alerte avait eu lieu à Vault-en-Velin en 1979. Beaucoup d'autres déchainements de violence suivront. La réponse des socialistes au pouvoir est faible, pour ne pas dire inexistante. Dans un bel élan d'angélisme, ils se dédouanent en mettant en avant l'association «SOS racisme» et ses rassemblements boy-scout. Le leader de l'époque, Harlem Désir, est aujourd'hui un cacique du PS. Le mitterrandisme était dans le déni. Alors qu'il en était encore temps, aucune mesure n'a vraiment été prise en faveur du logement, de la formation et de l'emploi.


Plus tard, la droite revenant au pouvoir avec Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy n'a guère mieux agi. La solution, suicidaire, devient largement sécuritaire. On ne cherche pas à régler les graves problèmes des banlieues. On se contente d'y installer des compagnies de CRS.

L'origine du phénomène remonte au «regroupement familial» instauré par décret en 1976 par le président Valéry Giscard d'Estaing et son premier ministre Jacques Chirac. Cette mesure était humaine et légitime. La première vague d'immigration, datant de la fin de la guerre d'Algérie, concernait des travailleurs célibataires ou séparés de leur famille, une main d'oeuvre venue participer à l'expansion de la France des «Trente glorieuses». Il était justifié de permettre à ces hommes isolés de vivre avec leur famille sur le sol français où ils travaillaient. La faute originelle commise par VGE est de ne pas avoir complété ce «regroupement familial» par une vaste politique immobilière et éducative. Les torts sont donc partagés par la droite et la gauche qui ont alterné au pouvoir depuis le milieu des années 70 jusqu'à aujourd'hui.

C'est cette longue incurie qui a produit des personnages comme Mohamed Merah. Le film «La Désintégration» montre clairement le désespoir et l'absence de perspective qui assaillent les jeunes des banlieues. L'Islam radical, dans ce contexte, n'est qu'un épiphénomène. Il prospère sans être contrarié, comme une mauvaise herbe poussant sur un terrain abandonné. La nature a horreur du vide. Faute de logements décents, d'emploi et de formation, toute une population a été ghettoïsée, enfoncée dans ses difficultés. L'intégration des populations issues de l'immigration est avant tout une question sociale. Le fait religieux est marginal, conséquence des manquements des gouvernements successifs sur le front de l'égalité et de la justice.

Ajoutons à cela l'exacerbation haineuse et raciste du climat par le Front National. En stigmatisant l'immigration en 2012 et en réclamant une réduction drastique du nombre d'entrées des étrangers sur le territoire français, le FN propose une fausse solution. L'immigration actuelle en France, en proportion, est dans la moyenne européenne, beaucoup plus modeste qu'en Allemagne. Le candidat Sarkozy a enfourché ce mauvais cheval anti-immigration. La grande question d'aujourd'hui ne se situe pas dans une réduction de l'immigration. Cela ne simplifierait en rien le défi qui s'impose à nous : sortir de l'impasse sociale les Français issus d'une immigration déjà ancienne, un mouvement de population massif qui a été dramatiquement mal géré par les pouvoirs publics depuis presque 40 ans.

C'est l'intégration qu'il faut enfin réussir. Vaste projet politique qui ne se résume pas à un simple maintien de l'ordre. Les dernières mesurettes présentées par Nicolas Sarkozy sont à cet égard particulièrement dérisoires. Comme s'il suffisait de punir ceux qui consultent des sites Internet fondamentalistes pour éradiquer l'Islam radical !

Oui, c'est à cette intégration qu'il faut s'attacher sans relâche, sous peine de voir «La Désintégration» exploser à nouveau comme ces derniers jours à Toulouse.   

jeudi 22 mars 2012

Photos en vrac

Pour celles et ceux que ça intéresse, 
je vous propose de regarder 
quelques unes de mes photos 
que j'ai rassemblées 
sur ce blog :

mercredi 14 mars 2012

Pour le transfert des cendres de Claude François au Panthéon

Rousseau et Voltaire, Pierre et Marie Curie, Jean Moulin et André Malraux, poussez-vous donc un peu. Il faut faire place à un nouvel arrivant dans les méandres humides et mal éclairés du Panthéon où vous gisez, gloires nationales...

«Entre ici, Claude François !» Oui, le blondinet sautilleur mériterait bien d'être admis à son tour dans la crypte de la Nation reconnaissante. C'est du moins ce que je déduis de l'adoration universelle que l'évocation de sa carrière admirable suscite dans la France de 2012. Il suffit d'un film nouveau retraçant sa vie pour que les passions et les larmes se répandent à profusion.

Claude François (1939-1978) était (je le précise à l'intention des jeunes générations) un chanteur de variétés français très populaire dans les années 60 et 70 du siècle dernier. Sa carrière a été brusquement interrompue par l'EDF, aussi fatale dans une baignoire que le fut Charlotte Corday à Marat.

Il serait malveillant de rappeler que l'homme était acariâtre, autoritaire et narcissique, selon de nombreux témoignages concordants. Il serait déplacé de dire qu'il était machiste de la pire manière et qu'il culbutait distraitement ses groupies tout en méprisant ses épouses légitimes successives. Il serait inconvenant de souligner que la plupart de ses chansons étaient des adaptations hâtives de succès anglo-saxons. Il serait sacrilège de remarquer que sa voix à l'étroite tessiture, une voix de tête mal posée, produisait un son nasillard sans ampleur. Tout cela serait mal venu. Et je ne le ferai donc pas.

Car Claude François était une idole. Il est devenu une icône. Depuis quelques jours, la télévision nous inflige des hommages sanglotants. Rien ne justifie vraiment ce déluge lacrymal, si ce n'est la sortie de ce film consacré au chanteur disparu il y a 34 ans. Ce n'est même pas un compte rond.

C'est ainsi que le journal télévisé de la principale chaîne publique, France 2, a accordé dimanche dernier un bon quart d'heure à Claude François. L'un des fils de l'artiste était convié, flanqué de Michel Drucker, pleureur officiel. Drucker avait déjà utilisé une bonne partie des nombreuses heures qui lui sont dévolues chaque semaine sur l'antenne nationale en érigeant un cénotaphe télévisuel à la gloire de Claude François.

Ce phénomène extravagant m'a plongé dans une intense réflexion : pourquoi Claude François ? Et pourquoi maintenant ?

Je crois avoir trouvé un début d'explication : Claude François nous renvoie à l'époque bénie des «trente glorieuses», ce temps lointain de la France pépère, celle des années De Gaulle et Pompidou. C'est cette mélancolie d'une période révolue que le souvenir de Claude François ravive.

Bertrand Le Gendre, ancien journaliste au «Monde», vient de publier un livre révélateur intitulé : «1962, l'année prodigieuse» (éditions Denoël). 1962, année de «La France forte» que Nicolas Sarkozy, malgré son slogan, n'arrivera jamais à ressusciter.

En 1962, la guerre d'Algérie se termine enfin. Le taux de croissance atteint 6,8%. Le chômage n'est qu'à 2%. C'est techniquement le seuil du plein emploi. La France est auto-suffisante, protégée dans ses frontières, forte d'une industrie soutenue par l'Etat. On n'imagine même pas que la mondialisation déferlera trente ans plus tard. Les écarts de salaires sont raisonnables. La paysannerie est prospère. Le capitalisme ne s'est pas encore financiarisé. Le paquebot «France» vient d'être mis en service. L'immigration est marginale et la «première génération», célibataire et travailleuse, arrive sans bruit, convoquée pour fortifier la prospérité générale.

1962, c'est cette année-là. «Cette année-là», le titre d'une chanson de Claude François, dédiée à l'année 1962, moment de ses débuts.






Voici les paroles :

Cette année-là
Je chantais pour la première fois
Le public ne me connaissait pas
Quelle année cette année-là

Cette année-là
Le rock'n'roll venait d'ouvrir ses ailes
Et dans mon coin je chantais belle, belle, belle
Et le public aimait ça

Déjà les Beatles étaient quatre garçons dans le vent
Et moi ma chanson disait marche tout droit

Cette année-là
Quelle joie d'être l'idole des jeunes
Pour des fans qui cassaient les fauteuils
Plus j'y pense et moins j'oublie

J'ai découvert mon premier mon dernier amour
Le seul le grand l'unique et pour toujours le public

Cette année-là
Dans le ciel passait une musique
Un oiseau qu'on appelait Spoutnik
Quelle année cette année-là

C'est là qu'on a dit adieu à Marilyn au cœur d'or
Tandis que West Side battait tous les records

Cette année-là
Les guitares tiraient sur les violons
On croyait qu'une révolution arrivait
Cette année-là

C'était hier, mais aujourd'hui rien n'a changé
C'est le même métier qui ce soir recommence encore

C'était l'année soixante deux
C'était l'année soixante deux
C'était l'année soixante deux
C'était l'année soixante deux

Oui, c'est l'année 1962 qui est ainsi évoquée dans cette chanson de Claude François sortie beaucoup plus tard, en 1976. Il s'agit de l'adaptation d'un tube américain de 1975 interprété par Frankie Valli & The Four Seasons December 1963, Oh, What a Night»). Les paroles en français, écrites par Eddy Marnay, font référence à quelques événements de la vie du chanteur, notamment ses débuts en 1962 avec le titre mémorable «Belle, belle, belle».

La chanson «Cette année-là» évoque aussi certains aspects de l'actualité : la mort de Marilyn Monroe, le Spoutnik soviétique (qui date en fait de 1957 et 1961), la sortie en France du film «West Side Story», le premier 45 tours des Beatles «Love me do».

Quand Claude François chante «Cette année-là» en 1976, il est déjà dans la nostalgie d'une sorte de paradis perdu. La France de 1962 n'existe plus. Les chocs pétroliers sont passés par là. Le chômage commence à s'installer. Valéry Giscard d'Estaing, successeur de Pompidou, introduit le «regroupement familial». L'immigration change de nature. La France, contre son gré, est confrontée au monde. Elle mettra longtemps à en prendre conscience.

C'est tout ce passé que nous remuons aujourd'hui en célébrant ce culte improbable à Claude François. Le souvenir d'une époque où tout paraissait simple, à l'abri des frontières, au sein d'une Europe où le mur de Berlin séparait encore clairement les deux blocs.

Comme il serait doux de revenir aux années 60 et 70... Deux ou trois chaînes de télévision, Guy Lux, Maritie et Gilbert Carpentier et (déjà) Michel Drucker. Une France dans son pré-carré où circulaient sans grande concurrence des voitures Peugeot, Renault et Citroën. Une France où De Gaulle se permettait d'éconduire le ministre japonais de l'industrie sous prétexte qu'il ne «recevait pas un représentant en transistors». C'est cette France-là, ces années-là, que le souvenir de Claude François nous remémore. Nous accueillons avec ravissement ce confortable flash-back et son tourbillon de paillettes, de pantalons pattes d'éléphant et de cols pelle à tarte.

Les Français se consolent du grand dérèglement qui les secoue aujourd'hui avec quelques images jaunies découpées jadis dans «Salut les copains». Il serait peut être temps d'affronter l'avenir.
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lire ceci également sur un sujet voisin : LES CHANTEURS MORTS QUI CHANTENT ENCORE

dimanche 11 mars 2012

Dans l'autobus, scènes de la France multicolore

L'autobus est plein. Il est six heures du soir. Je suis debout. Je ne m'en plains pas : je ne vais pas très loin. Juste à côté de moi, une mère de famille, même pas la trentaine, occupe une banquette avec son jeune fils. Le gamin, très agité, a calé ses pieds sur le haut du siège devant lui. Le gosse crie sans raison. Une vieille dame debout observe le manège et surtout lorgne sur la place du gamin. Elle s'impatiente et prend les autres voyageurs à témoin : «Elle pourrait le prendre sur ses genoux et me laisser une place assise». Elle le dit suffisamment fort pour que la mère du garçon entende.

Au bout de quelques minutes de tension et de soupirs insistants de la vieille dame, la mère se résout à demander à son fils de libérer la place. L'enfant refuse en hurlant. «Il a quatre ans, il fait ce qu'il veut», explique la mère vaincue. L'affaire prend vite un tour raciste car la mère et son fils sont, comme on dit, «issus de l'immigration». La vieille dame ne l'est pas et ne se gêne pas pour le faire savoir : «C'est toujours comme ça avec eux». Remarque entendue par la mère qui rétorque : «C'est toujours comme ça avec vous, les Français !»

Finalement, la mère et son fils, arrivés à destination, libèrent les deux places. La mère descend du bus en trainant son mioche et en marmonnant quelques amabilités sur «les Français». La vieille dame, suivie par une autre qui attendait aussi, s'installe sur le siège convoité. Comme une victoire, elle déclare à la cantonade : «Ah ! Quand même...».

Le lendemain, à la même heure, sur la même ligne. L'autobus est toujours aussi bondé. Deux ados, vêtus de survêtements, écouteurs aux oreilles, sont assis confortablement sur une banquette. Ils ont le nez plongé dans leur téléphone portable.

Une dame, plus chenue que celle de la veille, est debout et s'accroche pour résister aux à-coups de la conduite sportive du conducteur. Au bout de quelques instants, un des deux ados s'aperçoit de la présence de la personne âgée. Il retire les écouteurs de ses oreilles et propose aimablement en souriant : «Voulez-vous ma place, madame ?» La dame sourit aussi et répond : «Si ça ne vous dérange pas.» Réponse de l'ado : «Pas du tout.» La dame, reconnaissante, s'installe. L'ado, désormais debout, replonge dans le clavier de son portable et replace ses écouteurs.

Je note que le jeune homme est également «issu de l'immigration», comme les passagers récalcitrants d'hier. Ou, du moins, pas «un Français de souche», comme on dit au Front National. Un jeune métis au visage fin et avenant qui pourrait venir de l'Océan Indien. Aucune tension dans l'autobus. Cette courtoise urbanité efface le mauvais souvenir de la veille.  

mardi 6 mars 2012

Nicolas Sarkozy à pieds joints dans la marmite halal

Ainsi donc, selon Nicolas Sarkozy, le sujet de la viande halal serait «la première préoccupation des Français». Le candidat-président, à la ramasse dans les sondages, l'a déclaré hier lors d'un déplacement à Saint-Quentin dans l'Aisne.




Nicolas Sarkozy préside depuis presque cinq ans un pays perclus par le chômage de masse, un pays frappé par une inquiétante désindustrialisation, un pays qui compte 8 millions de pauvres. Un pays qui a abandonné sa jeunesse dans la précarité. Un pays dont le système éducatif est en déroute et où les déficits publics se creusent dangereusement. Nicolas Sarkozy préside ce pays-là et, sans rire, il affirme néanmoins que la «première préoccupation» de ses concitoyens, c'est la viande halal.

Pour beaucoup de Français, avant même de se préoccuper de l'origine de la viande et des conditions d'abattage des animaux de boucherie, le principal souci est de pouvoir s'acheter de la viande. De la viande tout court.

Pas besoin d'être grand clerc pour comprendre pourquoi le candidat de l'UMP a enfourché ce douteux cheval de bataille, une «Rossinante» cagneuse tout droit sortie des écuries du Front National, succursale contemporaine des écuries d'Augias. 





Marine Le Pen a réchauffé, avec l'abattage (oups ! ça m'a échappé) qu'on lui connait, ce vieil argument identitaire. Ce thème du halal est voisin des soupes populaires à la viande de porc organisées par ses partisans pour en écarter les musulmans. Vieille soupe, marmite ébréchée.


Claude Guéant, avec sa subtilité coutumière, a affirmé de son côté qu'accorder le droit de vote aux étrangers aux élections municipales conduirait à imposer la nourriture halal dans les cantines scolaires. Nos chères têtes blondes nourries de force dans des assiettes islamistes !



Ce ragoût politicien où la sauce frontiste se mélange allègrement aux épices de la droite parlementaire devient gluant. Brigitte Bardot a tenu à ajouter son grain de sel. La recette est exquise. Vous m'en mettrez une louche !

L'extrême nervosité sondagière de Nicolas Sarkozy le pousse à plonger la tête en avant dans le rata nauséabond mitonné par Marine Le Pen. Il risque fort de boire le bouillon.

Notons au passage que Mme Le Pen s'émeut du sort réservé au bétail mais souhaite toujours rétablir la peine de mort pour les êtres humains. Drôle de logique du zigouillage.

Les méthodes de l'abattage rituel méritent certes d'être examinées et réformées. Il y a, dans ce domaine, une dérive d'ordre économique : il est moins cher pour les abattoirs de produire en grande quantité de la viande halal ou casher, quitte à en vendre ensuite une partie dans le circuit non confessionnel. Cette viande n'a pas un goût différent ni une apparence particulière. Ce n'est pas un problème de civilisation ni d'identité nationale. C'est un problème de boucherie.

Et ce n'est assurément pas le sujet central autour duquel un débat électoral national devrait tourner, surtout dans un pays qui doit relever des défis beaucoup plus cruciaux et urgents.


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Pour information, voici un sondage TNS Sofres, réalisé pour le quotidien "La Croix" le 20 février dernier, qui détaille les sujets de préoccupation des Français. Les vrais sujets. 


lundi 5 mars 2012

Mathieu Kassovitz doit se faire soigner d'urgence


Il faut sauver le soldat Kassovitz. Il faut plutôt le soigner car son cas désormais relève de la psychiatrie. Je parle de Mathieu Kassovitz, acteur et réalisateur français de 46 ans. Il est en train de sérieusement péter les plombs.

Sa folie trouve libre cours sur Twitter où il déverse ses élucubrations haineuses. Sur son compte Twitter, il se présente ainsi : "direktor-produktor-writor-konspirator...the whole package". Tout un programme.


Ses dernières vociférations en date portent sur la politique. Hier, Kassovitz a écrit ceci : «Si NS passe un deuxième tour la France est un pays de collabo néo fasciste. Il faut se débarrasser de ces fils de putes de l'UMP avec fracas.»

NS, c'est bien sûr Nicolas Sarkozy. On peut combattre farouchement le président sortant et souhaiter qu'il perde la prochaine élection présidentielle. Un majorité semble se dessiner dans ce sens. Mais est-il nécessaire d'employer ces termes outranciers ? Tout ce qui est excessif est insignifiant.

Plus grave, la référence au fascisme et à la collaboration est une insulte à l'égard de tous ceux qui ont été vraiment victimes de la collaboration et du fascisme. La collaboration, sous l'Occupation, c'était un système politique français complice d'un état totalitaire, l'Allemagne nazie. Le fascisme, ce n'est pas non plus un mot vide de sens qu'on brandit bien au chaud en le tapotant sur un iPhone. Trop facile, Mathieu ! Le fascisme a fait des ravages en Europe et ailleurs au XXème siècle. Nicolas Sarkozy n'est pas fasciste. Il incarne la droite autoritaire et libérale. On peut contester ses positions, réaffirmées récemment, sur l'ordre et l'immigration. Mais ce n'est pas du fascisme. Il y a de la marge. Sarkozy n'est pas Mussolini. Le dire, c'est faire un amalgame grossier. C'est méconnaitre l'Histoire.

La hargne de Kassovitz avait porté, quelques jours plus tôt, sur le cinéma français. Au moment de la publication de la sélection des Césars, Kassovitz avait écrit sur Twitter : «J'encule le cinéma français.» Ce qui constituait une vaste entreprise. Il s'était curieusement justifié en précisant : «Traiter ces gens d'enculés n'est pas une insulte. C'est un réflexe naturel.» Il faudrait que Christian Vanneste nous éclaire sur ce point. Kossovitz était furieux que son dernier film, «L'ordre et la morale», n'ait pas été sélectionné pour la séance d'auo-congratulation du cinoche hexagonal. Ce qui n'a pas empêché le réalisateur d'être présent pour remettre une récompense pendant la cérémonie.

En 2009, Kassovitz s'était déjà illustré en mettant en doute la version officielle des événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Il s'exprimait ainsi sur France 3 dans l'émission «Ce soir ou jamais» de Frédéric Taddei : «La montée de Hitler et du nazisme, c'est l'invention d'un système de communication extrêmement bien huilé. Toutes ces choses, on l'a déjà vécu. Goebbels a dit 'Plus le mensonge est gros, plus il passe'. Donc on doit se poser la question de ce qui s'est passé le 11 septembre. (...) Comment on peut faire tomber trois tours avec deux avions ?»

Chacun appréciera le renvoi à Goebbels mais ces thèses conspirationnistes ne sont pas l'apanage de Kassovitz. Elles ont été exprimées par d'autres grands «experts» comme le comique troupier Jean-Marie Bigard et l'actrice minaudante Marion Cotillard. Ils n'ont pas trouvé ça tout seuls : la mise en cause du scénario du 11 septembre fait florès sur des centaines de sites Internet.

Kassovitz passe trop de temps sur Internet et sur Twitter. Il ferait mieux de faire son métier. C'est un honnête réalisateur. Je pense notamment à son film «La Haine» (1995) qui révélait de réelles qualités, au service d'une histoire âpre et intense dans une banlieue violente. On peut reconnaître à Kassovitz le mérite d'avoir été le premier à faire un film sur ce sujet.

Kassovitz est par ailleurs un acteur convaincant et plein de charmes. Il l'a prouvé dans une mémorable bleuette, «Amélie Poulain». Il était parfait aussi en ecclésiastique dans «Amen» de Costa-Gavras.

Mais, de grâce, qu'il nous épargne ses jugements à l'emporte-pièce sur la politique et les événements internationaux. Il a, aujourd'hui encore, pondu ceci sur les élections russes : «Poutine président, le monde s'arme». Kassovitz part-il au front à l'assaut du Kremlin ?

Je sais que ma supplique est vaine. Kassovitz est persuadé d'avoir raison. A un de ses contradicteurs, il a récemment répondu ceci : «Narcissique et prétentieux. Je le suis. Je l'affirme. Je vous emmerde. Bonne journée.»

Pour mieux cerner le dérangement du personnage, voici la «photo de profil» qu'il affiche sur sa page Facebook

C'est sympa, non ?